Éco-Business

Karim Bernoussi: « Au Maroc, le télétravail à 100% n’est pas viable »

La position de Karim Bernoussi, président d’Intelcia, est claire. Pour lui, édicter des règles communes pour le télétravail aura pour unique conséquence de rigidifier ce dispositif qui, à la base, est censé être une solution parmi d’autres pour pallier certaines problématiques clients et apporter de la flexibilité à l’activité.

Comment les collaborateurs ont vécu cette période de confinement? Etes-vous satisfait de leur rendu ?
Il y a eu en réalité plusieurs phases, avec des intensités différentes en fonction de l’évolution de la situation dans chaque pays. La crise a d’abord créé un effet de surprise, voire de choc. Très rapidement, nous avons mis en place un comité de suivi quotidien avec tous les managers du groupe. Je pense que le capital confiance et le lien entre Intelcia, les managers et les collaborateurs, a servi de levier de mobilisation extraordinaire. Il nous a permis d’être particulièrement réactifs et de nous focaliser sur le déploiement des mesures nécessaires que nous avons accompagnées de communications régulières pour informer et sécuriser. Aujourd’hui après la mise en place progressive du télétravail, nous pouvons dire que nous avons dépassé cette période sans trop d’encombres. Bien sûr, tout n’était pas parfait dès le départ. Nous avons dû nous doter des outils adéquats, et effectuer quelques ajustements, car toutes les activités ne se prêtaient pas au télétravail et certains collaborateurs n’étaient pas à l’aise avec cette formule. Mais dès que nous avons été pleinement opérationnels, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait moins d’absentéisme (écart de 4 à 5 points entre la population en télétravail et la population site -mai 2020-) et que certains indicateurs de productivité s’étaient même améliorés. Maintenant, il faut, à mon sens, plus de recul pour tirer des conclusions définitives sur télétravail. Les collaborateurs se sont mobilisés et pas uniquement sur les opérations. Malgré cette période difficile, ils ont fait preuve de solidarité et d’engagement sans précédent. Nous avons lancé un fonds de solidarité des collaborateurs. Et ce sont plus de 4 MDH qui ont été collectés et reversés au Fonds spécial Covid-19. Il y a eu de belles histoires autour de ce fonds, notamment, des conseillers qui ont donné jusqu’à un mois de salaire. Donc, pour revenir à votre question, oui, nous sommes très fiers de l’engagement et de la performance de nos collaborateurs durant cette période.

Est-ce que l’option de télétravail sera maintenue même avec le déconfinement ?
Cette crise a installé le travail à distance -TAD- comme dispositif faisant partie de notre mode de fonctionnement. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’il doive être adopté à 100%. D’abord, parce que j’estime que le lien avec l’entreprise est primordial. Aujourd’hui, avoir un collaborateur qui ne se rend jamais à l’entreprise ne fait pas sens. Du moins, cela ne correspond pas à l’ADN Intelcia. Car en dehors de donner du travail, l’entreprise donne du lien social. Ensuite, en tant que grand pourvoyeur d’emplois, nous avons un rôle à jouer en matière de transmission, non seulement de savoir-faire, mais aussi de savoir-être, en particulier envers les primo-entrants sur le marché de l’emploi. Enfin, pour une montée en compétence dans les règles de l’art, il est important que les collaborateurs soient, un tant soit peu, en présentiel. En somme, faire du télétravail à 100% n’est pas viable. En revanche, qu’il soit installé de manière durable, est tout à fait envisageable. Il s’agit alors de l’accompagner d’une organisation spécifique qui établit un cadre de travail intéressant et équilibrant pour les salariés.

Que pensez-vous de l’idée que le seul objectif de ce dispositif est de faire réaliser des économies aux entreprises ?
Cela ne fait pas de sens évidemment. Il faut savoir que l’essentiel des économies possibles le seraient du fait de la baisse des coûts des infrastructures. Or, il se trouve qu’aujourd’hui, ces infrastructures existent. Nous en supportons déjà les coûts. Demain peut-être, nous pourrions éventuellement les optimiser, mais certainement pas dans l’immédiat. L’adoption du télétravail n’a pas non plus pour objectif la ponction d’indemnités en tous genres (transport, paniers repas,…). En tous cas pour Intelcia, il n’en est rien. Ajoutez à cela que ce mode de fonctionnement apporte un certain nombre d’avantages aux collaborateurs, notamment en termes de gain de temps de transport. Autrement dit, le télétravail est à concevoir comme un dispositif win-win, proposé «à la demande», en fonction des besoins de l’entreprise et de ses clients, ainsi que de la situation du collaborateur. Je pousserais même la réflexion un peu plus loin. Édicter des règles communes en la matière à tous les secteurs serait contre-productif. Chaque secteur a ses propres spécificités, ses propres contraintes business, sans compter qu’il y a indéniablement un effet taille qui entre en jeu. Légiférer par exemple aura pour unique conséquence de rigidifier un dispositif qui, à la base, est censé être une solution parmi d’autres pour pallier certaines problématiques clients et apporter de la flexibilité à l’activité. Cela reviendrait à se priver de création de valeur et par ricochet d’opportunités d’emplois. Cependant, trouver la bonne organisation est capital. Laissons la liberté à l’entreprise de mettre en place un dispositif efficient qui respecte et préserve bien sûr les salariés, et faisons confiance à son intelligence.

Comment jugez-vous l’activité du marché post-confinement ?
Mon ressenti est que les gros acteurs n’ont été que partiellement touchés. De par la diversité de leurs clients, leur chiffre d’affaires n’a pas été impacté de manière très significative. En revanche, les acteurs de petites tailles, mono-client ou orientés télévente ou spécialisé dans des secteurs en difficulté, tel que le tourisme, ceux-là, souffrent beaucoup. Pour notre part, nous avons repris l’activité à 100% depuis fin mai, bien que nous soyons encore en télétravail à plus de 50%, du moins au Maroc, en France et au Portugal. Évidemment, nous avons eu des baisses d’activité les premiers mois, mais nous retrouvons peu à peu notre rythme de croisière.

Le secteur de l’offshoring connaîtra-t-il un remodelage après cette crise ?
Je pense que la crise va fragiliser les acteurs de petite taille. Le mouvement de concentration, initié avant la crise, va se poursuivre et peut-être même se renforcer. Je reste persuadé que si l’on souhaite se développer dans ce secteur, il faut atteindre une taille critique. Ce n’est qu’à cette condition que l’on peut adresser de grands donneurs d’ordre, que l’on est moins fragile et plus résilient face aux crises. Maintenant, concernant l’activité en elle-même, nous nous orientons vers davantage d’omnicanal et de moins en moins de voix pour la partie CRM. Aussi, de plus en plus de secteurs auront recours au BPO. C’est à mon avis une tendance de fond, même si elle tarde à se confirmer. De plus en plus d’entreprises préfèrent se concentrer sur leur core business, «variabiliser» leurs coûts, et s’appuyer sur des acteurs qui peuvent leur offrir de la performance économique et financière. Je pense que notre secteur va rebondir. Les opportunités seront encore plus importantes du fait de l’accélération de la digitalisation, de la réorganisation de certaines structures, voire de pans sectoriels entiers qui préféreront outsourcer une partie de leur activité pour ne plus être trop exposés en cas de crise.

Quels sont les enseignements à tirer de cette crise ?
Cette crise devrait nous faire réfléchir avec beaucoup d’humilité sur notre rapport à la nature et au fait que nous ne maîtrisons pas tout. Loin de là… Toutefois, je reste quelqu’un de fondamentalement positif. Je vois cette crise comme une opportunité. Une opportunité d’aller de l’avant, de se recentrer sur soi, de se réinventer. Au niveau de l’entreprise, bien sûr, on garde à l’esprit notre vision, celle de faire d’Intelcia, l’acteur marocain, un player global. Mais je dirais que cette crise nous a confortés dans deux axes fondamentaux. Le premier est de rester agile. Et le deuxième est de continuer d’investir dans l’Humain, dans une culture forte autour de nos valeurs d’humilité et de «caring» vis-à-vis de nos collaborateurs et de nos clients… 

Sanae raqui
Les Inspirations ÉCO

 


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