Des appels d’offres polémiques
Des laboratoires reprochent au ministère de la Santé d’avoir annulé des marchés pour 200 MDH. Les cinq laboratoires concernés se retrouvent avec des stocks de médicaments qu’ils ne peuvent plus écouler. Le ministère réfute toute annulation et évoque des lots en instance d’engagement, ainsi que la signature prochaine de contrats de livraison avec les établissements pharmaceutiques.
L’ombre d’une nouvelle polémique plane sur le ministère de la Santé. Et pour cause, une affaire d’appels d’offres portant sur l’approvisionnement en médicaments. Ces marchés, apprend-on, ont été lancés en 2016, et s’inscrivent dans le cadre du processus annuel d’approvisionnement des hôpitaux en médicaments. Comme de coutume, les laboratoires pharmaceutiques ont soumissionné à ces appels d’offres qui portent sur des quantités considérables de médicaments. Après avoir remporté lesdits appels d’offres, ces adjudicataires ont demandé au ministère les notifications nécessaires leur donnant la possibilité de commencer à livrer. Sans ce document, notons-le, ils seront légalement dans l’incapacité d’accomplir l’opération d’approvisionnement. Ces notifications font aussi office de gage pour les laboratoires, afin de s’approvisionner eux-mêmes en médicaments et matières premières nécessaires auprès de leurs fournisseurs. «La réponse du ministère n’a pas tardé à venir: certains laboratoires peuvent commencer à appliquer les termes des appels d’offres sans attendre les notifications», affirme un industriel pharmaceutique. Suite à cette «permission», les industriels ont donc donné les feux verts à leurs responsables des achats pour l’acquisition des quantités nécessaires en médicaments et en matières premières. Néanmoins, toujours dans l’attente du fameux sésame que sont lesdites notifications, ils ne pouvaient démarrer l’activité d’approvisionnement. Le doute a commencé à prendre le dessus tandis que les retards de paiements s’accumulaient. Selon une source dans le secteur de l’industrie pharmaceutique qui a requis l’anonymat, «le ministère aurait demandé à certains laboratoires de commencer à lui livrer les médicaments ayant trait à leurs marchés respectifs. Mais il y a quelques jours, et au moment où ils s’y attendaient le moins, cinq laboratoires se sont vus exclus de l’opération».
Le ministère, selon leurs dires, aurait annoncé l’annulation pure et simple des marchés les concernant, pourtant officiellement remportés auparavant. Il s’agit de l’appel d’offres N°9/2016, explique notre source, portant principalement sur les médicaments anti-hypertenseurs, l’Amlodipine (hypertension), l’aspirine, la metformine (Diabète)… Les marchés annulés porteraient sur un montant de 200 MDH. Contacté par les Inspirations ÉCO, le ministère de la Santé dément toute annulation d’appel d’offres portant sur l’approvisionnement en médicaments. Même son de cloche du côté de l’Association marocaine de l’industrie pharmaceutique (AMIP), qui nie l’existence d’un tel problème. L’association nous affirme que s’il y avait suppression de marché, l’AMIP serait la première à s’en saisir. Selon notre source au ministère de la Santé, certains médicaments concernés par l’appel d’offres en question n’ont certes pas été réceptionnés par souci d’optimisation des approvisionnements et des dépenses.
Plus simplement, le ministère n’a pas besoin de quantité de médicaments qu’il va tout simplement stocker ou peut-être détruire ensuite s’ils périment. Mais pourquoi a-t-il lancé des appels d’offres, sachant que les quantités qui y figurent ou que les médicaments en question ne font pas l’objet d’un besoin immédiat ? Selon la même source ministérielle, les laboratoires en question auraient commencé à fabriquer les médicaments juste après avoir décroché les appels d’offres N° 9/2016 sans en référer au ministère. Mais ont-ils tort de vouloir être prêts pour livrer dans les temps impartis ? En tout cas, depuis une semaine que l’on essaie de trouver des réponses à ces questions, le ministère a finalement recontacté les cinq laboratoires pour la signature, incessamment, de contrats de livraison partielle. En d’autres termes, il y aura toujours des lots de médicaments qui resteront en «instance d’engagement». Plus clairement, lors du prochain approvisionnement annuel, le ministère se tournera vers les cinq laboratoires sans lancer d’autre appel d’offres. Les concernés n’auront alors qu’à prendre leur mal en patience et espérer que le ministère ne mette pas trop de temps avant de les «débarrasser» de ces lots qu’ils gardent contre leur gré. Mais un autre facteur explique ce genre de malentendu qui, certes, n’est pas la règle. Toujours selon notre source au ministère, ce dernier a toujours effectué des achats par anticipation. Les appels d’offres -une vingtaine en général- sont lancés un an à l’avance. C’est un processus lent et complexe dû à une contrainte réglementaire qui ne permet pas de réagir rapidement aux besoins et autres ruptures potentielles. La préparation et la publication des appels d’offres pour approvisionnement en médicaments prennent un mois et demi. Au total, la procédure dure près d’un an si l’on y ajoute les six mois de délai de livraison et d’autres formalités encore. Il s’agit de plus de 1.000 médicaments destinés aux hôpitaux publics et dispensaires dont 30% sont importés et 70% produits localement. Une preuve supplémentaire de la force que l’industrie pharmaceutique marocaine avait acquise ces dernières années grâce à un investissement privé conséquent. Pour le ministère, ces procédures verrouillées et souvent lentes sont aussi un gage de bonne gouvernance et de rationalisation des dépenses dans un secteur budgétivore.
Confiance entamée ?
Les cinq laboratoires qui seraient concernés par l’annulation des appels d’offres se retrouvent avec des quantités de médicaments et de matières premières qu’ils ont achetées, mais qu’ils ne peuvent plus livrer au client qu’est le ministère de la Santé. Selon nos sources, il y aura sûrement des ruptures de stock de ces médicaments vitaux au sein des hôpitaux. Cela risque de provoquer l’ire des patients et de susciter plus de tension dans un secteur lésé, souffrant de déficits multiples et chroniques. Faut-il aussi rappeler que le ministère est censé provisionner le budget nécessaire à l’approvisionnement des hôpitaux avant le lancement des appels d’offres. Dans le cas de ce marché, il s’agit d’un montant de 200 MDH. Enfin, les industriels indiquent n’avoir plus confiance dans un ministère qui peut à tout moment revenir sur ses engagements. Ils auront besoin à l’avenir -et exigeront- des garanties ou acomptes conséquents pour pouvoir s’engager dans «des appels d’offres aussi onéreux».