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Union africaine : Dans les coulisses d’un jour historique

Comment le Maroc est-il arrivé à surmonter les manipulations de ses adversaires, comment ont répliqué nos alliés et, surtout, que faisait la délégation marocaine et le roi Mohammed VI pendant que le retour du royaume dans l’UA était en discussion ?

Il est 16h45, ce lundi 30 janvier 2017 à la salle des plénières Nelson Mandela. Les chefs d’État, réunis à huis clos, viennent d’élire le Tchadien Moussa Faki Mahamat président de la commission. Le point suivant, à l’ordre du jour, est la demande du Maroc de réintégrer l’UA. Le verdict ne sera prononcé qu’au terme d’un débat houleux et d’échanges frôlant l’agressivité. Dans les couloirs du siège de l’UA, les quelques journalistes marocains présents sur place s’affairaient en quête de la moindre information qui pourrait filtrer de l’intérieur de la salle.

L’information, le sésame
Devant les portes de la salle des plénières, une foule de journalistes de différentes nationalités guettaient les personnes qui quittaient momentanément la salle et leur demandaient des informations concernant les négociations. Quelques bribes d’informations remontaient, témoignant de l’intensité des échanges à l’intérieur. Les délégués anglo-saxons étaient sceptiques et nous répondaient, du bout des lèvres: «no comment»! En revanche, les délégués tunisiens et libyens étaient très compréhensifs face à notre attente. Ils nous racontaient comment Algériens et Sud-africains tenaient un discours agressif, mettant en avant les risques de division de l’UA, et comment le camp d’en face rétorquait en insistant tantôt sur l’importance du rôle du Maroc en Afrique, tantôt sur la légitimité de sa demande. À 19h25, sentant l’adrénaline monter et, ne pouvant plus attendre à l’extérieur, je fais le tour de la grande salle. J’emprunte une porte, sans savoir sur quoi celle-ci donnait. Après un certain temps passé dans ce dédale, je me retrouve devant les cabines des traducteurs. Et c’est en tendant l’oreille que j’ai pu suivre les interventions du président du Congo, Denis Sassou-Nguesso, et du chef de gouvernement de l’Éthiopie, avant d’être refoulé par la sécurité.

Le verdict
À 20h03, un délégué éthiopien sort, nous faisant savoir que notre demande a fait quasiment l’unanimité. Après les youyous et les manifestations de joie et de fierté, qu’une déléguée du Polisario gratifiait d’un regard haineux, il fallait recueillir le maximum d’informations de cette réunion historique. Quel endroit plus indiqué que l’hôtel Shératon, où des dizaines de diplomates se retrouvent chaque soir pour échanger et déployer, chacun de son côté, son lobbying ? L’ambiance se détend, les langues se délient…  


Parole de dirigeants africains…

C’est, justement, durant cette soirée du lundi dans l’ambiance détendue de l’hôtel, que nous avons pu récolter davantage d’informations sur cette folle journée. Extraits d’échanges avec certains chefs d’Etats et dirigeants africains, recueillis par des délégués de différents pays, lors de ce mémorable huis-clos.

Paul Kagamé, président du Rwanda

«Rien ne peut empêcher un État africain de regagner l’UA, du moment qu’il a réuni les conditions nécessaires. S’agissant des problèmes de frontières, qui n’en a pas ? C’est une machination du colonialisme pour laisser le continent rongé par les conflits».

Haile Mariam Dessalegn, premier ministre de l’Éthiopie

«Franchement, le Maroc est un pays qui apporte beaucoup à l’Afrique; il le fera davantage une fois membre de l’Union. Vouloir l’en empêcher n’est pas juste. D’ailleurs, la démocratie privilégie la majorité, majorité acquise au Maroc».

Denis Sassou-Nguesso, président du Congo

«Ceux qui sont vieux comme moi connaissent très bien les tenants et les aboutissants de ce conflit autour du Sahara. Ils savent aussi ô combien l’affaire est compliquée. C’est pourquoi je pense que ce que nous n’avons pas pu résoudre en 40 années ne peut être résolu aujourd’hui dans cette salle. Soyons pragmatiques: la majorité a émis son accord pour la réintégration du Maroc. Passons donc au vote et prenons le temps de régler ce conflit ici même, entre membres de cette grande famille».

Jacob Zuma, président de l’Afrique du Sud

«La Constitution du Maroc stipule clairement, dans son article 42, que le territoire du Maroc s’étend jusqu’à la frontière avec la Mauritanie et, par conséquent, le royaume ne reconnaît pas la RASD, ce qui est contraire à la charte de l’UA. Nous estimons que l’adhésion du Maroc va diviser l’Union africaine au moment où nous avons le plus besoin d’unité. Nous redoutons cette démarche. Eh bien, je me rends aujourd’hui compte que la démocratie a aussi des inconvénients. Passons..».

Alpha Condé, président de l’UA

Monsieur le président (s’adressant à Zuma), vous êtes un démocrate avéré, l’Afrique du Sud est un exemple de l’exercice démocratique dans le continent et vous-même avez été porté par la majorité. Pourquoi alors niez-vous à notre union, aujourd’hui, son droit à ce même exercice démocratique? Je pense que la démocratie a aussi des vertus, c’est pourquoi il faut respecter l’avis des 39 pays qui ont adressé leur accord par écrit à la présidence et que nous tenons entre nos mains. À partir de là, je ne pense pas que nous ayons besoin du vote puisque la majorité absolue est requise par écrit. Sur ce, je déclare, par consensus, le Maroc 55e État de l’Union africaine».


Que faisait le roi pendant ce temps-là ?

Pendant qu’était discutée la demande du Maroc de réintégrer les rangs de l’UA, la tension était à son comble au sein de la délégation royale. Le Sheraton, où était logée la délégation, tenait plus de l’annexe du siège de l’UA que d’hôtel. On pouvait y voir un défilé de diplomates et de chefs d’État avant et après la victoire du Maroc. Mais pendant les 3h30 de débats houleux à la salle des plénières, le roi Mohammed VI suivait de près l’avancement des échanges. Plus les propos de nos adversaires se révélaient agressifs à l’égard du Maroc, plus l’adrénaline montait. Un membre de la délégation marocaine m’a fait une description très inspirée. «Nous étions comme un joueur remplaçant qui voyait le résultat du match disputé par son équipe tenir à un fil, entre la victoire et la défaite, sans pouvoir rien faire, n’étant pas sur le terrain». Nous avons aussi appris que le roi, entouré d’une équipe resserrée composée de son conseiller Fouad Ali Himma, du ministre des Affaires étrangères, Salaheddine Mezouar, et son ministre délégué Nasser Bourita, et du patron de la Direction générale des études et de la documentation (DGED), Yassine Mansouri, était sur tous les fronts. Il donnait ses instructions, répondait à l’appel téléphonique d’un chef d’État ou encore passait un coup de fil. Il s’agissait de suivre avec attention le déroulement des débats pour voir récolter les fruits de plusieurs années de dur labeur. À 20h03, dès que le président de l’UA, Alpha Condé, a annoncé l’acceptation de la demande du Maroc, c’était le soulagement dans la résidence royale. Dans le hall de l’hôtel, la joie de la délégation marocaine était visible, illustrée par des accolades entre les membres de la délégation et l’hymne national, scandé un peu plus tard sur des notes de piano. Une heure plus tard, le hall de l’hôtel et les salons d’accueil étaient pris d’assaut par des diplomates africains venus féliciter la délégation marocaine. Le roi et sa dream-team ont ensuite travaillé jusqu’à une heure tardive en prévision du discours royal au au siège de l’UA. Ce qui fut un exercice parfaitement réussi, l’équipe du protocole royale ayant peaufiné tous les détails, en dépit d’un timing très serré et devant la complexité de la procédure juridique permettant à la délégation marocaine de fouler le sol du siège de l’Union africaine dès le lendemain, soit le 31 janvier 2017.


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