Mobilité durable : encore du chemin à faire !
Ces dix dernières années, le Maroc a accompli des progrès indéniables en matière de développement d’infrastructures modernes et de modes de transports innovants. Toutefois, les Marocains, qui éprouvent encore bien des difficultés à se déplacer, méritent mieux, à en croire le CESE.
Casablancais et Rbatis peuvent être légitimement fiers de leurs tramways et de leurs bus à haut niveau de service (BHNS) électriques alors qu’à Tanger et Kenitra, on revendique les performances de la ligne à grande vitesse, Al bouraq. À l’opposé, le modèle d’organisation du transport des personnes et des biens, tant en milieu urbain que rural, s’avère complexe, car ayant atteint ses limites, face à une demande exponentielle. C’est du moins ce que constate le Conseil économique, social et environnemental (CESE) qui a présenté, mercredi, lors d’une rencontre virtuelle, son diagnostic à ce sujet, intitulé «la mobilité durable : vers des moyens de transport durables et accessibles».
Dans un document de synthèse de 25 pages, le CESE, qui s’est penché sur l’opportunité de développement d’une mobilité durable au Maroc, note que, malgré des décennies d’efforts de planification et d’investissement dans les infrastructures routières et ferroviaires ainsi que le développement notable de l’industrie automobile, nombre de lacunes persistent, constituant autant de freins au développement de la mobilité durable.
«Une des principales carences concerne la quasi-absence d’une politique-stratégie de la marche non contrainte, la circulation à vélo, sans et avec assistance électrique (VAE), en cyclomoteur ou encore intégrant les nouveaux engins de déplacement personnel motorisés (trottinette, hoverboard, gyropode, etc.), dans des conditions de sûreté et de sécurité optimales», regrette le CESE avant d’affirmer qu’un tel déficit pose de sérieux défis, d’autant plus que la majorité des accidents de la route résultent de la circulation en ville. À cela s’ajoute «une offre de mobilité inadaptée, insuffisante et qui oriente la demande vers des moyens non durables». La Région Casablanca-Settat constitue un exemple révélateur des défis de la mobilité urbaine.
En effet, la majorité des déplacements dans la région la plus peuplée du Maroc (20% de la population), avec le PIB le plus élevé (30%), se font à pied (à peu près 62%), la part des transports en commun (autobus et tramways) s’élèvant à 12%. Ce pourcentage s’établit à 13% pour les voitures individuelles et à 9% pour les taxis.
Plus grave, le département, dirigé par Ahmed Reda Chami, souligne qu’il existe, actuellement au Maroc, à peine 1% de véhicules propres, dont 300 électriques et 2.000 hybrides. Un tel déficit, en matière de moyens de transport publics durables et de mobilité électrique, risque, non seulement d’aggraver la dépendance vis-à-vis des énergies d’origine fossile importées, avec les conséquences qui en découlent en termes de déficit budgétaire, mais encore de creuser les inégalités sociales et d’amplifier les impacts négatifs sur l’environnement, explique le CESE.
Dès lors, les moyens de transport publics doivent être privilégiés, à l’instar de ce qui se fait dans d’autres contrées, où les habitants bénéficient d’autobus hybrides, électriques et même fonctionnant à l’hydrogène vert issue de l’électrolyse de l’eau. Globalement, l’offre de transport en commun disponible reste insuffisante par rapport aux besoins des populations, aussi bien dans les zones urbaines denses que dans les aires rurales dispersées ou enclavées. Face à cette situation, qui impose aux villes le défi de réguler les flux de véhicules particuliers et de gérer les nuisances et la pollution qui en résultent, le conseil préconise le développement d’un système intégré de la mobilité durable.
Ce dernier visant, en priorité, à améliorer l’accessibilité pour tous à des moyens de transport en commun durables, limitant ainsi la dépendance au véhicule particulier et réduisant les fractures spatiales et sociales. Le CESE, en tant qu’ institution indépendante consultative, ayant pour rôle la réalisation d’études et de propositions pour le compte du gouvernement et du Parlement, insiste sur la nécessité de réformer le dispositif réglementant les taxis, en vue d’une professionnalisation accrue et dans la perspective d’une possible libéralisation.
Parmi les autres recommandations phares, on peut citer l’accélération de l’exécution du contrat-programme de développement des plateformes logistiques routières, à la périphérie des villes, avec leur connexion au rail, et la mise à niveau du Code de la route et de la sécurité routière, pour le rendre compatible avec les principes de mobilité durable. Mais ce n’est pas tout, l’institution préconisant, également, à ce que des solutions techniques et technologiques durables soient progressivement déployées, pour autant qu’elles soient adaptées aux besoins de toutes les catégories d’usagers et aux différentes échelles territoriales.
À cela, il faut ajouter l’impératif de mise en œuvre d’un modèle économique de mobilité durable, intégrant la condition sociale, la qualité de l’air, l’état de santé et le bien-être des populations ainsi que l’élaboration de programmes de formation initiale et continue, dans tous les domaines et métiers de la mobilité durable. Pour finir, le CESE insiste sur la nécessité de déployer une stratégie de communication adéquate, visant à sensibiliser la population à cette question, via des contenus pédagogiques portant sur l’environnement, les conséquences sur la santé et les progrès technologiques.
Repenser l’acte d’investir
«De telles carences et défis doivent interpeller les pouvoirs publics afin de reconsidérer le système de transport actuel dans son ensemble. L’acte d’investir doit être entièrement repensé et inclure impérativement, au-delà des analyses descriptives, qui n’intègrent pas les coûts non économiques directs et indirects, les aspects suivants : l’accès à l’éducation, aux opportunités d’emploi, aux lieux de vie et à la culture, l’optimisation du temps de trajet, la cohésion sociale, les besoins sectoriels et l’attractivité des territoires, la consommation d’énergie, l’empreinte carbone, la qualité de l’air, la santé, le bien-être…», écrit le CESE.
Khadim Mbaye / Les Inspirations ÉCO