Ras-le-bol des diagnostics !
Les participants à une table ronde organisée par le PPS ont conclu qu’il faut agir sans perdre de temps dans un diagnostic qui ne sera jamais partagé par tous.
Plus de trois mois après le discours royal à l’occasion de la rentrée parlementaire où le souverain a relaté l’échec du modèle de développement du pays, le débat à ce sujet ronronne comme une machine qui du mal à démarrer. Hormis quelques rapports concoctés à la hâte, l’institution législative et les partis politiques semblent ne pas savoir comment aborder un sujet aussi sensible. Si on le prend comme un devoir au sens scolaire du terme, la résultante risque d’être que ceux qui sont au pouvoir n’arrivent toujours pas à se remettre en question pour libérer les idées et les langues. Un ministre serait moins enclin à critiquer ses collègues actuels ou passés au risque de se faire lui-même harponner. Alors on prend le sujet avec des pincettes en faisant attention aux limites d’un exercice qui remet en question toutes les obédiences politiques et sociales depuis l’indépendance du Maroc. Un parti comme le PPS a inscrit la réflexion sur le modèle de développement à l’agenda même de son 10e congrès national prévu en mai prochain. Jeudi soir à l’occasion d’une table ronde organisée à son siège flambant neuf à Rabat, Nabil Benabdellah a expliqué que quand bien même l’actuel modèle a beaucoup donné pour le développement du pays, il a montré ses limites. Pour le SG du parti du livre, la gouvernance de ce modèle doit se faire à travers l’État de droit appliqué au domaine économique y compris lorsqu’on interroge le phénomène de rente. L’idée est de répondre à la question de «comment renforcer l’économie nationale tout en veillant à la répartition équitable d’un point de vue spatial et social et ce ne sont pas les compétences qui manquent pour lancer une réflexion profonde et produire des idées nouvelles.
Faible qualité de la croissance
Le nouveau ministre de l’Aménagement du territoire, de l’urbanisme, de l’habitat et de la politique de la ville, a insisté sur le fait que ce débat ne doit pas nous détourner des choix essentiels du pays. «Tout le monde s’accorde sur le fait qu’il y a un échec qui, malgré les efforts déployés, fait que le Maroc n’a pas pu résoudre des problématiques basiques comme celles liées à la santé, l’enseignement et l’emploi», a repris Abdelahad Fassi Fihri. Le président de la commission politique du congrès a ajouté dans ce sens que le taux de croissance ne se traduit pas par des créations d’emplois substantiels. En fait, comme l’a signalé Mohamed Benmoussa, économiste, la qualité du point de croissance en matière de création d’emploi au Maroc a chuté de 50.000 emplois dans les années 1980 à 10.000 aujourd’hui. Quant aux plans sectoriels, ils n’ont pas eu d’impact sur le niveau de vie des citoyens. Il en découle une contradiction entre le développement économique et celui social que l’on a longtemps mis en berne. Fassi Fihri a résumé ce phénomène en affirmant que les politiques sociales revêtent un caractère de réparation et non de construction réfléchie.
On n’a jamais eu de modèle
Par quoi faut-il alors commencer pour changer la donne et hisser le Maroc au rang des pays émergents ? Les participants à la table ronde sont unanimes quant à la nécessité d’une planification moderne et respectueuse des spécificités territoriales et spatiales. Sur ce registre, Abdelouahed Souheil, membre du bureau politique du PPS et ancien ministre, n’y est pas allé de main morte pour dire que «la planification doit être un outil de démocratie participative reproduisant les choix des Marocains». Dans ce sens, a-t-il ajouté, le pilotage économique qui correspond à la nature même du pouvoir et de l’État doit être élucidé. Souheil a pris tout le monde de court en énonçant qu’il n’y a jamais eu de modèle économique au Maroc. Il y avait des choix économiques par le biais de plans tantôt quinquennal tantôt triennal. Triturant les pages de l’histoire récentes du pays, ce fin connaisseur a expliqué que certains choix pourtant judicieux ont été récupérés par l’économie de rente comme la levée des barrières douanières ou la marocanisation de certaines activités économiques dans les années 1980.
Le subterfuge du diagnostic
Au-delà des escarmouches intellectuelles sur la nécessité ou non d’un diagnostic de la situation du pays avant d’aller au charbon, Benmoussa croit qu’il s’agit d’un subterfuge pour procrastiner. Il est clair qu’il faut avoir la volonté de changer pour être sérieux dans l’exercice qui consiste à réfléchir sur le modèle de développement du royaume. L’économiste estime qu’il existe d’abord une problématique de gouvernance politique et dans le processus de prise de décision, de mise en oeuvre et de reddition des comptes. La Corée du Sud, la Malaisie et l’Indonésie avaient le même niveau social que le Maroc dans les années 1960, mais grâce à une volonté politique assumée claire et cohérente, leurs PIB est dix fois plus élevé que celui du Maroc. Aujourd’hui encore, la croissance économique au Maroc en plus du fait qu’elle ne soit pas inclusive, est fragile, volatile et dépendante des caprices du ciel. «Nous sommes dans l’incapacité de contrebalancer les aléas liés à l’agriculture», tranche Benmoussa.
L’économie marocaine n’est pas libérale
Pour Driss El Azami El Idrissi, ex-ministre PJD du Budget et maire de Fès, les forces vives du pays n’ont pas pris le temps de réaliser un diagnostic en profondeur. «Nous avons atteint un plafond en matière d’investissements, d’endettement et dans la capacité de création d’emplois et de richesses», a-t-il tonné. Et El Azami de jeter une pierre dans la marre en soutenant que «nous n’avons pas une économie libérale, l’initiative n’est pas libre au Maroc contrairement à ce que l’on pense». Et d’ajouter que le Maroc vit des contradictions à tous les niveaux politique, économique et sociétal. «Nous vivons un problème de planification stratégique au Maroc avec une inflation des horizons de réalisation. Il n’y a pas encore de débat tous azimuts au Parlement et au sein des institutions à ce sujet alors que les niveaux de croissance sont loin d’être suffisants», a-t-il poursuivi. Cette dichotomie mise en avant par El Azami est également pointée par Mohamed Chiguer. Le président du Centre Aziz Blal pour les études et la recherche explique dans ce sens que depuis 1993, le vrai problème au Maroc est la confrontation de deux modèles celui des politiques publiques basé sur les institutions financières mondiales et le modèle marocain qui réellement crée la richesse.
Éclatement de la responsabilité territoriale
Pour Abdelali Doumou, nouveau membre du PPS et ex-président de la région de Marrakech-Tansift-El Haouz, il faut d’abord commencer par définir les concepts dans le sens où l’on n’est pas encore au stade de modèle de développement qui sous-tend l’existence de certains prérequis politique, économique et social car l’économie de rente est telle qu’elle menace toute bonne volonté de changer de système. «Nous voulons une économie libérale basée sur la concurrence, l’innovation et une distribution équitable de la richesse», a-t-il soutenu. Se basant sur son expérience à Marrakech, Doumou a expliqué que certains modes de gestion de l’urgence sont dépassés. Alors que la région de Marrakech se voyait allouer des budgets d’investissement cumulés de presque 100 MMDH, la région s’est trouvée d’abord confrontée à la gestion des dérogations. Doumou a mis en exergue l’existence d’une crise de responsabilité. «Le wali n’est pas responsable d’un point de vue institutionnel car il ne dispose pas du pouvoir d’arbitrage entre les différents intervenants, idem pour les délégués ministériels et autres responsables régionaux», a-t-il regretté.