Les six projets qui vont structurer l’industrialisation marocaine

Avec l’«Offre Maroc», le Royaume passe de la stratégie à une première phase d’exécution industrielle. Six projets majeurs viennent d’être validés, incarnant une ambition aussi géopolitique qu’énergétique. Décryptage.
Le 6 mars 2025 a marqué une nouvelle étape dans la trajectoire énergétique du Maroc. À travers l’annonce officielle de la sélection de cinq consortiums industriels pour développer six projets d’hydrogène vert, le pays franchit un seuil décisif, traduisant en engagements concrets une stratégie formulée dès 2021.
Ces projets totalisent un investissement de 319 milliards de dirhams, soit près de 32,5 milliards de dollars, et s’inscrivent pleinement dans l’ambition de faire du pays un hub régional pour l’hydrogène et ses dérivés.
Implantés dans les régions du sud – Dakhla-Oued Eddahab, Guelmim-Oued Noun et Laâyoune-Sakia El Hamra – ces projets visent à produire de l’ammoniac vert, des carburants industriels synthétiques et de l’acier vert. La sélection a été menée selon une méthodologie scientifique, garantissant la solidité financière et technologique des consortiums, ainsi que leur capacité à s’insérer dans une logique de développement local durable. Chaque site bénéficiera d’une allocation foncière de 30.000 hectares, dans le cadre d’un parc national d’un million d’hectares réservé à cette filière.
Des consortiums internationaux aux ambitions diversifiées
Parmi les groupes sélectionnés, cinq grands ensembles industriels illustrent la diversité des approches et des nationalités mobilisées : ORNX Green Hydrogen, réunissant Ortus (États-Unis), Acciona (Espagne) et Nordex (Allemagne), développera à Dakhla un projet d’ammoniac vert issu de l’électrolyse de l’eau ; le consortium Taqa-Cepsa, formé par l’émirati Taqa et l’espagnol Cepsa, se concentrera sur la production de carburants industriels à Guelmim ; Nareva, filiale du groupe Al Mada, pilotera un projet intégré autour de l’ammoniac, des carburants et de l’acier vert à Laâyoune ; ACWA Power, groupe saoudien de premier plan, vise la production d’acier vert en utilisant l’hydrogène comme agent réducteur ; enfin, UEG et China Three Gorges, deux acteurs majeurs de l’énergie en Chine, misent également sur l’ammoniac vert avec un projet implanté à Dakhla.
Cette cartographie montre non seulement une diversité de nationalités, mais aussi de segments industriels, ce qui permet de couvrir l’ensemble des usages et de minimiser les dépendances.
Une chaîne de valeur complète, de la production à l’export
Au-delà de la seule production d’hydrogène, ces projets se distinguent par leur intégration verticale. Il ne s’agit pas simplement de produire de l’hydrogène par électrolyse à partir d’énergies renouvelables, mais bien de maîtriser l’ensemble du cycle : valorisation en ammoniac ou e-fuels, stockage, transport et exportation.
Cette logique intégrée vise à maximiser la valeur ajoutée locale, tout en positionnant le Maroc sur les standards d’export exigés par ses partenaires, notamment européens. Les infrastructures, ports, unités de dessalement, lignes haute tension, devront être mutualisés et dimensionnés pour répondre aux exigences logistiques de cette nouvelle filière.
Des retombées économiques promises pour les régions du sud
Les projets validés sont aussi conçus comme des leviers de développement territorial. Selon les projections des autorités, plusieurs milliers d’emplois directs et indirects pourraient être créés dans les phases de construction, d’exploitation et de maintenance. Ils devraient aussi dynamiser l’écosystème local de formation, de sous-traitance et d’ingénierie.
Cette dynamique permettra de structurer des chaînes industrielles décentralisées, rompant avec une logique de centralisation économique. Elle s’inscrit également dans l’objectif plus large de réduction de la dépendance énergétique du pays, encore fortement tributaire des importations d’ammoniac et de combustibles fossiles.
Des défis à relever pour garantir la compétitivité
Mais cette montée en puissance n’est pas sans obstacles. Des défis majeurs en conditionnent la réussite. L’infrastructure, d’abord, ports, réseaux électriques et usines de dessalement doivent suivre le rythme des projets. La réglementation ensuite, car il faudra des normes claires, stables, alignées sur les marchés européens.
Le financement, à la hauteur des montants engagés, devra combiner capitaux publics, institutions multilatérales et partenariats privés. L’intégration industrielle locale pourra faire émerger un tissu d’entreprises marocaines dans la chaîne de valeur. La compétitivité à l’export, enfin, qui imposera au Maroc de répondre à des critères stricts de durabilité, de traçabilité et de performance énergétique.
Une trajectoire cohérente avec la stratégie énergétique nationale
Ces six projets s’inscrivent dans une vision long terme déjà amorcée par les succès du Maroc dans les énergies renouvelables. Avec une capacité installée représentant 45% de son mix électrique en 2024, et un objectif de 52% d’ici 2030, le Royaume possède une base solide.
L’hydrogène vert apparaît comme une extension naturelle de cette stratégie. Il offre des débouchés industriels, commerciaux et diplomatiques, à un moment où l’Europe recherche activement des fournisseurs fiables dans le cadre de son Pacte vert.
Vers une souveraineté énergétique ancrée dans l’industrie
Avec ces six projets, le Maroc ne se contente pas de produire une énergie propre. Il amorce la construction d’un nouvel appareil industriel, adossé à une ressource stratégique et aligné avec les exigences de durabilité. À condition de réussir le pari de l’intégration locale, le Royaume pourrait devenir, d’ici dix ans, un des rares pays à maîtriser toute la chaîne hydrogène – du soleil à l’acier, de l’ammoniac à l’e-fuel.
Sanae Raqui / Les Inspirations ÉCO