Culture

Musiques électroniques : la Palestinienne Sama’ Abdulhadi à l’Oasis Festival

Du 6 au 8 septembre 2024, l’Oasis Festival se déroulera dans le complexe The Source, à Marrakech. Avec une programmation musclée qui se précise et accueille la sensation palestinienne de ces dernières années.

De nouveaux artistes viennent s’ajouter aujourd’hui à l’impressionnante affiche de l’Oasis Festival 2024, qui avait déjà annoncé le légendaire Laurent Garnier, Jungle, Amine K, HAAi, Jyoty, Kosh, Nooriyah et Tsha. Parmi les nouveaux noms, se trouve le célèbre et créatif DJ et producteur britannique Joy Orbison.

L’une de ses meilleures voix et incarnations underground, la selector Jyoty, sera de retour pour s’occuper de la programmation d’une scène entière. Celle-ci accueillera GREG, résident d’origine mauricienne du Rex Club et artificier du label Boukan Records, la Bruxelloise Blck Mamba qui transporte dans des ambiances club son héritage nigérian, mais aussi l’énergie contagieuse et les sonorités upbeat de la DJ cubano-espagnole Toccororo, cofondatrice du Honey Club madrilène, et d’autres noms sont encore attendus.

Les artistes marocains ne sont évidemment pas oubliés. The Pool Stage, programmée par Somnii — un collectif engagé dans la valorisation et la présentation de la scène nord-africaine — invite ainsi l’explorateur électro et fourbisseur de basses rapides, Driss Bennis, fondateur du label Casa Voyager, DJ, le producteur et l’auteur-compositeur-interprète GJ Leith, qui est connu pour enflammer les clubs avec des sons urbains du monde entier, et Guedra Guedra, autre adepte du raffiné rapproché entre culture marocaine et bass-music.

Le DJ de Casablanca Polyswitch/Mouhcine Zouitina, boss du label Astrofever Records international, et l’artiste urbain Retro Cassetta, réputé pour son arsenal de cassettes old-school de chaâbi, raï, rock, disco, funk et autres sons nord-africains des années 70/80/90, rejoignent un plateau antérieurement déjà bien fourni avec un live de Kosh, et la house/hip-hop de Yaya.

Danser des deux côtés du mur
Sama’ Abdulhadi est née en Jordanie en 1991, de parents expulsés de Palestine parce que sa grand-mère, Issam Abdulhadi, grande militante des droits de la femme, eut organisé un sit-in et une grève de la faim, relatait le quotidien britannique «The Guardian» le 6 janvier 2023. Ils se sont ensuite réinstallés à Ramallah, en 1993. Enfant, Sama’ Abdulhadi aimait le hip-hop et a joué pour l’équipe nationale de football, mais une blessure lui a fait changer de direction. Elle étudie le sound design, la conception sonore à Beyrouth et y découvre la techno lors d’un set du Japonais Satoshi Tomiie.

«J’étais une enfant très en colère. J’étais très agressive et puis, tout d’un coup, les heures [sur la piste de danse] passaient et je ne pensais plus à la politique», avait-elle confié au journal.

Elle part ensuite au Caire, où elle devient ingénieure du son, en passant par l’institut SAE de Londres. Elle ne fait alors plus de sets de DJ que lorsqu’elle rentrait voir sa famille et ses amis à Ramallah. «Des trucs simples, les petites choses de la vie», confiait-elle lors d’une conférence à la Point Blank Music School, toujours à Londres, en juillet 2022. Tout de même, à force, des festivals européens commencent à l’inviter. Mais le tournant majeur de sa carrière professionnelle intervient en 2018. La plateforme de streaming Boiler Room diffuse un set de Sama’ Abdulhadi, à Ramallah, qui atteint, à ce jour, 13 millions de vues. Cela n’est pas courant dans le monde de la techno, encore moins pour une DJ inconnue du grand public.

Depuis ce jour, elle parcourt le monde et a joué au Chili, en Espagne, au Canada, au Brésil, en France, au Portugal, à Londres, etc. Elle mène donc une vie de déplacements constants, qui la conduisent ce mois de septembre à Marrakech. Dans un court documentaire de 2022, toujours par Boiler Room, elle montre, tandis que la caméra l’accompagne, comment elle traverse les checkpoints pour aller depuis Ramallah jouer un set à Haïfa. Les autorités israéliennes lui ont refusé le droit de passer le mur. Elle y arrive ce soir-là. «Nous avions l’habitude de sauter du mur. J’ai sauté du mur. Mais depuis qu’ils ont changé la loi et que la loi est maintenant contre toi, ça n’en vaut plus la peine.» La difficulté est donc de se trouver un chauffeur qui accepte le risque de passer quelques jours en prison en cas de contrôle.

De son travail, son art, elle «pense qu’il s’agit d’une nouvelle forme d’envoi de messages. Ce n’est pas une nouvelle forme de résistance parce que je ne résiste pas à l’occupation avec cela. Comment est-ce que je résisterais à l’occupation avec ça ? Je donne juste aux gens une plateforme pour s’exprimer, ce qui est bon pour eux», explique-t-elle dans ce film. «Peut-être que ça nous relie à l’Occident ? Les Occidentaux peuvent s’identifier à nous, ils se disent : “Oh, mon Dieu ! ils sont comme nous, ils font la fête”. Nous sommes comme tout le monde, vous savez. Tout le monde est comme tout le monde, mais ils ne voient pas ça aux infos. Ils le voient cependant quand vous êtes DJ. Ils se disent : “Oh, mon Dieu, nous étions liés”.» La situation étant ce qu’elle est aujourd’hui, l’humilité de la DJ n’empêche pas d’y entendre une forme de résistance, pacifique, malgré tout.

Scène électro palestinienne
Le succès en ligne de Sama’ Abdulhadi n’a pas seulement boosté sa carrière. Elle raconte ainsi à la Point Blank Music School qu’elle a eu la surprise de voir des Européens, des Allemands, notamment, venir faire la fête à Ramallah. Elle s’étonnait elle-même : «Tu es venu en Palestine pour le Nouvel An, ça va ? Oui». De nombreux évènements étaient organisés, et ce public s’achetait son billet d’avion pour y participer. Toute une scène underground avait émergé, faite de beaucoup de débrouille et de système D, comme on peut bien l’imaginer. Sama’ Abdulhadi se souvient de ce que ses amis, son «syndicat», avait l’habitude de louer des restaurants. Dans l’un d’eux, le propriétaire avait accepté que le dance floor soit dans la cuisine, qui était en fait dans la cave. «On a donc vidé toute la cuisine et on l’a transformée en club improvisé.

La cabine du DJ se trouvait là où était la cuisinière, les lumières passaient par les conduits, car c’est vraiment en sous-sol et pour que la police ne nous trouve pas.» C’est-à-dire, continuait-elle, qu’une fête commence à huit heures, par exemple, et se termine quand la police arrive. Alors, on arrête la musique et on rentre chez soi. Cette cuisine en sous-sol était d’autant plus idéale qu’elle était juste à côté du poste de police, mais coupée de l’extérieur.

Toutefois, Sama’ Abdulhadi estime avoir fait l’erreur d’y organiser un showcase lors de la Palestine Music Expo. Trop de gens — étrangers — y sont venus ce soir-là, disparaissant soudainement dans l’obscurité. Cela a attiré l’attention des autorités, qui ont découvert une véritable rave partie dans la cuisine. Mais ce petit groupe, ce syndicat, est devenu une grosse communauté de gens qui travaillent dans tous les arts et qui s’enseignent les uns aux autres. Les éclairagistes enseignent l’éclairage aux DJs, qui leur apprennent à faire du son. La seule condition est de savoir accepter les commentaires. Ils expérimentent ensemble, prenant différents postes à tour de rôle. Pendant une heure, l’on est DJ, puis, l’heure suivante, ingénieur du son, puis on s’occupe des toilettes.

«Le pire travail au monde est d’être à la porte pendant une heure, parce qu’on rate tout», explique Sama’ Abdulhadi. Toutefois, la scène est trop restreinte pour qu’il soit question d’argent. Tous sont donc des bénévoles et passionnés.

Travail collectif et familial
Sama’ Abdulhadi se souvient aussi de ses cours à la SAE. «Le chef de notre département était ce type, Omar, qui m’a appris à faire le DJ, et il était à fond dans la musique électronique. Il nous enseignait l’histoire de la musique électronique, et il jouait des sets dans la salle de classe. On lisait des articles sur Richie Hawtin et Nicole Mudaber, et ils faisaient partie de l’histoire de la musique électronique.» Elle a aussi travaillé avec Pete Tong et ne revient pas de pouvoir aujourd’hui discuter avec eux comme si de rien n’était.

«Il est bon de savoir ce que l’on a fait et d’apprécier ce que l’on a fait, mais aussi de savoir ce qu’il nous manque et de continuer à travailler dans ce sens, parce qu’on n’y arrive jamais et qu’on n’arrête jamais d’apprendre. Honnêtement, chaque jour est une nouvelle leçon», relativise-t-elle.

Elle enchaîne les festivals, mais apprécie toutes les offres. Même le rôle délicat de «DJ d’échauffement», celui qui ouvre une soirée pour un autre, souvent un plus grand nom. «Je pense que c’est tout un art d’être un DJ d’échauffement, en fait. L’échauffement et la fermeture d’un club sont probablement les deux choses les plus difficiles au monde.» Beaucoup plus difficile que d’être le DJ principal, estime l’artiste. Car les autres doivent tenir compte de ce qui se joue avant et après eux pour préparer leur set. «Il faut respecter le DJ avant et après. Et plus encore, vous devez respecter la foule. Il faut faire en sorte que la soirée se passe bien et qu’il n’y ait pas de changements brusques. J’aime vraiment ça, la façon dont tous les DJs s’appuient les uns sur les autres pour créer une soirée complète.» Tout un art, vraiment. Un set à 11 heures du matin, a-t-elle découvert un jour, est très différent d’un nocturne, ou d’un début de soirée. Elle était «plus détendue, c’était le jour, le soleil était levé, la vie était belle, pas besoin d’être sombre».

L’électro est donc un travail collectif, ne se rend-on pas toujours compte. Mais aussi, dans le cas de Sama’ Abdulhadi, familial. La préparation de son fameux set pour Bolier Room en 2018 s’est faite avec sa mère. La DJ savait que c’était important, même si elle n’anticipait pas les changements radicaux que cela allait apporter dans sa vie. L’invitation est tombée alors qu’elle était en France. Il lui a fallu payer de sa poche un billet pour rentrer en Palestine. C’est-à-dire qu’elle a dû demander à ses parents, qui ne comprenaient pas très bien pourquoi. Ils se sont ensuite effrayés de voir leur fille travailler sur le set à un rythme effréné. Elle enchaînait les nuits blanches en essayant de rendre chaque transition parfaite.

Sa mère lui a alors dit : «Tu nous as fait payer le billet, ça va changer ta carrière, alors il faut que ce soit réussi» et lui a demandé d’établir la liste des tâches à accomplir.

«Et je lui ai dit, OK, j’ai besoin d’écouter toutes les pistes, d’enregistrer le set, réenregistrer le set, d’écouter le set, d’y mettre des notes, de corriger ça, de faire l’intro, da-da-da. Elle a tout noté sur une liste de contrôle, s’est assise à côté de moi et m’appelait pour me demander si j’avais fini les points de repère. Elle ne savait pas du tout ce que ça veut dire. Je lui répondais que non. Et elle me disait “OK, tu dois finir ça, ça, ça, ça aujourd’hui, et ensuite tu pourras dormir”. Et elle ne me laissait pas dormir. Elle restait éveillée. J’adore ma mère et mon père. Ils sont incroyables.» Sama’ Abdulhadi termine souvent ses sets en mixant la voix de son père récitant quelques vers de Mahmoud Darwish. Des fans européens les ont traduits avec des robots électroniques et publiés sur internet, ce qui donne : «Même si nous sommes massacrés sur une pierre, nous ne quitterons pas la fosse / Même si nous sommes massacrés sur une pierre, nous ne dirons pas oui / De notre sang à notre sang, la limite de la terre, / de notre sang à notre sang le ciel de vos yeux, et les champs de vos mains».

Dans plusieurs de ses vidéos, dont la fameuse de 2018, son mix s’ouvre sur des rythmiques nettement africaines. L’électro vient de là, par un très long chemin qui passe chez les ouvriers noirs de l’automobile à Détroit, dans le Michigan, et les bons DJ ne l’oublient jamais. Sama’ Abdulhadi étant indubitablement l’une d’entre eux, l’on attend avec impatience ce qu’elle va jouer en septembre à Marrakech, désormais l’une des capitales culturelles du continent.

Murtada Calamy / Les Inspirations ÉCO

 


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