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«Il faut une subvention directe aux cultivateurs de cannabis»

En tant qu’ancien directeur général de l’Agence de développement du Nord, Driss Benhima a un regard pointu sur le dossier de la culture du cannabis qui fait encore débat. Pour faire cesser cette activité nocive à l’environnement, il propose deux solutions : des subventions directes aux paysans et l’amélioration des conditions de vie dans le Rif. Mais avant tout, il estime qu’il faut décriminaliser cette activité pour pouvoir dialoguer avec les cultivateurs et gagner leur confiance.

Les Inspirations ÉCO : Quel regard portez-vous sur la culture du cannabis au Maroc ?
Driss Benhima : Je porte un regard très négatif et pessimiste sur la question. Cette position n’a rien à voir avec la nocivité éventuelle sur la consommation du cannabis. Il ne faut pas mélanger le problème de la nocivité du cannabis auquel je crois et qui fait débat et les méfaits de l’agriculture du cannabis dans notre pays. Ce sont deux sujets différents. Même si le cannabis était un produit totalement inoffensif, les dégâts sur l’environnement et la vie sociale dans le Nord fait que c’est un phénomène pénalisant.

Certains parlementaires ont appelé, lors de la précédente législature, à la légalisation de la culture du cannabis. Qu’en pensez-vous ?
J’ai bien compris leur souci que je partage. Il faut dire qu’une grande partie de la population masculine de ces régions fait l’objet de PV de recherches et est coupée de la vie sociale. Pire, cette situation empêche la constitution de ce que l’on appelle les corps intermédiaires : des associations ou des éléments capables de faire le lien entre les actions de développement durable de cette région et les populations. En fait, les hommes se cachent, car l’activité reste illicite. Je suis parfaitement d’accord sur la nécessité de décriminaliser les individus. En effet, si on ne les décriminalise pas, on n’arrivera pas à recréer le dialogue qui est nécessaire pour construire une politique collective consensuelle.

Donc, comment les pouvoirs publics doivent-ils procéder pour régler la problématique ?
L’activité doit continuer à être interdite. Il faut qu’on arrête de cultiver le cannabis dans les montagnes du Rif. Mais, pour construire une politique qui arrive à ce résultat, il faut le soutien, l’adhésion et la compréhension de ces populations. Il faut, donc, ouvrir un dialogue et mobiliser beaucoup d’argents.

Pourquoi les agricultures alternatives n’ont pas réussi dans cette région ?
Dans l’absolu, on ne peut pas dire que ces agricultures n’ont pas réussi. Mais, il faut prendre en considération la nature du relief, du sol et des conditions agricoles ainsi que la surpopulation du Rif. Je suis sceptique sur la possibilité de cultures alternatives comme on essaie de préconiser. On en a essayé beaucoup. Le Maroc a déployé de grands efforts pour trouver des cultures alternatives. Mais, le succès n’était pas au rendez-vous, car ces politiques n’étaient pas faites avec les populations. Le dialogue est inexistant, car l’activité des paysans est illicite. Il faut donc décriminaliser les individus tout en continuant d’interdire l’activité. Il faut les subventionner directement, comme ce qui a été fait dans d’autres pays comme la Thaïlande, pour éradiquer le phénomène de la culture du cannabis qui, au-delà de son caractère nocif sur la santé, est une activité qui détruit l’environnement.

Quelles sont les autres activités que pourront pratiquer les agriculteurs du cannabis ?
Il faut arrêter au niveau central, d’une manière technocratique, les activités à propager dans cette région. Beaucoup d’idées existent : l’apiculture, la production du fromage de chèvre, des plantes aromatiques et médicinales. Mais toutes ces idées venaient toujours d’en-haut. Aujourd’hui, il faut trouver une approche pour impliquer la population et gagner sa confiance. Il faut qu’on règle le malentendu sur la forêt. La loi est claire : la forêt appartient à l’État et les collectivités ethniques locales peuvent, pour des raisons historiques, l’exploiter à condition que ce soit dans le respect du développement durable. Les populations du Rif n’ont jamais accepté la propriété de l’État sur la forêt, estimant que c’est une propriété collective et qu’ils ont même le droit de se la partager. Pire encore, tout montre que les populations sont parfaitement conscientes des risques environnementaux de la culture du cannabis. Mais, pour eux, en raison de la nécessité à court terme et la survie, on ne peut pas privilégier la recherche du développement durable à long terme.

Vous êtes donc contre la légalisation de la culture de cannabis même à des fins pharmaceutiques et médicinales?
Je ne peux pas être contre cet objectif. Mais, nous ne l’aurons pas. Si la plante est légalisée, sa culture sera plus facile dans la plaine atlantique et dans les zones irriguées que dans le Rif. Il n’est même pas sûr que la compétitivité de la plante marocaine lui permette de s’imposer par rapport aux autres pays qui ont de plus en plus le droit de cultiver le cannabis. Même si on légalise la production, où est le marché ? Je ne crois pas que l’utilisation médicinale, pharmaceutique et alimentaire soit suffisante pour avaler la production. Je m’attends à une crise de la culture du cannabis au Maroc à l’horizon 2020, en raison de la concurrence, la légalisation de ce produit au niveau international et la surexploitation des terres. L’examen de la sociologie du Rif montre qu’il s’agit d’une population très dispersée qui n’a pas accès aux services. C’est l’amélioration des conditions de vie dans le Rif qui me paraît être essentielle.

La subvention directe doit être conditionnée par des activités génératrices de revenus ?
Il faut une subvention directe qui pourrait être beaucoup moins chère que ce que l’on peut imaginer. Les chiffres du trafic sont tellement gros que l’on se dit qu’il n’est pas possible de remplacer ces revenus. Mais, il faut savoir que le paysan du Rif n’est pas plus riche que le paysan marocain moyen.


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