Éco-Business

Xavier Reille : «L’écosystème marocain est plus mature et spécialisé»

Xavier Reille
Directeur de la Société financière internationale (IFC) pour le Maghreb et Djibouti.

Cet entretien a été réalisé avec Xavier Reille, directeur de la Société financière internationale (IFC) pour le Maghreb et Djibouti. Il s’inscrit dans le cadre des évènements officiels du gouvernement marocain, organisés en partenariat avec cette institution, en amont des assemblées annuelles du Groupe de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. Pour rappel, les dites rencontres se tiendront à Marrakech en octobre 2023. Premières en Afrique depuis 1973, ces réunions représentent une opportunité unique pour l’IFC de mettre en avant les succès du développement du secteur privé au Maroc et dans le reste de l’Afrique. C’est, en outre, l’occasion de souligner les réalisations du Royaume, depuis soixante ans, dans le cadre de son solide partenariat avec l’IFC .

Pouvez-vous nous dresser un état des lieux de l’entrepreneuriat digital au Maroc et de son évolution ?
Les startups sont la clé pour le développement de l’économie marocaine. Le Royaume en compte, aujourd’hui, plus de 2.000. Étant pour la plupart des petites structures de moins de 10 employés, elles sont un facteur d’innovation et de dynamisme. Leur apport est capital pour la compétitivité du pays. Afin de percer dans ce secteur, le Maroc dispose de nombreux atouts, dont un capital humain reconnu mais également des infrastructures performantes, y compris dans le domaine digital. L’écosystème marocain des startups est bien placé pour devenir une rampe de lancement pour les entrepreneurs désirant lancer leur entreprise, valider leur business model et l’exporter en Afrique, dans le Golfe, en Europe ou encore dans le reste du monde.

Le Maroc comptabilise le 2e nombre le plus élevé de startups en Afrique du nord, après la Tunisie. Il dispose d’un écosystème solide, avec plus de 70 organisations soutenant les startups, dont des incubateurs, des accélérateurs ainsi que la fédération de l’écosystème startup au Maroc. Tous aspirent à faire émerger des licornes dans le Royaume. Toutefois, force est de constater que le Maroc accuse un retard conséquent par rapport aux leaders d’Afrique, à l’heure où la tech africaine est plus que jamais dynamique.

Selon le rapport publié en 2021 par PartechAfrica sur l’état du capital-risque dans le continent, 3,6 fois plus de capital a été investi dans des startups africaines en 2021 par rapport à 2020. C’est un total de 5,2 milliards de dollars qui a été investi à travers 681 opérations de levées de fond. Le Nigéria, l’Afrique du Sud, l’Égypte et le Kenya captent l’essentiel de ces fonds. Le Maroc était en 11e position avec 33 millions de dollars d’investissements à destination de startups marocaines, soit 0,6% des investissements du continent.

L’écosystème marocain compte, à présent, relativement moins de startups, que d’autres pays africains. Il se classe 160e sur 288 pays, selon le Draper innovation index. Cela entrave, ainsi, la création d’emplois dans l’écosystème, avec un taux d’activité entrepreneuriale relativement bas de 8,8%, en dessous de la moyenne internationale de 15%, selon les chiffres du Global entrepreneurship monitoring.

En tant qu’institution internationale, comment jugez-vous cet engouement ainsi que les programmes mis en place pour accompagner les porteurs de projets ?
L’IFC accompagne l’écosystème marocain pour lui permettre de profiter pleinement de son potentiel de talents et d’entrepreneurs en soutenant les entreprises technologiques innovantes. Nous avons lancé des programmes d’accompagnement, comme le projet Morocco climate entrepreneurship, qui a soutenu l’entrepreneuriat vert, en collaboration avec le Cluster solaire et l’Association marocaine des acteurs du secteur des énergies renouvelables.

À travers cette collaboration, des startups ont été accompagnées dans la conception et la commercialisation de solutions dans les énergies propres. Nous avons, en outre, organisé des dialogues public-privé. Nous avons fait des investissements indirects en nous associant à des fonds de croissance, de capital-risque et d’amorçage/accélérateur de premier plan.

À l’IFC, nous reconnaissons le potentiel transformationnel des startups sur la société marocaine. C’est la raison pour laquelle nous avons lancé, en 2021, l’initiative Start Maghreb, qui a vocation à fédérer l’écosystème marocain des startups, les entités régulatrices et les financeurs potentiels pour catalyser le développement de ce secteur à l’échelle du Maghreb. Preuve de l’importance que nous accordons à l’Afrique dans notre stratégie d’investissements pour les startups, l’IFC a investi, à date, dans 16 sociétés de capital-risque (Venture capitalfunds) en Afrique, principalement dans les secteurs de la fintech et de la chaîne d’approvisionnement.

Cependant, 87,5% de la valeur de notre portfolio d’investissement se concentre sur les quatre pays leaders sur le continent. Seulement 6% a été affecté à l’Afrique francophone. L’écosystème marocain est plus mature et spécialisé. Au cours des deux dernières années, nous avons observé l’émergence de plusieurs structures d’accompagnement généralistes ou spécialisées, ainsi que l’installation de structures d’accompagnement internationales au travers des groupes et entreprises marocaines comme l’Office chérifien des Phosphates (OCP), l’Université Mohammed VI Polytechnique et la Caisse de Dépôt et de Gestion (CDG).

Au Maroc, l’IFC accompagne cette mutation à travers diverses initiatives. Elle négocie avec des startups souhaitant effectuer des levées de fonds en Seed ou en Série A et souhaite accompagner plusieurs Venture capitals (VC) et accélérateurs marocains dans leurs démarches de développement et de spécialisation dans des secteurs à fort potentiel. L’institution développe également des programmes d’accompagnement et de levées de fonds dans des secteurs économiques limités au Maroc, comme la green tech. De façon plus globale, notre stratégie d’investissement ou de co-investissement se concentre sur les tendances disruptives dans divers secteurs, notamment la fintech, la health tech, l’agtech, la climate tech, l’edtech, la transformation digitale, la mobilité et la deep tech afin de créer et faire émerger de nouveaux marchés.

À ce jour, l’IFC a investi plus de 2,3 milliards de dollars en capital-risque par le biais de 200 prises de participation dans des startups et des entreprises technologiques, des fonds de capital-risque, des fonds d’amorçage et des accélérateurs sur les marchés émergents dans le monde. Outre ces investissements, l’IFC a développé des programmes ayant pour but de renforcer l’innovation et l’entrepreneuriat dans le domaine des startups, tels que l’initiative dans le genre, pour accroître la représentation des femmes dans le secteur des startups, ou encore le programme TechEmerge, qui favorise le déploiement de technologies et de services innovants dans le domaine des startups dans les pays émergents. Par ailleurs, l’IFC a lancé sa Startup Catalyst en 2016, une plateforme conçue pour investir dans des incubateurs, des accélérateurs et des fonds d’amorçage soutenant des startups innovantes en phase de démarrage dans les marchés émergents par le biais du mentorat, de la mise en réseau et du financement.

Ces actions sont-elles suffisantes pour stimuler le tissu entrepreneurial marocain ?
L’écosystème des startups marocain pourrait atteindre son plein potentiel grâce à la mise en place des dispositifs nécessaires pour réussir sur les différents volets, à savoir réglementaire, financier et législatif. Afin d’accélérer la dynamique et développer un esprit et une culture d’innovation, le Maroc a enclenché plusieurs programmes d’entrepreneuriat, comme Intilaka et Forsa, pour ne citer que ceux-là.

Ces programmes visent à accompagner le changement de paradigme de l’innovation et l’entrepreneuriat. Néanmoins, cela n’est pas suffisant pour alimenter la dynamique globale du secteur. Celui-ci s’appuie également sur les différentes initiatives des acteurs comme OCP, l’Université Mohammed VI Polytechnique et la CDG, qui visent à développer des startups viables, fortes d’un business model solide et d’une capacité de scalabilité importante.

Quels sont les dysfonctionnements qui entravent les mécanismes de financement ?
Les investissements dans les startups technologiques africaines ont atteint 4,9 milliards de dollars en 2021, marquant une augmentation considérable par rapport aux 2,4 milliards de dollars investis en 2020. Toutefois, ce montant reste minime par rapport au financement que les startups ont reçu dans d’autres parties du monde.

À titre d’exemple, en 2021, plus de 100 milliards de dollars ont été investis dans des startups européennes et près de 330 milliards de dollars dans des startups d’Amérique du Nord. Comme tout secteur en plein développement, les startups marocaines font face, aujourd’hui, à des contraintes majeures, dont un cadre juridique et légal non défini et ne disposant pas d’avantages compétitifs pour le développement de ce segment. Il connaît également une limitation des instruments adaptés pour financer les startups. L’écosystème fait aussi face à une rupture de la chaîne de financement des startups avec peu de fonds Série A et Seed. Parmi les contraintes, figure l’ouverture limitée de l’écosystème aux acteurs internationaux ainsi qu’une barrière d’entrée limitative pour quelques secteurs majeurs tels que la fintech et la health tech.

Ces défis ont été discutés lors d’un dialogue public-privé organisé par l’IFC, en partenariat avec le ministère de la Transition numérique et la CGEM, à Casablanca, en décembre 2022. De nouvelles initiatives verront le jour dans les prochaines semaines afin d’adresser ces contraintes et de donner un nouvel élan à l’essor de l’écosystème.

Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO


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