Un nouveau domaine où le Maroc veut asseoir son leadership en Afrique
L’Unesco a choisi le royaume comme chef de file dans l’intelligence artificielle en organisant, les 12 et 13 décembre à Benguerir, la première édition du forum sur l’intelligence artificielle en Afrique.
Le Maroc a trouvé un nouveau domaine où il veut asseoir son leadership en Afrique. C’est l’intelligence artificielle (IA), une thématique qu’Audrey Azoulay, la directrice générale de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), lui a servi sur un «plateau d’argent» en organisant la première édition du forum sur l’intelligence artificielle en Afrique à l’Université Mohammed VI Polytechnique à Benguerir (UM6P), les 12 et 13 décembre en partenariat avec l’UM6P, le Fondation OCP et Microsoft. Pour justifier son choix porté sur le Maroc comme chef de file de l’IA en Afrique, un domaine où le continent compte pourtant des champions comme l’Afrique du Sud, le Kenya, le Nigeria ou encore le Rwanda, l’Unesco a pointé du doigt «les conditions politiques, législatives, institutionnelles, économiques et sociales des pays africains qui ne permettent pas toujours de créer un environnement propice pour libérer le potentiel de l’IA». Des conditions, dit-elle, qui plombent l’accès pour tous à l’éducation de qualité dans la science, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques (STIM) et empêchent la mise en place de politiques publiques favorisant la recherche, l’entrepreneuriat et l’open data dans un cadre réglementé, lesquelles se traduisent par l’émergence de solutions basées sur l’IA élaborées au gré des opportunités dans un cadre indéfini, aussi bien sur le plan des politiques publiques que parfois sur le plan des valeurs et des droits humains.
Le Maroc doté d’une stratégie et d’une agence dédiée
Néanmoins, souligne l’Unesco, il est intéressant de noter que des pays ont choisi de prendre part plus intelligemment à la révolution technologique et de veiller au développement de l’IA afin de se positionner sur l’échiquier international de l’innovation technologique. «C’est le cas du Maroc qui s’est doté en 2016 de la Stratégie Maroc Digital 2020 et qui a créé en décembre 2017 l’Agence du développement digital, placée sous la tutelle du ministère de l’Industrie, du commerce, de l’investissement et de l’économie numérique», est-il expliqué. Abondant dans le même sens que l’Unesco, Saïd Amzazi, le ministre de l’Éducation nationale, de la formation professionnelle, de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, a révélé à l’assistance, venue des quatre coins du continent que le royaume a commencé à aller plus loin dans l’IA. Le ministre a notamment donné deux exemples. Le premier a trait à l’important investissement récemment consenti par le Centre national de recherche scientifique et technique (CNRST) pour se doter d’un HPC (High Performance Computing) de 700 cœurs. Il s’agit du tout premier Datacenter universitaire au niveau national qui est destiné à offrir aux différents établissements d’enseignement supérieur et de recherche marocains des capacités de calcul de très haute performance. Selon Saïd Amzazi : «il pourra être utilisé d’une façon mutualisée et à distance par l’ensemble des chercheurs marocains et l’ambition dans un futur proche est d’en augmenter la puissance afin d’en faire un datacenter également accessible aux chercheurs africains». Tandis que le second est relatif à un appel à projets IA, que son département va lancer, début janvier, en partenariat avec celui de l’industrie. Doté d’un budget de 50 MDH (Enseignement supérieur : 35 MDH et industrie :
15 MDH), cet AP vise à accompagner les efforts des laboratoires nationaux de recherche en IA, notamment en datascience et bigdata. «À travers cet AP, nous allons exiger deux choses. Primo, une ouverture sur les industries, c’est-à-dire que tous les projets devraient être présentés par un couple université-industrie. Pourquoi, parce que nous voulons que tous les projets financés à travers cet AP aient une application sur une problématique industrielle, ce qui permettra ainsi d’impacter positivement le PAI (Programme d’accélération industrielle). Secondo, c’est une occasion d’inviter les laboratoires étrangers, qui ont une grande expérience dans l’IA, à se mettre avec nous. Ces derniers pourront également soumissionner à l’AP avec des industries locales. Notre objectif est de les constituer en un cluster IA qui travaillera étroitement et à long terme avec l’industrie marocaine». Selon le ministre, l’idée de cet AP rencontre déjà un grand succès. L’USAID aurait donné son accord pour mettre 5 millions de dollars sur la table.
L’IA, une matière difficile à apprivoiser
Ce cadre politique et institutionnel et ces deux projets suffisent-ils à propulser le Maroc au premier rang africain en matière d’IA ? La démarche marocaine est certes bonne mais la réponse est quand même non, pour l’instant en tous cas, parce que l’IA est une matière difficile, très difficile à apprivoiser. Il faut la manier avec beaucoup de dextérité. Elle peut autant favoriser le progrès humain et le bien-être social qu’exacerber la fracture numérique et détruire des vies, notamment à cause de la sélectivité qu’elle impose dans le domaine professionnel. Autant donc dire que les défis qu’elle pose pour son développement exigent une profonde réflexion et un traitement à long terme. Prenons l’exemple de la fuite des cerveaux à laquelle toute l’Afrique et le Maroc sont confrontés. Que faut-il faire pour retenir les jeunes talents développeurs marocains et africains captés par les géants du numérique qui les payent en millions d’euros et de dollars US ? La question est difficile !