Tourisme : La Cour des comptes épingle la SMIT
La Cour des comptes a encore frappé. Les équipes de Driss Jettou ont en effet passé au scan la Société marocaine d’ingénierie touristique (SMIT). Réalisation d’études d’ingénierie touristique, promotion des investissements, contribution à la mise en œuvre de la Vision 2020, situation financière et comptable… les magistrats de la juridiction financière ont passé au peigne fin tous les aspects liés à la SMIT.
Études stratégiques
Insuffisance et manque de pertinence
Selon ses statuts, la SMIT est chargée de mener les études nécessaires à la définition et à la mise en œuvre de la stratégie de développement du tourisme arrêtée par les pouvoirs publics. Or, constatent les auditeurs, les études stratégiques réalisées par la SMIT depuis sa création portaient uniquement sur des actions en relation avec sa propre réorganisation. Elles ne détaillent pas le processus de mise en œuvre des différentes composantes des visions publiques en matière de tourisme. En tout et pour tout, la SMIT a mené quatre études pouvant être qualifiées de «stratégies» durant toute la période 2011-2014 sur un ensemble de 103 études. La direction s’en défend: «les études effectuées peuvent bien être considérées comme stratégiques partant de la définition de la stratégie qui est «un ensemble d’actions coordonnées en vue d’atteindre un objectif précis». S’agissant du produit touristique, la SMIT a passé des marchés pour faire réaliser des études auprès de cabinets privés, et ce pour un montant global de 11,73 MDH sur la période 2010-2014. En conclusion, «le métier de l’ingénierie touristique semble encore être à un stade embryonnaire au sein de la SMIT en termes de contenu des études réalisées et de valeur ajoutée de celles-ci pour l’investissement touristique», estiment les magistrats.
Promotion
158 prospects, seulement 3 conventions
La SMIT a aussi pour mission la promotion des investissements touristiques. Elle est principalement menée via la participation aux salons internationaux spécialisés, l’organisation de road-shows, des contacts B-to-B ou des mailings. Ainsi, la SMIT soutient qu’elle a approché, entre 2012 et 2015, un total de 158 prospects. Toutefois, il faut signaler que ces nouveaux contacts ont été menés essentiellement dans la région MENA, soit près de 60% de l’ensemble des actions. «Les résultats ont été modestes, puisque seulement trois conventions ont été signées», constatent les magistrats. Dans sa réponse, la SMIT assure ce choix: «La zone Mena est considérée comme une zone prioritaire, au vu de la concentration des investisseurs susceptibles de porter les projets structurants». En tout cas, les conventions, au nombre de dix sur la période précitée, ont été signées essentiellement à l’occasion des rencontres type B-to-B ou des road-shows. Par contre, le bilan des participations aux forums est nul en termes de conventionnement. Il a aussi été relevé, à ce titre, que le site Internet de la SMIT n’est pas encore pourvu de données, même sommaires, concernant les projets touristiques à placer auprès des investisseurs. La conclusion des magistrats est sans appel: «Après plus de huit ans d’existence, la société n’a pas pu développer une réelle activité de démarchage lui permettant de participer activement à la promotion des investissements touristiques».
CPR
Contribution limitée de la SMIT
Le contrat-programme de la Vision 2020 a prévu l’élaboration de contrats-programmes régionaux (CPR) de développement touristique s’inscrivant dans le cadre des orientations définies pour chacun des territoires, au plus tard à fin décembre 2011. Le rapport de la Cour des comptes pointe une contribution limitée de la SMIT dans le processus de mise en œuvre des CPR. En effet, la SMIT a été chargée explicitement, au niveau de ces contrats, des actions relatives à l’identification du foncier, au développement de préconcepts, au placement des projets via le démarchage des investisseurs ainsi qu’à la sélection des aménageurs-développeurs et la contractualisation des engagements en matière de valorisation des lots touristiques. Cependant, il a été remarqué que la SMIT s’est engagée dans une série d’études sans pouvoir amorcer une vraie dynamique de mise en œuvre des produits touristiques. Par ailleurs, la SMIT soutient que le taux d’avancement des CPR a été de 73% à mi-2015. Or, l’analyse de la situation détaillée des projets engagés dans le cadre des CPR a permis de relever que plusieurs projets cités pour justifier les montants engagés par région n’étaient même pas inscrits au départ dans les CPR, et que le caractère touristique de plusieurs projets n’est pas avéré. Mieux encore, une autre situation fournie par le ministère du Tourisme fait ressortir que le taux de réalisation des projets issus des CPR est de 0,29% à fin juin 2015!
Gestion du foncier
Absence de stratégie claire
Les missions attribuées auparavant à l’ex-SONABA et l’ex-SNABT, reprises à partir de 2008, par la SMIT sont liées au développement de l’aménagement des baies d’Agadir et de Tanger, au placement et à la commercialisation des terrains à l’état brut ou aménagés et au suivi de la valorisation des terrains équipés en vue de la réalisation de projets structurants et de haut intérêt. Seulement, l’examen du processus d’aménagement de ces terrains a donné lieu à plusieurs constats alarmants. La Cour constate une absence de stratégie claire en matière d’aménagement de l’ensemble des secteurs composant les lotissements Founty I et Founty II. «Cette situation explique en grande partie le retard considérable enregistré dans le développement de l’intégralité de ladite cité. De fait, certains secteurs ont été réceptionnés en 1999, alors que d’autres ne l’ont été qu’en 2014», explique-t-elle. Les magistrats pointent aussi des changements récurrents dans la conception urbanistique des lotissements et le manque de coordination avec les autorités compétentes en matière de délivrance des autorisations et attestations relatives aux travaux d’équipement de la cité Founty. En termes de procédures administratives, «la SMIT détient une part importante de responsabilité par rapport au retard constaté dans la délivrance des autorisations et des attestations prévues par la réglementation en vigueur», précise le rapport.
Situation financière
La SMIT vit de la cession de ses terrains !
L’analyse de certains indicateurs comptables et financiers de la SMIT a révélé des éléments de fragilité. En effet, sur toute la période 2010-2014, le résultat d’exploitation est négatif malgré l’appui budgétaire annuel de l’État. Aussi, la SMIT n’assure pas un niveau régulier de produits d’exploitation qui varient sur la période étudiée en dents de scie. Ces derniers suivent en effet le rythme des ventes de terrains dont elle dispose, qui constituent sa principale source de revenus. Pour les produits générés par le cœur de métier de la SMIT, à savoir «l’ingénierie touristique», ils restent faibles. En outre, la SMIT reçoit annuellement une subvention du ministère du Tourisme de 19,7 MDH. Mais en dépit de ce soutien, «la SMIT est une entreprise qui vit de la cession de son patrimoine foncier et non de sa propre production, notamment en services de conseil et d’ingénierie touristique», déplore le rapport de la Cour des comptes.
RH
Recrutements en catimini !
À fin 2014, la SMIT disposait d’un effectif de 104 agents composé de 81 cadres et ingénieurs, 8 agents de maîtrise et 15 employés. La masse salariale de la société, quant à elle, a plus que doublé entre son démarrage en 2008 et 2014, alors que son effectif est passé de 94 à 120 personnes (y compris les prestataires) sur la même période. Pour les recrutements, les magistrats ont constaté que la SMIT ne procède pas systématiquement à la publication des avis de recrutement. En effet, pour 80 recrutements, sur la période sous revue, seuls 30 ont fait l’objet d’un avis de recrutement. Aussi, les résultats de la procédure de recrutement ne sont pas toujours publiés. Pour les prestataires de services liés à la SMIT par des contrats d’assistance-conseil, l’analyse des dossiers y afférents a montré que certains desdits contrats portent sur des missions à caractère général et non précis. Et à l’exception de deux prestataires de services, la SMIT n’a pas été en mesure de produire à la Cour des éléments justifiant l’exercice par les prestataires d’activités au profit de la société, surtout que certains contrats précisent que le prestataire doit remettre un rapport mensuel sur les prestations réalisées.
Les recommandations de la Cour
À l’issue de leur mission, les magistrats de la Cour des comptes ont émis plusieurs recommandations. Ils recommandent à la SMIT de revoir son modèle d’affaires maintenu jusqu’à présent grâce à une situation de rente dont elle bénéficie depuis sa création, vu son incohérence avec son statut de société. Le nouveau modèle doit mettre en avant les principes de productivité, de rentabilité et généralement ceux des entités créatrices de valeur. Ils appellent aussi la société à faire preuve de plus d’efficacité dans ses actions de promotion et de démarchage des investisseurs. À ce niveau, il est recommandé à la société d’accomplir cette mission dans le cadre d’une stratégie globale et bien définie, déclinée en plans d’action avec des objectifs clairs et quantifiables. La SMIT est aussi appelée à remplir pleinement ses engagements dans les processus de déploiement et de réalisation des politiques publiques en matière de tourisme, et plus particulièrement ceux de la Vision 2020 et ses contrats-programmes régionaux. Enfin, la société est sommée d’assurer davantage de transparence dans la gestion des ressources humaines, notamment lors du recrutement, et d’éviter toute situation de cumul de rémunérations ou d’imprécisions dans les tâches à accomplir par les experts contractuels.