Culture

Édition. Layla Chaouni: “Le Fennec a pris une approche différente en vendant directement en ligne”

Layla Chaouni
Fondatrice des Éditions Le Fennec

Depuis 1987, les éditions le Fennec ont publié des collections tournées vers les femmes, dirigées par Aïcha Belarbi ou Fatema Mernissi. En moins de vingt ans, la maison a acquis une crédibilité certaine, offrant sans relâche une visibilité à la littérature, aux nouvelles, à la poésie, aux romans graphiques…

Un mot sur la démarche des éditions Le Fennec ?
Au départ, je dois avouer que je n’avais envie de faire que de la littérature, des romans. Mais très vite, j’ai réalisé que c’était un peu utopique dans notre société actuelle. Il y a tout simplement trop peu de littérature et de lecteurs. Les gens ont surtout besoin d’enquêtes et d’études auxquelles ils peuvent s’identifier. Alors, j’ai décidé de créer des collections qui répondent à ce besoin.

La littérature reste une grande passion. J’ai aussi commencé à publier des livres plus généralistes, car j’ai constaté qu’il y avait un vrai manque dans ce domaine. Par exemple, j’ai publié pas mal de livres sur les plantes, et je ne le regrette pas du tout. La traduction fait également partie de notre travail, car il est essentiel de rendre accessibles des textes importants.

En parlant de traduction, où en est-on au Maroc ?
Il y a relativement peu de traducteurs, et cela pose des problèmes. Le coût est un des principaux freins. Par exemple, traduire de l’arabe au français est souvent plus cher, car les traducteurs francophones, qui sont de langue maternelle française, coûtent beaucoup plus cher que les arabophones. Cela représente un coût supplémentaire non négligeable.

En général, on essaie de trouver des partenariats pour partager les frais. Par exemple, nous collaborons avec des éditeurs libanais pour traduire des œuvres : nous achetons ensemble les droits et partageons le même traducteur. Ils publient leur version chez eux, et nous la nôtre ici. Cela permet de réduire les coûts. Il est également vrai que le lectorat arabophone a moins de moyens, ce qui complique encore la situation. Les questions techniques et matérielles nous éloignent vraiment beaucoup de la littérature.

En termes de production, fabrication, tirage… à combien s’élève le tirage moyen d’un ouvrage aujourd’hui ?
Quand j’ai commencé, le tirage moyen d’un livre était de 3.000 exemplaires. Aujourd’hui, c’est plutôt 500. C’est une chute énorme. Je continue à publier des livres de poche, des livres de mon fonds qui se vendent bien depuis des années. Au début, on tirait 10.000 exemplaires, et maintenant, c’est 3.000. Lorsque ces tirages s’épuisent, on ne réimprime plus.

Lors de l’étape de fabrication du livre, quels sont les freins que vous identifiez ?
Concernant la production, nous sommes limités dans le choix du papier. Par exemple, nous utilisons le papier de 80 grammes édition qui est de bonne qualité, mais c’est le seul pour lequel nous ne payons pas de taxes. Tous les autres papiers sont taxés, ce qui augmente les coûts si l’on veut sortir de ce qui se fait déjà. Puisque les quantités ont baissé de manière effroyable, il faudrait que l’on trouve autre chose.

Quelles sont vos vues sur le livre numérique ?
Nous essayons de nous tourner vers le numérique, comme les e-books. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de plateforme fiable pour les vendre, ce qui entraîne des risques de piratage. Nous avons un site marchand, mais nous n’y mettons pas nos e-books pour éviter le piratage. Car nous n’avons pas les moyens de protéger notre site contre ce fléau. Même nos auteurs sont réticents à l’idée des e-books à cause de ça.

Où en est la distribution du livre ?
La distribution des livres au Maroc est en difficulté, avec des librairies qui peinent à survivre. Le Fennec a donc pris une approche différente en vendant directement en ligne. Nous avons développé notre site et nous le mettons à jour régulièrement, quotidiennement.

D’ailleurs, nous avons récemment ajouté notre premier livre audio. Les livres audio coûtent cher, mais nous croyons en l’avenir. Les Tunisiens, par exemple, sont très en avance sur nous, sur ce sujet. Nous espérons pouvoir en proposer plusieurs sur une plateforme internationale. En revanche, nous n’avons pas les moyens de créer et de maintenir une telle plateforme. Il faudrait que l’État nous aide.

Quel type de soutien aimeriez-vous voir mettre en place ?
Nous aimerions une initiative publique qui crée une plateforme pour les livres marocains, en format numérique, avec une visibilité accrue. Au lieu d’une aide ponctuelle à la publication, qui se réduit comme peau de chagrin au fil des ans, ce serait bien qu’il y ait un effort collectif pour promouvoir notre patrimoine littéraire.

Nous savons faire des livres, mais nous manquons de moyens pour tout le reste. Une promotion numérique du patrimoine imprimé marocain serait vraiment bénéfique. La création de prix littéraires serait aussi une bonne chose.

Pas uniquement le prix du Maroc, mais des prix régionaux, faire de la communication autour… Nous savons faire des livres, mais nous manquons de moyens.

Murtada Calamy / Les Inspirations ÉCO



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