Découvert bancaire : complément de salaire ou mal nécessaire ?
Un peu plus de 60% des comptes bancaires de particuliers, notamment des classes moyennes, sont en permanence dans le rouge. Et il n’y a pas que des bas salaires, précise un directeur d’une grande agence bancaire à Casablanca. Sans cette «facilité de caisse», il est quasiment impossible de boucler le mois pour beaucoup de ménages. À fin septembre 2024, l’encours s’élevait à 9 milliards de dirhams. Mais ce découvert coûte très cher en agios et commissions.
La fin du mois approche, et comme souvent dans de nombreux ménages, les dépenses devraient largement dépasser le salaire, même en intégrant le coup de pouce dû à la réforme de l’IR. Le compte est à découvert à partir de la deuxième semaine du mois sans compter ceux dont le salaire est tout simplement un «mort-né».
Le découvert, la nouvelle norme
«Être dans le rouge» n’a rien d’exceptionnel, la situation concerne des milliers de personnes dont la propension à épargner est proche de zéro, voire nulle. Résultat, ces salariés vivent, par milliers, avec l’illusion d’être un peu plus riches qu’ils ne le sont, grâce à un découvert consenti par leur banquier sous forme de crédit revolving. Mais cet avantage a des limites et peut s’avérer un piège.
Dans le milieu bancaire, les données les plus fiables estiment à au moins 60% la proportion des comptes de particuliers qui seraient structurellement dans le rouge. Et beaucoup sont en dépassement du plafond de leur découvert.
Selon Bank Al-Maghrib, les découverts des ménages s’élevaient à 9 milliards de dirhams à fin septembre 2024. Ils progressent de 5% en moyenne depuis dix ans. Ce «dépannage» structurel augmente le risque pour les banques. Ainsi, le taux des créances en souffrance détenues sur les ménages s’inscrit dans une tendance haussière pour ressortir à 8% à fin septembre dernier. Pour autant, les agios sur les comptes débiteurs représentent une contribution non négligeable aux résultats des banques.
Un dépannage onéreux
Le découvert n’est pas un droit, mais un service, une forme de crédit inscrit dans la convention de compte, et en contrepartie duquel votre banque va vous facturer des frais. L’autorisation de découvert est la situation où la banque autorise expressément le client à disposer de fonds qui dépassent le solde de son compte à vue.
Le dépassement est en revanche un découvert tacitement accepté en vertu duquel la banque autorise le client à aller au-delà du montant de découvert convenu. Ses conditions d’utilisation doivent être précisées dans la convention de compte, une convention que peu de gens lisent. Attention, l’autorisation de découvert ne veut pas dire que le client peut rester en permanence à découvert, explique un commercial, même si les banquiers se montrent le plus souvent tolérants. Votre banque vous accordera d’autant plus facilement un découvert qu’elle vous considère comme un client solvable et fidèle, parce que vous domiciliez chez elle votre salaire ou d’autres revenus réguliers.
Dans l’écrasante majorité des cas, ce «dépannage» est utile mais il est aussi très onéreux. En fait, les clients sont «anesthésiés», et ne font que très peu attention à ce qu’il coûte. Si vous avez fini le mois dans le rouge, en restant dans les limites définies dans le cadre de votre autorisation de découvert, votre banque se contentera de vous facturer des intérêts débiteurs (agios).
Théoriquement, les taux pratiqués dépendent de chaque banque. Curieusement, toutes facturent actuellement le découvert au tarif plein pot, le TMIC (taux maximum des intérêts conventionnels) sans que cela n’éveille la curiosité des autorités de régulation.
En revanche, si le découvert n’est pas autorisé, s’il dépasse le montant autorisé – ce qui est très courant – ou encore s’il dure longtemps, le coût peut être très élevé. Au taux maximum des intérêts conventionnels peuvent se greffer des commissions et autres frais forfaitaires, ce qui arrive fréquemment. La «souplesse» du directeur de l’agence où vous domiciliez votre salaire n’est jamais gratuite. Si votre banque tolère le dépassement et vous accorde une autorisation occasionnelle, elle va d’abord pratiquer un taux débiteur supérieur à celui du découvert autorisé.
Elle va également facturer, à chaque opération se présentant sur le compte en position débitrice, une commission d’intervention. Elle rémunère ainsi en quelque sorte l’arbitrage du conseiller qui accepte de laisser passer l’opération. Ce détail est rarement connu des clients qui sont plus concentrés sur «la solution à leur problème», confie un directeur d’agence bancaire.
Théoriquement, le client est protégé
La loi 31-08 édictant les mesures de protection de la clientèle, notamment le titre VI intitulé «endettement» qui traite les aspects relatifs au crédit à la consommation et au crédit immobilier, permettent à l’emprunteur d’apprécier la nature et la portée de son engagement financier.
Position du législateur concernant l’information et le droit à la rétractation :
. La documentation contractuelle doit informer le client de la portée de ses engagements : toute opération de crédit doit être précédée d’une offre préalable écrite qui doit indiquer, entre autres, les dispositions applicables, notamment en cas de défaillance de l’emprunteur ;
. Le client peut revenir sur son engagement dans un délai de 7 jours à compter de son acceptation de l’offre ;
. Le contrat de crédit doit obligatoirement mentionner le Taux effectif global (TEG) applicable afin de permettre au client de prendre connaissance du coût total d’un prêt.
. L’interdiction de publicité mensongère : la loi interdit toute publicité comportant des allégations, indications fausses ou de nature à induire en erreur le consommateur.
. Le délai de grâce : permet la suspension du paiement d’une dette par le tribunal compétent en cas de survenance, chez le débiteur, d’une situation imprévisible tel un licenciement et autres.
Découvert occasionnel ou permanent ?
Votre banque peut aussi choisir, pour éviter la dégradation de votre situation, de vous accorder un découvert occasionnel, une avance supplémentaire exceptionnelle destinée à couvrir vos dépenses. Elle n’y est toutefois pas contrainte : sa décision dépendra de votre profil et de votre historique chez elle. Si la dégradation de votre situation est prévisible ou récurrente, il est toujours préférable de contacter votre banque le plus tôt possible et de lui demander une autorisation de découvert spécifique. Elle pourra, le cas échéant, être renouvelée.
Abashi Shamamba / Les Inspirations ÉCO