Éco-Business

Le Maroc dilapide son dividende démographique

La transition démographique au Maroc n’a pas engendré de miracle économique pour le moment. Résultat: le marché de l’emploi est sous tension.

Youssef Courbage est un démographe mondialement reconnu. Parmi ses champs d’investigation privilégiés, on retrouve le Maroc. Ce directeur de recherches à l’Institut national d’études démographiques (INED) de Paris avait publié en 2007, avec son collègue Emmanuel Todd, une étude qui avait fait date: «Révolution culturelle au Maroc: le sens d’une transition démographique». Le démographe libanais est de retour en terre marocaine pour vérifier, une décennie après, les hypothèses émises dans sa première étude. Il a été invité par l’Institut CDG à Rabat, le 5 octobre, à livrer ses dernières observations sur la transition démographique au Maroc et ses effets sur la croissance. Son principal constat: «Le « miracle démographique », qui est pourtant bien là, n’a pas eu un pouvoir suffisant pour engendrer un autre miracle, économique celui-là. En atteste le décalage abyssal entre les créations effectives d’emploi et les besoins requis en vue de résorber quelque peu le chômage».

Du bonus au malus
Les projections réalisées en 2007 par les démographes promettaient au Maroc «un avenir rose». La baisse continue de la fécondité (2,4 enfants/femme en 2013), une croissance économique passant de 2,2% durant la décennie 90 à 4,8% dans les années 2000, laissait espérer ce miracle économique. Or, le Maroc sera rattrapé par l’effet de la crise économique mondiale depuis 2008. Le dividende démographique consiste en la disponibilité d’une population «productive, capable d’assurer un maximum de production économique, avec peu de transferts de richesse nécessaire vers les enfants et les personnes âgées – donc beaucoup d’épargne possible. En retour, une période de forte croissance économique est possible», résume l’ONU. «Le Maroc dilapide son dividende démographique», regrette Courbage. Ce bonus, l’arrivée massive de jeunes (15-29 ans) sur le marché de l’emploi, s’est en transformé en malus. Chaque année, le Maroc se doit de créer 350.000 emplois, soit le nombre de jeunes arrivants sur le marché de l’emploi. «Même dans la meilleure année (2006), le Maroc n’a pas atteint ce chiffre», note Courbage. En 2006, l’économie marocaine a créé 300.000 emplois nets. En 2012, ce chiffre n’a pas dépassé les 1.000 postes! De facto, «le chômage des jeunes a continué à augmenter», observe l’expert. Il était à 26,5% en 2017. Dans les villes, le chômage des jeunes est de 42,5%. «Il devrait s’approcher des 50% en 2018», prévient Courbage. Les ni-ni (jeunes hors du circuit scolaire, professionnel ou de formation) représentent 30% des 15-29 ans, soit de 2,7 millions de jeunes marocains qui tiennent les murs.   


Youssef Courbage
Démographe INED-Paris

Le service militaire n’est pas une solution pour réguler le marché du travail

Pourquoi le Maroc ne tire-t-il pas profit du dividende démographique ?
Le Maroc pouvait certainement faire mieux. Les raisons qui expliquent cette situation sont multiples. Je cite parmi elles la formation des jeunes, qui demeure trop généraliste et pas assez technique. D’autres raisons sont moins évoquées et relèvent de la psychologie des jeunes, notamment la démotivation et l’appétence pour le travail. On peut redonner goût au travail aux jeunes en créant des emplois sociaux pour leur permettre de se sentir utiles.

Le Maroc connaît une reprise de l’émigration irrégulière de ses jeunes. Est-ce une surprise ?
Je m’intéresse à cette question, mais avec plus de précaution. Il faudrait d’abord clarifier l’envergure de ce phénomène. Est-ce que ce mouvement est suffisamment «massif» pour qu’on parle? Les flux actuels ne sont pas énormes comparés à ceux des années 90. Ceci étant, la migration irrégulière reflète un malaise de la jeunesse marocaine. Une fois arrivées, ces personnes feront face à un accueil déplorable en Europe.

L’État vient de décréter la reprise du service militaire. Est-une solution pour le chômage des jeunes ?
Je ne crois pas que le service militaire soit une solution pour réguler le marché du travail. Ce service dure peu de temps pour avoir un effet significatif. Maintenant, il peut renforcer le sentiment d’appartenance à la Nation. 


L’emploi féminin marque le pas

Dans ce tableau démographique complexe, l’emploi féminin marque le pas. «La stabilité du pourcentage des femmes au foyer à 50% des jeunes femmes de 15-24 ans n’est pas un bon signe», alerte Courbage. Ce dernier rappelle que «le Maroc a été pionnier en matière d’emploi féminin dans le monde arabe et a permis de propulser la transition démographique». Et d’ajouter: «Un recul pourrait entraîner des répercussions fâcheuses comme la marginalisation des femmes». Une tendance déjà à l’œuvre: le taux d’emploi féminin est passé de 25,3% en 2016 à 24,2% en 2017.


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