Fret maritime : le Maroc monte en grade chez les géants mondiaux
C’est un signe qui ne trompe pas et qui renseigne sur l’attractivité de Tanger Med auprès de grands armateurs mondiaux. Les trois alliances de fret maritime qui forment l’oligopole mondial du transport de conteneurs, et qui seront opérationnelles en février 2025, ont toutes référencé Tanger Med comme un important hub de transbordement. Avec une capacité de 9 millions de conteneurs EVP (équivalent vingt pieds) et la connexion à 180 ports, la plateforme marocaine a, il est vrai, des arguments pour biper dans les radars de ces géants.
Dès février prochain, une reconfiguration de l’armement mondial se dessine avec des conséquences sur les chargeurs et les ports. À partir de cette échéance, le marché du transport maritime conteneurisé sera structuré autour de quatre blocs. D’un côté, trois alliances qui regroupent dix grands armateurs mondiaux, et de l’autre, le groupe italo-suisse MSC qui a fait le choix de naviguer seul.
Au niveau des alliances, Maersk s’est associé à Hapag Lloyd au sein de l’alliance Gemini. CMA CGM, China Ocean Shipping Company (Cosco) et Evergreen se retrouvent dans Ocean Alliance. Le troisième larron s’appelle Premier Alliance où siègent le Japonais Ocean Network Express (ONE), l’armateur sud-coréen HMM, 8e mondial, et le groupe taiwanais Yang Ming.
Tanger Med, plateforme essentielle pour le transbordement
Le complexe Tanger Med intégrera les services de Premier Alliance et de Gemini à partir de février. Premier Alliance dessert un réseau de 49 ports dans le monde. Les services de l’alliance feront escale au terminal opéré par Tanger Alliance, exploité par les opérateurs ONE, HMM et Yang Ming.
Cette nouvelle alliance opérera sur les principales routes maritimes internationales, notamment Asie-Europe du Nord, Asie-Moyen-Orient, Asie-Méditerranée, Asie-Côte Ouest de l’Amérique du Nord et Asie-Côte Est de l’Amérique du Nord.
Dans le cadre de l’alliance Gemini, Maersk et Hapag Lloyd, respectivement premier et deuxième armateurs à Tanger Med, intégreront le complexe portuaire comme une plateforme essentielle de transbordement dans leurs rotations à travers la Méditerranée à compter de février.
Selon le management de TMSA, «le choix du complexe portuaire Tanger Med par la coopération Gemini s’explique par la position de leadership du port à l’échelle mondiale en matière de performance opérationnelle».
Les services des grandes lignes de cette alliance feront escale dans 56 ports, tandis que 29 autres ports seront desservis par des feeders dédiés (les compagnies qui assurent les liaisons entre les ports de transbordement et les ports de destination finale des conteneurs). Les différents armateurs ont choisi d’augmenter leurs services conjoints. Ils passeront de 17 à 24 sur les liaisons Europe-Asie et doubleraient quasiment sur la rotation Med-Asie, la route sur laquelle se situe Tanger Med.
Sur les lignes entre l’Europe et l’Asie, les changements interviennent principalement dans le nord de l’Europe. Les principaux ports conservent la majorité des escales. Rotterdam disposera de 18 services et Anvers-Bruges de 12, soit un total de 30 services qui toucheront les deux ports.
Cette redistribution signifie cinq escales de plus à partir de février 2025 pour le port néerlandais, et deux de plus pour le port belge. La plus forte progression dans le nord du continent revient à Hambourg, qui gagne huit liaisons pour totaliser 16 services. Le port de Bremerhaven consolide aussi sa position avec un service supplémentaire.
L’arrivée de Hapag Lloyd au sein de Gemini a joué en faveur des ports allemands. De plus, MSC, présent dans la manutention allemande, souhaite garder des services vers le nord de l’Europe. Tanger Med et sa rivale Algésiras conservent leurs positions. Les liaisons entre la Méditerranée et l’Asie sont touchées de plein fouet par les tensions en mer Rouge.
Les attaques des Houthis contre les navires et le déroutement par le cap de Bonne-Espérance ont fait des ports de l’est de la Méditerranée de véritables «cul-de-sac». Tant que la situation dans le détroit de Bab-el-Mandeb ne trouve pas d’issue, les armateurs doivent faire preuve d’inventivité.
Dans ces conditions, la liaison avec les ports méditerranéens se réalise par transbordement depuis les ports de l’ouest du bassin, notamment Tanger Med, Algésiras, voire Valence.
Pourquoi une recomposition d’alliances
La coopération entre compagnies maritimes est ancienne. Avant 2008, le marché était organisé autour des conférences maritimes. Un système qui allait très loin puisqu’il reposait sur une coopération technique, mais aussi financière. Il a pris fin en 2008, interdit par le régulateur européen. Les compagnies maritimes ont néanmoins continué à bénéficier d’un système dérogatoire en matière de concurrence.
En contrepartie de l’autorisation de mettre en commun leurs moyens, elles devaient garantir un cloisonnement des politiques commerciales. En 2017, alors que leurs finances étaient au plus mal, les compagnies de lignes maritimes conteneurisées se sont organisées autour de trois grandes alliances.
Le système a toujours été critiqué par les clients des compagnies maritimes qui redoutaient une entente tarifaire. Mais durant la période post-Covid, lorsque la qualité de service s’est fortement dégradée alors même que les taux de fret flambaient, la pression s’est nettement accentuée.
La fin d’une étrange dérogation
Le 10 octobre 2023, la Commission européenne a décidé de ne pas proroger l’exemption dont bénéficiaient les consortiums de transport maritime de lignes conteneurisées. Il a ainsi pris fin le 25 avril 2024.
Cependant, Bruxelles a pris soin de préserver la possibilité de coopération entre les compagnies maritimes. Les accords de partage de navire (plus connus sous l’acronyme anglais «VSA» pour «Vessel Share Agreement») sont toujours autorisés, voire encouragés par Bruxelles qui s’oppose farouchement aux ententes tarifaires et aux abus de position dominante, mais autorisent les accords sectoriels entre compagnies si ces derniers permettent d’offrir aux chargeurs une pluralité d’offres compétitives et élargies.
Abashi Shamamba / Les Inspirations ÉCO