Imposition des gains occasionnels et opérations lucratives : une nouvelle donne fiscale à clarifier
Le saviez-vous ? Tous vos gains issus d’opérations lucratives ponctuelles, de la revente occasionnelle de biens ou encore d’activités rémunératrices parallèles vont désormais être imposés via la nouvelle sous-catégorie des «revenus et gains divers provenant des opérations lucratives qui ne relèvent pas d’une autre catégorie de revenus». Mais cette nouveauté n’est pas sans soulever certaines interrogations d’ordre pratique et juridique. Détails.
Avec la nouvelle catégorie de «revenus et gains divers provenant des opérations lucratives qui ne relèvent pas d’une autre catégorie de revenus», le fisc va désormais surveiller vos moindres rentrées d’argent. Dans un souci d’élargissement de l’assiette fiscale et d’équité accrue, la Loi de finances (LF) 2025 a instauré une 6e catégorie de revenus imposables.
L’instauration d’une nouvelle catégorie de «revenus et gains divers» marque une avancée notable dans la quête d’équité fiscale au Maroc. Un champ jusqu’alors largement inexploité. Cette nouvelle catégorie concerne la première sous-catégorie des «revenus évalués dans le cadre de la procédure d’examen de l’ensemble de la situation fiscale des personnes physiques dont la source n’a pas été justifiée» ; la deuxième sous-catégorie a trait aux «gains de jeux de hasard de source étrangère réalisés via Internet quelle que soit leur forme» ; et la troisième sous-catégorie porte sur les «revenus et gains divers provenant des opérations lucratives qui ne relèvent pas d’une autre catégorie de revenus».
Cependant, comme l’explique Mohamed Belkhayat, expert-comptable et commissaire aux comptes dans une récente publication, cette troisième sous-catégorie de revenus imposables soulève de nombreuses interrogations quant à son champ d’application précis et à sa mise en œuvre pratique.
Délimiter le champ d’application : un exercice complexe
La distinction entre revenus professionnels et revenus divers provenant d’opérations lucratives, bien que conceptuellement claire, peut s’avérer délicate dans la pratique. Comme le souligne pertinemment Belkhayat, «une doctrine de l’administration fiscale» s’impose pour clarifier les contours de cette nouvelle sous-catégorie.
Prenons l’exemple d’un particulier qui réalise occasionnellement des activités rémunératrices parallèlement à son emploi principal. S’agit-il de revenus professionnels au titre d’une activité secondaire ? Ou bien de simples gains divers issus d’opérations ponctuelles ? Tout dépendra de l’importance, de la régularité et du degré d’organisation de ces activités parallèles. Un artisan qui exerce son métier de manière récurrente et structurée sera naturellement imposé dans la catégorie des revenus professionnels.
En revanche, une personne qui réalise de menus travaux de bricolage de façon épisodique pourrait voir ces rémunérations qualifiées de «revenus divers». La frontière reste ténue, comme en témoigne la situation des travailleurs des plateformes numériques (VTC, livreurs, etc.). Leurs revenus relèvent-ils d’une activité professionnelle indépendante ou de simples gains occasionnels ? Une analyse au cas par cas semble inévitable.
Le degré de préparation, d’investissement et d’organisation mis en œuvre pourra constituer un faisceau d’indices permettant de caractériser ou non une véritable activité professionnelle. Mais ces critères resteront souvent sujets à interprétation. C’est pourquoi les précisions à venir de l’Administration fiscale revêtiront un caractère crucial. Des règles et doctrine claires permettront de sécuriser la qualification juridique des situations, gage de prévisibilité et d’équité pour les contribuables.
La déductibilité des charges : un enjeu d’équité pour la nouvelle sous-catégorie de revenus divers
Au-delà de la qualification même des revenus en cause, le traitement fiscal des charges afférentes constitue un autre défi majeur soulevé par Belkhayat concernant la sous-catégorie «revenus et gains divers provenant d’opérations lucratives».
En effet, s’interroge l’expert : «Y a-t-il lieu de tenir compte des charges imputables à ces revenus divers ?» Cette interrogation renvoie au principe fondamental en fiscalité de l’imposition sur le revenu net, par opposition à une taxation sur le revenu brut. À titre d’exemple, considérons un particulier vendant ponctuellement des biens d’occasion sur une plateforme en ligne.
Les gains réalisés relèveraient de la nouvelle catégorie de revenus divers. Mais comment traiter fiscalement les frais engagés pour l’acquisition initiale des biens, les coûts de remise en état, les commissions prélevées par la plateforme, etc. ? Une imputation de ces charges à la base permettrait de n’imposer que le revenu net effectivement dégagé par l’opération. Une approche qui serait pleinement conforme au principe de neutralité de l’impôt et d’équité fiscale horizontale.
Cependant, se pose alors la question des modalités précises de cette déduction des charges. Quelles pièces justificatives seraient exigées ? Quelle clé de répartition pour les charges mixtes ? Un régime déclaratif spécifique serait-il instauré ? Autant d’aspects pratiques qui devront être clarifiés pour garantir la sécurité juridique des contribuables et éviter une complexité administrative excessive. Des règles simples et pragmatiques semblent souhaitables.
L’alternative consistant à imposer le revenu brut sans aucune déduction de charges pourrait certes présenter l’avantage de la simplicité. Néanmoins, elle créerait une rupture d’égalité par rapport aux autres catégories de revenus imposés nettes de charges et viderait partiellement cette nouvelle sous-catégorie de sa substance économique réelle.
En définitive, le respect des principes d’équité, de neutralité et de simplicité pratique devra guider les précisions à venir quant au régime d’imposition de ces «revenus et gains divers provenant d’opérations lucratives». Une conciliation harmonieuse de ces différents impératifs constituera un gage de succès pour cette réforme fiscale d’envergure.
La taxation des revenus illégaux au Maroc soulève des questions d’équité et de cohérence
Belkhayat soulève également la question du traitement fiscal de certaines opérations spécifiques telles que la cession d’un véhicule personnel : Le profit de cession de la voiture personnelle est-il concerné ? Au-delà des cas particuliers, c’est la philosophie même de cette nouvelle sous-catégorie qui interpelle.
Selon l’expert-comptable, «en vertu du principe de l’autonomie du droit fiscal, tous les revenus ou gains issus d’opérations lucratives, même celles qui ne seraient pas en conformité avec d’autres lois, seraient soumises à l’IR.»
Cette approche fiscale déconnectée du cadre juridique général soulève des questions d’équité et de cohérence législative. L’exemple donné par l’expert-comptable des gains sur cession de bitcoins, au demeurant illégale au Maroc, illustre cette problématique.
«Bien que l’achat de bitcoins soit interdit au Maroc, le profit sur cession de 100.000 dirhams est imposable dans la 6e catégorie comme revenus et gains divers provenant d’opérations lucratives.» Ce principe de taxation des revenus illégaux au nom de l’autonomie fiscale pourrait poser des défis en termes d’acceptabilité sociale de l’impôt et de respect de l’État de droit.
L’expert n’omet pas non plus d’évoquer les nouvelles formes de revenus issues du numérique, citant «les revenus des influenceurs de YouTube, TikTok et autres plateformes similaires». Le rattachement de ces revenus à la catégorie professionnelle ou à la sous-catégorie «revenus et gains divers provenant d’opérations lucratives» dépendra probablement du degré de récurrence et de professionnalisme des activités concernées.
Une taxation aveugle des revenus illégaux ?
Comme indiqué plus haut, la taxation des revenus d’activités illicites peut sembler pour le moins paradoxale d’un point de vue juridique et éthique. Au-delà des cryptomonnaies, ce raisonnement pourrait s’appliquer à toute opération lucrative illégale.
«Si une telle philosophie peut se justifier par un objectif budgétaire et de dissuasion vis-à-vis des activités lucratives clandestines, elle heurte de front les principes fondamentaux de l’État de droit et de la hiérarchie des normes juridiques. Comment l’impôt, créature de la loi, pourrait-il s’appliquer à des faits que la loi réprouve par ailleurs ?», s’interroge un juriste.
Une incohérence qui pourrait nuire à l’acceptabilité sociale de l’impôt, dont le civisme fiscal constitue pourtant un pilier essentiel. Une certaine «pudeur» semblerait plus à même de préserver la crédibilité et la légitimité du système fiscal. En définitive, l’enjeu réside dans la préservation d’un fragile équilibre entre une conception extensive du fait générateur fiscal et le respect des autres corpus juridiques. Une application aveugle du principe d’autonomie pourrait s’avérer contre-productive. La voie de la nuance et du cas par cas semble préférable pour garantir la cohérence d’ensemble de l’édifice normatif.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO