Délais de paiement : la DGI précise les échéances pour les déclarations

À partir d’avril 2025, toutes les entreprises devront déclarer leurs factures impayées depuis janvier 2024 via le portail SIMPL, sous peine de pénalités.
À l’approche du 1er avril 2025, les entreprises sont confrontées à une obligation déclarative renforcée. C’est dans ce contexte que la Direction générale des impôts (DGI) vient de publier un communiqué rappelant les obligations déclaratives liées aux délais de paiement des transactions commerciales, avec des échéances précises pour 2024 et 2025.
Ce texte, ancré dans la loi n°69-21 modifiant le Code de commerce, renforce le cadre de transparence financière tout en imposant des contraintes opérationnelles aux entreprises.
Analyse des implications pour les contribuables concernés ainsi que des enjeux et obligations des uns et des autres, sur la base d’une lecture croisée des textes officiels et des directives professionnelles.
Stratification des obligations
La loi n°69-21 instaure une distinction claire entre les entreprises en fonction de leur chiffre d’affaires (CA), imposant des obligations déclaratives différenciées. Ainsi, les entités réalisant un CA hors taxe (HT) compris entre 10 et 50 millions de dirhams (MDH) au titre d’un exercice clos avant le 1er janvier 2024 doivent déclarer toutes les factures émises depuis cette date et non réglées dans les délais légaux.
Cette déclaration doit intervenir avant le 1er avril 2025. Elle doit être effectuée via le portail SIMPL de la DGI et accompagnée d’un paiement spontané des amendes applicables.
Pour les entreprises dont le CA excède 50 MDH, l’obligation devient trimestrielle à partir de 2025, incluant désormais les factures inférieures à 10.000 dirhams, auparavant exclues. Un expert-comptable relève que «cette stratification par seuils de CA génère une complexité administrative, particulièrement pour les PME contraintes de compiler des données sur une période de quinze mois». Il insiste sur un point crucial : même en l’absence totale de factures impayées, la déclaration reste obligatoire, une exigence souvent négligée mais sanctionnée lourdement.
Implications juridiques et risques contentieux
Le renvoi explicite à la loi n°69-21, modifiant le Code de commerce, consolide l’objectif de lutte contre les retards de paiement, un enjeu structurel au Maroc. Une réforme qui renforce la responsabilité des dirigeants : une déclaration inexacte, tardive ou omise pourrait engager leur responsabilité, particulièrement en cas de récidive, exposant l’entreprise à des sanctions cumulatives.
Par ailleurs, le texte impose le respect strict des délais légaux de paiement – 30 jours entre entreprises et 60 jours pour les transactions impliquant des entités publiques –, reflétant une harmonisation avec les dispositions du Code de commerce.
En étendant l’obligation déclarative aux factures de moins de 10.000 dirhams pour les entreprises de plus de 50 MDH de CA à partir de 2025, la DGI élargit significativement le périmètre de contrôle, incluant des transactions auparavant considérées comme marginales. Une évolution qui traduit une volonté de traçabilité totale, où toute défaillance, même minime, devient susceptible de déclencher un contentieux fiscal ou commercial.
Les experts-comptables entre vérification et responsabilité
Quelques jours avant la Direction générale de impôts, l’Ordre des experts-comptables (OEC) a publié la directive du 11 mars 2025. Celle-ci encadre minutieusement les missions des professionnels chargés de certifier les déclarations des entités sous le seuil de 50 MDH. Trois piliers structurent cette intervention.
Premièrement, le visa requiert une lettre de mission distincte, formalisant des délais minimaux : trente jours avant la déclaration annuelle et quinze jours pour la trimestrielle, afin de garantir un examen rigoureux.
Deuxièmement, l’expert procède à des diligences ciblées, vérifiant la concordance entre les vingt-deux champs obligatoires de l’état joint (incluant identifiants fiscaux, dates clés, montants litigieux) et les pièces justificatives (factures, bons de livraison, décisions judiciaires). Des sondages représentatifs peuvent être utilisés pour adapter la vérification à la taille de l’entité.
Troisièmement, le visa prend trois formes possibles : sans réserves, avec observations détaillées, ou impossibilité de conclure en cas de documentation insuffisante. Contrairement à un audit, cette mission ne cherche pas à identifier des factures omises, mais à valider la cohérence des informations fournies par la direction. La responsabilité de l’expert est ainsi circonscrite à la vérification formelle, et non à une investigation exhaustive.
Sanctions et calcul des amendes
Le non-respect des obligations déclaratives expose les entreprises à un double risque financier. Une amende forfaitaire de 50.000 dirhams est appliquée en cas de défaut ou de retard de dépôt, indépendamment des pénalités liées aux retards de paiement proprement dits. Ces dernières suivent un barème progressif, variant selon la période du retard.
Pour les retards survenus avant le 1er juin 2024, le taux initial s’élève à 3% du montant dû, suivi de 0,85% par mois supplémentaire. Entre le 1er juin et le 1er décembre 2024, le taux initial est réduit à 2,75%, puis 0,85%. Enfin, pour les retards à compter du 1er décembre 2024, le taux initial passe à 2,50%, avec la même majoration mensuelle.
Soulignons que ce mécanisme dégressif incite à une régularisation rapide, mais exige une traçabilité irréprochable des dates de paiement, sous peine d’alourdir significativement les coûts.
Cette logique de pénalités croissantes en fonction de l’ancienneté du retard vise à accélérer les règlements, tout en pénalisant les retards structurels, reflétant une volonté de discipliner les pratiques commerciales.
Implications pour les systèmes d’information et la trésorerie
Disons que la loi n°69-21 impose une transformation digitale accélérée pour garantir la conformité, impactant directement les systèmes d’information et la gestion financière. Les entreprises doivent paramétrer leurs logiciels comptables afin d’extraire automatiquement les données nécessaires à l’état joint, comprenant les 22 champs obligatoires, tels que les délais sectoriels, les montants litigieux ou les dates de jugement.
Cette automatisation est essentielle pour éviter les erreurs manuelles et répondre aux exigences de traçabilité, notamment en cas de litige ou de contrôle fiscal.
Parallèlement, la gestion de trésorerie devient un enjeu stratégique : les pénalités cumulatives, pouvant atteindre 3% du montant dû dès le premier mois de retard, suivi de 0,85% par mois supplémentaire, risquent de grever significativement les flux de liquidités.
Les outils de contrôle de gestion, comme les prévisionnels dynamiques ou les tableaux de bord de suivi des échéances, sont désormais incontournables pour anticiper les décaissements et optimiser les délais de paiement. Une intégration entre les modules comptable, juridique et de trésorerie devient un impératif pour harmoniser les données et minimiser les risques financiers.
Les défis pour les PME
Si la réforme vise à renforcer la transparence des transactions et à protéger les fournisseurs contre les retards abusifs, elle soulève des défis structurels pour les PME, acteurs clés de l’économie nationale.
La charge administrative pèse particulièrement sur les entités sans commissaire aux comptes, contraintes d’internaliser la préparation des déclarations complexes, lesquelles exigent une maîtrise technique souvent hors de portée des petites structures. Une situation qui accroît le risque de non-conformité et de sanctions, malgré les seuils de CA censés alléger les obligations.
Par ailleurs, le flou entourant certaines notions, comme la distinction entre «date de constatation» et «date conventionnelle» de paiement, pourrait multiplier les contentieux, nécessitant un suivi juridique renforcé et des ressources dédiées.
Ces contraintes opérationnelles, couplées à des investissements informatiques parfois coûteux, risquent de distraire les PME de leur cœur de métier, tout en favorisant paradoxalement une concentration des compétences vers les grands cabinets comptables.
Ainsi, la réforme, bien que vertueuse dans son objectif, exige un équilibre délicat entre discipline financière et préservation de la compétitivité des petites entreprises.
Vers une maturité fiscale accélérée
Le communiqué de la DGI s’inscrit dans une stratégie nationale de modernisation fiscale, alignée sur les meilleures pratiques internationales en matière de transparence et de lutte contre les délais de paiement excessifs.
En rendant la digitalisation obligatoire pour les déclarations et en standardisant les processus via la plateforme SIMPL, les autorités accélèrent la transition vers un écosystème économique plus formalisé.
Pour les entreprises, cette rigueur déclarative n’est plus une simple contrainte administrative, mais un impératif stratégique : les risques financiers (amendes spontanées) et réputationnels (contentieux publics) exigent une intégration proactive de ces règles dans leur gouvernance. La digitalisation, désormais incontournable, impose une refonte des systèmes d’information et une maîtrise accrue des flux de données.
Cette mutation, si elle représente un défi opérationnel, offre aussi l’opportunité d’optimiser la gestion de trésorerie et de renforcer la crédibilité des entreprises sur un marché de plus en plus concurrentiel et régulé. À l’heure où la conformité devient un marqueur de compétitivité, l’adaptation à ces normes conditionne la pérennité des acteurs économiques, toutes tailles confondues.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO