Culture

Driss C. Jaydane : “Être palestinien, c’est se voir interdire la grammaire de la victime légitime”

Driss C. Jaydane
Écrivain et enseignant

Le 16 juin, Other Narratives organise une rencontre intitulée «La Palestine : Comment faire face aux discours dominants». Modérée par Mhani Alaoui, elle se tient à la librairie Bloom Books de Casablanca.

Le silence – ou la sidération, d’une grande partie des personnalités publiques de la scène internationale s’explique-t-il par les seuls effets des pouvoirs ?
Le premier niveau d’analyse est, bien sûr, de nature géopolitique. Alliance entre les grandes puissances occidentales et Israël, intérêts économiques et militaires, rôle des lobbys, et médias alignés. Silence stratégique, donc. Mais ce réalisme cynique n’explique pas tout.

Dans l’imaginaire occidental dominant, la figure palestinienne n’appartient pas à la catégorie de la subjectivité historique. C’est l’ombre portée, mouvante d’une non-subjectivité. Ombre menaçante, celle du «terroriste», ombre pitoyable, celle du réfugié à l’éternelle attente de retour. Mais au fond, dans le discours, être palestinien, c’est se voir interdire la grammaire de la victime légitime. Que dire de la fatigue morale ? Devant l’accumulation d’horreurs, des consciences publiques se replient sur des énoncés du type : «C’est trop complexe», «il y a des torts des deux côtés», «il faut attendre la paix». En apparence : neutralité.

Dans les faits : neutralisation morale. Enfin, il doit sans doute exister une sidération réelle… Gaza met à nu un noyau d’inhumanité si brut, qu’il devient difficile de dire sans trahir, de nommer sans banaliser. Certains se taisent par impuissance langagière devant l’horreur, ce qui est l’autre piège, celui d’une Humanité sans voix. Mais il faut distinguer ce silence-là, à la décharge de celles et ceux qui en sont affectés, du silence complice, froid, gestionnaire, diplomatique…

Alors que le penseur Achille Mbembe parle d’une «nécropolitique» à l’œuvre dans le monde, vous évoquez une «ontologie négative», qui chercherait à nier la vie même. Quels seraient les traits caractéristiques de cette négation ?
La Nakba n’est pas seulement un évènement historique daté — 1948, près de 950.000 Palestiniens «déplacés», le terme sera discuté le 16 juin ! Elle est la déchirure inaugurale, non pas simplement d’un exil, mais de l’effondrement du monde comme lieu habitable, à partir duquel seulement on peut se penser.

La Nakba fonde une ontologie négative, donc de l’absence : absence de lieu, de droit, de reconnaissance, de continuité… En cela, c’est un «évènement dé-fondateur». On ne s’étonnera donc pas que la littérature née de la Nakba ne puisse être que fragmentaire. Elle ne peut pas raconter, mais «tente de dire». Elle est silences, effacements… Il s’agit d’une poétique de la négativité : faire parler les vides, écrire à partir du retrait… Son lieu est un «Nonlieu», sans tirets, comme «Banlieu»…

C’est ce qu’exprimait la poétesse Hiba Abu Nada : «Et si un jour, Ô Lumière, toutes les galaxies de l’univers n’avaient plus de place pour nous, tu diras : “Entrez dans mon cœur, vous y serez enfin à l’abri”». Ce poème dit le Nonlieu perpétuel, comme il est dans le même temps prémonition d’un au-delà comme seul lieu possible… Hiba Abu Nada a été tuée [le 20 octobre 2023, à Khan Younès, NDLR].

Comment le Maroc pourrait-il faire entendre une autre voix ?
Ce dont je suis intimement convaincu, c’est que nous devons travailler à une grammaire autre. Ce qui, à partir de la situation qui est la nôtre, est possible. Difficile, long, mais possible. Mais j’en parlerai plus le 16 juin.

Murtada Calamy / Les Inspirations ÉCO



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