Éducation privée : l’État offre un cadeau fiscal aux investisseurs immobiliers
Exonération de TVA et amortissement accéléré des biens d’équipement, telles sont les principales mesures fiscales avantageuses dont bénéficieront désormais les sociétés foncières et OPCI investissant dans la construction d’établissements d’enseignement privé au Maroc. Détails.
Dans un contexte de demande croissante pour un enseignement privé de qualité, la Loi de finances (LF) 2025 introduit une modification majeure à l’article 102 du Code général des impôts (CGI), relative au régime des biens amortissables.
Cette réforme élargit l’exonération de la TVA, avec droit à déduction, aux biens d’équipement acquis par les sociétés foncières ou les organismes de placement collectif immobilier (OPCI), créés exclusivement pour la réalisation de projets de construction d’établissements privés d’enseignement et de formation professionnelle.
Comme l’explique la note synthétique des mesures fiscales : «Cette exonération est conditionnée par l’accomplissement des mêmes formalités réglementaires prévues pour les biens d’équipement destinés à l’enseignement privé ou à la formation professionnelle, avec l’institution de l’obligation de conservation desdits biens par les sociétés foncières ou les OPCI.»
Quels changements concrets ?
Avant 2025, seuls les établissements privés d’enseignement et de formation professionnelle bénéficiaient de l’exonération de TVA sur leurs acquisitions de biens d’équipement amortissables. Désormais, ce régime fiscal avantageux s’applique également aux sociétés foncières et organismes de placement collectif immobilier (OPCI) créés dans le but spécifique de construire ces établissements.
Concrètement, cela signifie que lorsqu’une société foncière acquiert des équipements destinés aux établissements d’enseignement qu’ils construisent, ces biens seront exonérés de TVA. Quels types de biens sont concernés ? Il peut s’agir d’un large éventail d’équipements inscrits au compte d’immobilisation de ces sociétés. Par exemple, l’acquisition de mobilier scolaire comme des tables, chaises, bureaux pour équiper les salles de classe, ou encore l’achat de matériel informatique pour les salles multimédia et laboratoires informatiques. Les équipements scientifiques pour les labos de physique, chimie, biologie font également partie des biens éligibles.
Dans le domaine sportif, les installations comme les terrains de sport, piscines, équipements de musculation, etc. pourront bénéficier de cette exonération. De même pour le mobilier et équipements des bibliothèques, centres de documentation, cafétérias et autres infrastructures complémentaires.
L’objectif est de faciliter l’investissement massif dans des équipements de qualité, modernes et adaptés aux besoins pédagogiques des établissements privés construits. Grâce à cette mesure fiscale incitative, les sociétés foncières et OPCI pourront réaliser des économies substantielles sur ces postes d’investissement lourds en équipements.
Une mesure stimulante mais non rétroactive
En exonérant de TVA les acquisitions de biens d’équipement par les sociétés foncières et OPCI, le gouvernement offre un avantage fiscal de taille à ces acteurs clés du secteur de l’éducation privée. L’objectif est clair : encourager les investissements dans la construction et l’équipement d’établissements d’enseignement et de formation sur le territoire.
Cependant, comme le précise la note de synthèse des mesures fiscales de la Loi de finances n°60-24 pour l’année budgétaire 2025, «cette nouvelle mesure est applicable aux sociétés foncières et aux OPCI qui n’ont pas épuisé le délai d’exonération fixé à 36 mois avant le 1er janvier 2025».
Elle n’a donc pas d’effet rétroactif mais concerne uniquement les nouveaux projets ainsi que ceux déjà en cours à condition qu’ils n’aient pas dépassé ce délai de 36 mois au 1er janvier 2025. Prenons l’exemple d’une OPCI qui a lancé en 2022 la construction d’une école privée dans la région de Casablanca. Au 1er janvier 2025, ce projet en cours n’a pas encore atteint les 36 mois d’existence. Elle pourra donc bénéficier de l’exonération de TVA pour tous les équipements (mobilier, informatique, labos, etc.) qu’il acquerra pour équiper cette nouvelle école à partir de 2025.
En revanche, une société foncière qui a terminé en 2021 la construction d’un lycée privé à Rabat, ne pourra pas prétendre à cette nouvelle exonération, son projet ayant dépassé le délai de 36 mois avant 2025, nous explique un fiscaliste.
Cette limite temporelle montre que le gouvernement vise les investissements futurs et récents dans le privé éducatif, plutôt qu’une application rétroactive coûteuse pour l’État. Un juste équilibre entre l’objectif d’attractivité du Maroc pour ces projets stratégiques, et la nécessaire maîtrise des dépenses fiscales.
Des conditions strictes pour un double avantage fiscal
Si l’exonération de TVA sur les acquisitions de biens d’équipement représente un atout majeur, elle s’accompagne cependant de conditions strictes que doivent remplir les sociétés foncières et OPCI pour en bénéficier.
Premièrement, ces structures doivent avoir été créées dans le but unique de construire des établissements d’enseignement privé. Une société foncière dont l’objet social couvre d’autres types de projets immobiliers, ne pourra donc pas prétendre à ce régime fiscal avantageux.
Deuxièmement, à l’instar des établissements privés eux-mêmes, ces investisseurs sont tenus de conserver les biens exonérés pendant une durée réglementaire déterminée. Prenons l’exemple d’une OPCI qui a bénéficié de l’exonération pour l’acquisition d’équipements scientifiques de pointe pour les labos de la nouvelle École d’Ingénieurs qu’elle a construite. Elle devra conserver ces équipements sur une période fixée par le règlement, faute de quoi elle s’exposera à une remise en cause du bénéfice de l’exonération.
Cette obligation de conservation prolongée des biens vise à garantir la pérennité des investissements réalisés et à éviter toute dérive spéculative.
Au-delà de l’exonération de TVA, un autre avantage fiscal de poids est prévu pour ces opérateurs : le régime d’amortissement accéléré des biens d’équipement concernés. En permettant de déduire plus rapidement ces investissements lourds du résultat imposable, l’État allège substantiellement la charge fiscale des sociétés foncières et OPCI engagés dans l’éducation privée.
Prenons l’exemple d’une société foncière qui a investi 50 millions de dirhams dans l’acquisition de mobilier high-tech pour les 200 salles de classe du lycée privé qu’elle a construit. Grâce au régime d’amortissement dérogatoire, elle pourra déduire cette somme de son résultat imposable sur un nombre d’années restreint, réalisant ainsi d’importantes économies d’impôts sur les sociétés.
«En conditionnant ces avantages fiscaux majeurs au respect de règles strictes, le Maroc envoie un double signal aux opérateurs privés de l’enseignement : d’une part, une volonté réelle d’encourager leurs investissements dans ce secteur stratégique ; d’autre part, la ferme intention de s’assurer de la pérennité de ces investissements au bénéfice du pays», souligne un analyste.
Un éventail d’investisseurs diversifiés
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2023, le secteur privé a généré un chiffre d’affaires avoisinant les 20 milliards de dirhams, générés par près de 7.000 établissements. Cette performance est le résultat d’investissements massifs en provenance de sources variées. Le Fonds de promotion de l’enseignement et de la formation privée (FOPEP) s’érige en acteur incontournable.
Depuis sa création, il a agréé 193 projets représentant 2,2 milliards d’investissements, tout en créant des milliers de classes et d’emplois. Son rôle de cofinancement des projets d’enseignement privé en fait un catalyseur essentiel. Les sociétés d’investissement, tant nationales qu’internationales, sont également de la partie. Des groupes marocains tels qu’Asma Invest, la Holding générale d’éducation (Holged) et bien d’autres ont mobilisé des centaines de millions de dirhams pour se positionner sur ce marché prometteur.
De même, des fonds d’investissement panafricains comme Africa 50 renforcent les capacités financières des opérateurs locaux. Sur la scène internationale, des poids lourds comme TPG Growth, Satya Capital et Actis ont investi dans des établissements phares comme Al Yassamine, Mundiapolis et l’EMSI. Leur expertise et leurs ressources financières contribuent à hisser les standards de qualité du secteur. Il faut dire que cette affluence d’investissements répond à une demande sociale grandissante.
Aujourd’hui, environ 50% des familles marocaines optent pour l’enseignement privé, séduites par la perception d’une meilleure qualité pédagogique. Cette tendance reflète une aspiration légitime à une éducation de haut niveau, moteur de l’ascension sociale et du développement du capital humain national.
Une politique globale de soutien
Cette réforme ne doit pas être vue comme une mesure isolée mais s’inscrivant dans une politique globale qui vise à stimuler les investissements privés dans l’enseignement. Comme l’illustrent les données disponibles, ce secteur attire de plus en plus d’acteurs locaux et internationaux, soutenus notamment par le Fonds de promotion de l’enseignement et de la formation privée (FOPEP).
La Loi de finances 2025 vient également exclure du champ d’application de la TVA les locations de locaux non équipés aux établissements privés par ces mêmes sociétés foncières et OPCI. Une incitation fiscale supplémentaire pour les investisseurs immobiliers dédiés à l’éducation.
En définitive, cette réforme de l’article 102 du CGI traduit la volonté des autorités d’accélérer le développement de l’enseignement privé, secteur jugé stratégique pour l’avenir du pays. En allégeant la fiscalité des investissements dans ce domaine, l’État espère attirer davantage de capitaux et stimuler une offre éducative de qualité, répondant aux attentes des familles et des étudiants.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO