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Produits financiers : Les ETF sous la loupe d’un sociologue

Légitimer les produits financiers, autrement dit les faire accepter par un public plus large, est un processus de longue haleine. Mohamed Oubenal, aujourd’hui chercheur en sociologie à l’IRCAM, a décortiqué ce processus et dévoile ses conclusions dans un livre intitulé «La légitimation des produits financiers. Le réseau de promotion des «exchange traded funds» (ETF) en France».

Aborder les produits financiers et leurs marchés d’un point de vue sociologique est le défi relevé avec brio par ce lauréat de Paris Dauphine. Mohamed Oubenal, aujourd’hui chercheur à l’IRCAM, s’est attelé durant ses 4 ans et demi de doctorat à étudier les mécanismes sociaux ayant conduit à la légitimation des produits financiers et particulièrement les ETF (exchange traded fund ou encore tracker). Son travail de recherche a donné lieu à la publication d’un livre intitulé «La Légitimation des produits financiers. Le réseau de promotion des «exchange traded funds» (ETF) en France».

Plus précisément, le sociologue a passé au peigne fin «les infrastructures relationnelles qui rendent possible les transformations culturelles, notamment la position centrale ou périphérique des acteurs, leur coopération, le contrôle social qu’ils exercent ou leur association avec des experts qui légitiment leurs activités». Brokers, traders, marketeurs, régulateurs, investisseurs et journalistes sont ainsi passés sous la loupe du sociologue, lui permettant de relever l’essentiel de ces différentes interactions. L’enseignement qui en découle est que la légitimation se fait selon trois modalités.

La première modalité concerne «la création de niches sociales où se déploient la coopération entre entrepreneurs rivaux, l’exercice d’un contrôle social sur les récalcitrants qui risqueraient de délégitimer certaines formes d’action collective et enfin l’apparition d’un ou plusieurs acteurs disposant d’un statut social suffisant, central ou particulier, permettant de valider et d’autoriser certaines formes de légitimité plutôt que d’autres». La deuxième modalité consiste en le contrôle social qui touche notamment les médias. Le premier niveau de ce contrôle réside dans la rétention d’information. Le seul interlocuteur des journalistes étant le marketeur, l’information qui en découle est simplifiée voire simpliste, et s’articule essentiellement autour de la promotion des avantages des ETF, notamment des produits simples et transparents.

Le sociologue cite notamment l’exemple consistant à «acheter les 40 actions du CAC40 en une seule opération. Autrement dit, une réplication physique». «Pourtant, la faillite de Lehman Brothers a révélé que ces produits sont bien plus complexes (fixation du prix difficile selon le sous-jacent, utilisation de produits dérivés, soit une réplication synthétique, ou encore usage du prêt de titres en réplication physique)», souligne-t-il. L’étude réalisée par le sociologue sur 1.027 articles parus dans la presse entre 2001 et 2008 révèle que les risques des ETF n’étaient pas abordés avant la crise.

Le deuxième niveau de ce contrôle social réside dans le rappel à l’ordre amical. Dans le cas où un journaliste écrit quelque chose de dérangeant, il est systématiquement appelé par le marketeur. Le troisième niveau du contrôle social est la sanction financière. La dernière modalité consiste, elle, en la légitimation académique du produit. Cette étude réalisée par Oubenal s’inscrit dans la lignée de ce que l’on appelle les Social studies of finance. Il s’agit d’un sous-domaine de la sociologie qui a émergé durant les années 2000 et dont la finalité est d’apporter un éclairage autre que la vision des économistes pour expliquer et comprendre les phénomènes économiques.


 

Mohamed Oubenal
Chercheur à l’IRCAM

Les Inspirations ÉCO :  Qu’est ce qui a motivé le choix de ce sujet ?  
Mohamed Oubenal : Au moment où je terminais mon master 2 en sociologie économique à l’Université Paris-Dauphine, la crise financière touchait de plein fouet l’économie mondiale; je voulais donc préparer un doctorat qui soit en relation avec ce qui se passait. Les ETF ont alors attiré mon attention parce qu’ils constituaient un produit financier qui collectait des fonds au moment où une grande partie d’instruments financiers étaient décrits comme complexes. Cette réussite des ETF était, en partie, fondée sur un discours marketing qui consistait à dire qu’ils étaient simples, transparents et peu chers.
 
Quelle est la principale conclusion de votre travail ?
En partant de l’exemple des ETF en France, et en faisant des comparaisons avec des études qui ont porté sur d’autres produits financiers, je suis arrivé à définir le processus de légitimation des produits financiers. Celui-ci passe par trois modalités. Il s’agit de la coopération entre des acteurs financiers concurrents, via l’échange intense d’informations dans le cas des ETF. La deuxième modalité consiste en le contrôle social des récalcitrants. Pour le marché des ETF, cela a concerné les journalistes. La troisième modalité est la mobilisation d’acteurs ayant un statut particulier. Les économistes de l’EDHEC-Risk ont ainsi joué un rôle important dans la légitimation académique des ETF.

Qu’en est-il de votre analyse des articles de presse?
L’étude exhaustive réalisée entre 2001 et 2008 a fait ressortir l’inexistence de la thématique des risques des ETF avant la crise financière. L’année 2007 marque un tournant puisqu’on commence à mentionner les risques de contrepartie et de l’utilisation de produits dérivés. 


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