Intégration de la taxe sur le ciment au CGI : un changement de cap à suivre de près en 2025
Avec le Projet de Loi de Finances 2025, la taxe sur le ciment local devrait passer sous la coupe de la DGI, tandis que celle sur les importations sera désormais prélevée par la Douane. Un bouleversement en termes de gestion, de déclarations, de paiements et de contrôles pour les opérateurs. Détails.
Les cimentiers vont devoir avaler la pilule amère d’une taxe mieux encadrée et gérée par le fisc. L’adoption en première lecture du Projet de loi de Finances 2025 par la Chambre des représentants marque un tournant majeur concernant la taxe spéciale sur le ciment. Reste à savoir si cette mesure du PLF 2025 sera maintenue en 2e lecture et dans la mouture finale. En intégrant cette taxe dans le Code général des impôts (CGI), le gouvernement tient à rationaliser et simplifier sa gestion, son recouvrement et son contrôle.
Pour les cimentiers et l’ensemble des acteurs du secteur de la construction, cette réforme entraîne des changements significatifs. Le chemin vers plus de transparence fiscale est désormais tracé pour le secteur du ciment au Maroc. En intégrant pleinement cette taxe dans le cadre légal et réglementaire du CGI, le gouvernement vise à la fois l’optimisation des recettes et une meilleure gouvernance. Un pari ambitieux qui nécessitera des efforts soutenus de toutes les parties prenantes. Zoom sur les principales implications de la réforme.
Obligations déclaratives et de paiement
Pour le ciment produit localement, les entreprises devront désormais déclarer et payer la taxe via un modèle électronique fourni par l’administration fiscale, au plus tard à la fin du mois suivant la facturation. Un changement notable, qui impliquera une adaptation des systèmes de gestion et de facturation.
Tout d’abord, il faut rappeler que jusqu’à présent, les modalités de déclaration et de paiement de cette taxe n’étaient pas encadrées de manière aussi stricte par le Code général des impôts. En intégrant pleinement la taxe dans le CGI, le gouvernement instaure un cadre juridique beaucoup plus contraignant. Concrètement, les entreprises cimentières devront adapter leurs systèmes informatiques et processus de gestion en profondeur.
Il leur faudra mettre en place des procédures permettant de collecter les données nécessaires, remplir le modèle électronique de déclaration dans les délais impartis et s’acquitter du paiement correspondant en temps voulu. Cela implique potentiellement des investissements en ressources humaines et en solutions technologiques, que ce soit en développant des modules complémentaires au sein de leur système de gestion intégré ou en faisant appel à des logiciels tiers spécialisés.
De plus, cette nouvelle obligation nécessitera une coordination renforcée entre les services comptables, financiers et opérationnels au sein des cimenteries. La fiabilité et la traçabilité des données de production et de ventes devront être irréprochables pour alimenter correctement les déclarations fiscales. Enfin, ce changement pourrait entraîner des coûts de mise en conformité non négligeables selon la maturité des systèmes d’information existants. Les cimentiers devront probablement former leur personnel et revoir leurs procédures internes.
Nouvelles règles de contrôle, contentieux et sanctions
Le fait d’intégrer la taxe spéciale sur le ciment produit localement dans le CGI aura des implications majeures en termes de contrôle fiscal, de contentieux et de sanctions applicables. Cela marque une véritable rupture avec les pratiques qui prévalaient jusqu’alors dans le secteur cimentier marocain.
Tout d’abord, en matière de recouvrement, l’administration fiscale disposera désormais des mêmes prérogatives et procédures que pour les autres impôts régis par le CGI. Elle pourra ainsi procéder à des avis de mise en recouvrement, des saisies mobilières ou immobilières en cas de non-paiement.
Ensuite, le contrôle fiscal de cette taxe sera nettement renforcé. Les cimentiers seront soumis aux mêmes vérifications que pour la TVA ou l’impôt sur les sociétés, avec des pouvoirs d’investigation étendus pour les agents du fisc (accès aux locaux, saisie de documents, etc.).
De plus, le contentieux fiscal lié à cette taxe bascule dans le cadre réglementaire prévu par le CGI, avec une procédure stricte en cas de redressement et de réclamation auprès de l’administration. Mais c’est surtout au niveau des sanctions que le changement sera le plus spectaculaire. L’on imagine que jusqu’à présent, les sanctions encourues en cas de manquement sur la taxe cimentière étaient relativement légères et peu appliquées. Désormais, ce seront les lourdes pénalités prévues par le CGI qui s’appliqueront.
Enfin, les délais de prescription pour le recouvrement et le contrôle de cette taxe seront désormais alignés sur ceux du CGI, bien plus longs que les délais actuels. En clair, ce cadre juridique et réglementaire renforcé va bouleverser les pratiques au sein du secteur cimentier. Certaines négligences, approximations, voire contournements tolérés par le passé ne seront plus acceptables.
«Une rigueur accrue dans le suivi et la déclaration de cette taxe sera indispensable pour les opérateurs», souligne un analyste.
Procédures douanières renforcées pour le ciment importé
Pour le ciment importé, la taxe sera prélevée lors des procédures douanières par l’Administration des douanes et impôts indirects (ADII), conformément au CGI. Là aussi, cela aura des implications majeures en termes de contrôle et d’application des règles. Tout d’abord, cela signifie que l’ADII disposera de pouvoirs renforcés pour le contrôle de cette taxe sur le ciment importé. Elle pourra s’appuyer sur l’ensemble de l’arsenal juridique et réglementaire prévu par le CGI en matière douanière.
Concrètement, les services douaniers pourront procéder à des contrôles physiques et documentaires approfondis sur les cargaisons de ciment importées. Ils auront accès à toute la documentation commerciale, comptable et logistique liée à ces importations.
De plus, en cas de suspicion de fraude ou de manquement, l’ADII sera en mesure de déclencher des procédures d’enquête douanière, avec visite des entrepôts et locaux, saisie de pièces à conviction, etc. L’administration disposera également de pouvoirs de sanctions renforcés. Tout comme pour les autres taxes régies par le CGI, elle pourra appliquer des amendes allant jusqu’à trois fois le montant des droits éludés en cas d’infraction avérée. Les importateurs de ciment devront aussi s’attendre à un renforcement des contrôles a posteriori après le dédouanement, via des contrôles ponctuels ou des contrôles approfondis sur pièces. Un autre point important concerne la computation des délais de prescription qui seront désormais ceux prévus par le CGI pour les infractions douanières, plus longs que les délais actuels.
Enfin, le fait d’intégrer cette taxe dans le CGI facilitera grandement les échanges d’informations et la coopération entre la DGI et la Douane pour la gestion de ce prélèvement. En somme, en basculant dans le cadre réglementaire du CGI, le contrôle et l’application des règles relatives à la taxe sur le ciment importé seront nettement plus stricts, appuyés par des pouvoirs d’investigation et de sanction accrus pour l’ADII. Une optimisation du recouvrement est clairement visée.
Recettes fiscales accrues et meilleur contrôle
En confiant la gestion de cette taxe à la Direction générale des impôts pour le ciment local et à l’ADII pour les importations, le gouvernement vise à améliorer le recouvrement et le contrôle. Tout d’abord, en transférant cette compétence à des administrations fiscales dotées de moyens juridiques, humains et matériels conséquents, le gouvernement vise clairement à optimiser le recouvrement de cette taxe.
Jusqu’à présent, les procédures en vigueur n’étaient pas des plus efficaces et des manques à gagner étaient certainement constatés. En intégrant pleinement cette taxe dans le giron du Code général des impôts, la DGI et la Douane pourront appliquer leurs procédures éprouvées de recouvrement forcé, de contrôle approfondi et de sanctions dissuasives en cas de manquement. Un meilleur recouvrement est donc attendu.
Concrètement, «une coordination renforcée entre les deux administrations sera cruciale, notamment pour croiser les flux d’importation et de ventes sur le marché local afin de débusquer toute tentative de fraude», nous dit un analyste.
«Si ces conditions sont réunies, alors oui, des recettes fiscales supplémentaires substantielles pourront être encaissées par l’État. Mais gare aux effets pervers si les contrôles sont défaillants : un marché parallèle pourrait se développer, faisant fuir la matière imposable», complète-t-il.
Enjeux et défis pour le secteur cimentier
Cette réforme marque un changement de paradigme pour les cimentiers. Au-delà des implications opérationnelles liées à l’adaptation de leurs systèmes, elles vont devoir faire face à une pression accrue sur plusieurs plans qui pourrait engendrer des tensions avec l’administration fiscale.
Premièrement, l’alignement du cadre juridique et réglementaire sur le Code général des impôts va se traduire par un renforcement significatif du contrôle fiscal sur ce secteur. Les vérifications, redressements et sanctions potentielles seront bien plus stricts qu’auparavant. Cela va nécessiter une rigueur accrue de la part des cimentiers en termes de tenue de la comptabilité, de déclarations sincères et de traçabilité parfaite de leurs production et ventes.
Ensuite, l’application effective des procédures de recouvrement forcé prévues par le CGI fera peser une épée de Damoclès sur leur trésorerie s’ils venaient à accumuler des retards ou arriérés. Les capacités de contrôle et de sanction renforcées de l’administration fiscale vont réduire fortement leurs marges de manoeuvre.
De plus, certaines zones grises qui prévalaient jusqu’à présent, comme le paiement différé de la taxe ou certaines formes d’optimisation fiscale, seront vraisemblablement bannies par ce nouveau cadre juridique strict. Les entreprises devront revoir en profondeur leurs pratiques en la matière.
Cette réforme pourrait aussi avoir un impact direct sur leurs coûts de production et donc sur leurs marges. Le paiement mensuel de la taxe au lieu d’un étalement pourrait peser sur leur besoin en fonds de roulement par exemple.
Face à ces multiples contraintes, il est fort probable qu’en 2025, les cimentiers cherchent à protester et négocier certains aménagements, ne serait-ce que des délais supplémentaires pour se mettre en conformité. Des tensions et bras de fer avec l’administration fiscale autour de l’interprétation de certaines dispositions ne sont pas à exclure en 2025.
L’enjeu sera alors de trouver un équilibre permettant d’optimiser les recettes publiques sans pour autant étouffer un secteur économique clé exposé à une rude concurrence régionale et internationale.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO