Migrants. Que se passe-t-il à Ouled Ziane?
La fin violente du campement d’Ouled Ziane ouvre des questions plus complexes sur la prise en charge humanitaire des migrants en transit.
Des pas hésitants, des mines défaites, ils marchent tout au long de l’avenue Ouled Ziane en petits groupes ou seuls ; les migrants installés dans le campement de fortune de la gare routière de Casablanca se cherchent un nouveau refuge. Oussmane, Didier et Mohamed (ndlr: les noms ont été changé) n’ont pas fermé l’oeil depuis 24 h et affichent des signes de fatigue. «Nous ne savons pas où aller. Nous avons tout perdu. Nous, on ne veut pas rester au Maroc, notre objectif c’est l’Europe», lance avec détermination, Mohamed, Guinéen et le plus jeune du groupe. Cet incendie met fin à ce campement urbain de migrants mais pose la question du sort réservé à ces migrants en situation administrative irrégulière aujourd’hui et subissant des déplacements forcés depuis juillet 2018 du nord vers le sud du Maroc.
L’accès au terrain est interdit aux migrants.
Fatigue et laxisme
Jean-Michel est Ivoirien, il est «bloqué» au Maroc depuis trois ans. Rencontré le 1er juillet, il accepte de nous parler avec prudence et de nous raconter sa version des faits quant aux incidents survenus le 30 juin au campement des migrants. «Je n’ai pas choisi de vivre à Ouled Ziane. J’y ai atterri par la force des choses», raconte-t-il. Suite au feu du 30 juin, il a tout perdu, il porte une jellaba marocaine. «Ce sont des voisins qui me l’ont donnée», poursuit celui qui vivait à Branes, quartier populaire de Tanger. Que connaît-il des raisons de l’incident ? «À 4 heures du matin, mes frères m’ont réveillé en catastrophe pour quitter le camp. On a failli y laisser notre peau», souffle-t-il. Et de botter en touche : «Personne ne sait vraiment ce qui s’est passé». Le feu qui s’est déclaré dans la nuit du samedi 29 et dimanche 30 juin a ravagé ce campement. L’hécatombe a été évitée de peu. «Quelques blessés ont été transportés à l’hôpital mais on ne sait pas combien de personnes exactement ont été blessées», déclare un des responsables du camp. Plusieurs blessés ne sont pas allés aux centres de santé de peur des arrestations. Oussmane fait partie de ces migrants blessés. Il nous montre sa main droite portant une profonde blessure. Que sait-il des origines de cet incendie ? «C’est la faute à une bande de jeunes Guinéens», accuse-t-il. Le même réquisitoire revient dans la bouche de plusieurs migrants rencontrés près de la gare. Ces derniers pointent du doigt «le laxisme des autorités face à cette bande qui a sévi durant des mois en toute impunité». Sur le parvis de cette gare routière déjà chaotique, les migrants miraculés de l’incendie du 30 juin sont installés à même le sol. Répartis par nationalité comme dans le défunt camp, certains tentent de voler un instant de répit au milieu de ce vacarme. D’autres se réunissent pour se consulter autour de l’avenir du campement. Jean Michel nous présente son «chef» Stéphane, président de la communauté ivoirienne. Dans le camp, chaque nationalité choisit son président. Il est en charge de la gestion et la sécurité du mini-campement et des relations avec les autres communautés. Le «chef» est en colère : «Nous avons à plusieurs reprises remis ces fauteurs de trouble au centre de police de la zone. Et à chaque fois, ils étaient relâchés», souligne-t-il. Et d’indiquer : «Avec les représentants des autres communautés, nous avons toujours tenu à maintenir l’ordre dans le camp et éviter l’irrémédiable ».
Les migrants ont arpenté les artères près d’Ouled Ziane pour chercher un nouveau refuge.
Des tentatives ont échoué lamentablement
Tentons de reconstruire le puzzle de cet incendie. Au début de la soirée du samedi, «un groupe de Guinéens a volé un téléphone à un Malien. Cet acte a déclenché une bataille entre deux groupes de ces communautés », avance Seydou, représentant de la communauté guinéenne au sein du campement. «Aucun Marocain n’a été impliqué dans cette affaire», tient à préciser Seydou, réfutant les versions ayant circulé sur le vol d’un Marocain. Parmi nos interlocuteurs, aucune personne ne s’avance sur l’identité de la personne qui a mis le feu en premier. «J’ai essayé, avec d’autres, d’éteindre le feu mais il s’est propagé très rapidement», se remémore- t-il. Ensuite, des batailles rangées et des expéditions punitives ont eu lieu sur la voie publique, comme en témoignent des vidéos ayant circulé sur les réseaux sociaux. Des affrontements qui se sont poursuivis durant la matinée du dimanche 30 juillet. Suite à ces incidents, une enquête est ouverte par le Police judiciaire (PJ) du district de Derb Sultan. «Neuf personnes sont en garde à vue pour les besoins de l’enquête», précise une source sécuritaire contactée par Les Inspirations ÉCO. Cette énième rixe a mis à nu une situation délétère et des tensions intercommunautaires déjà à l’oeuvre depuis une année.
Des migrants se réunissent pour se consulter autour de l’avenir du campement.
Pourrissement et violences Flash back.
Le campement a déjà pris feu à plusieurs reprises. Le premier incendie a eu lieu en juillet 2018. Plusieurs bonbonnes de gaz avaient explosé. La catastrophe est évitée de peu. Octobre de la même année, rebelote, nouvel incendie dans les mêmes circonstances. La présence des bonbonnes de gaz en nombre important a failli décimer plusieurs migrants installés dans le camp. À chaque fois, les «exilés» reconstruisent à partir de zéro leurs habitations de fortune. En plus du risque récurrent d’incendies, le campement connaît certaines rixes. La plus violente est survenue le 18 mars 2019 et s’est terminée par la mort d’un migrant d’origine guinéenne. Ce dernier s’est fait poignardé par un Camerounais. Ce décès tragique avait provoqué de vives tensions entre les deux communautés. Pour calmer les esprits, «les chefs de communautés avait décidé suite à cet incident d’exclure les Camerounais du camp», rappelle Stéphane.
Les Forces auxiliaires et de la Police nationale ont été mobilisées sous la supervision du wali de la région.
La répétition de ces incidents qui se sont produits en l’absence des ONG communautaires ou de défense des personnes de la migration se poursuit. Ce vide a fini par créer une situation intenable et dont l’aboutissement tragique a été l’incendie du 30 juin. Désormais, les dès sont jetés. Toléré par les autorités depuis décembre 2016, l’accès au terrain servant de campement est interdit aux migrants. «C’est fini et c’est une question d’heures», confie une source sécuritaire à Les Inspirations ÉCO à propos de l’interdiction de campement de migrants irréguliers dans les alentours de la gare routière d’Ouled Ziane. «Nous comptons nettoyer le terrain des dégâts causés par le feu survenu le 30 juin pour ensuite déloger les migrants de l’entrée de la gare», ajoute-t-il. Notre source finit par lâcher : «Ce terrain est désormais réservé à une entreprise de transport public qui l’utilisera comme dépôt de matériaux». Au grand bonheur des riverains. D’Ouled Ziane ou d’ailleurs, les migrants continueront leur longue marche vers le prétendu Eldorado.
Abandonnés, ces migrants se trouvent dans une détresse humanitaire et psychologique.
L’assistance humanitaire en panne
Sans couvertures, sans nourritures, sans toit, les centaines de migrants rejetés aux alentours de la gare routière se trouvent dans une grande détresse humanitaire et psychologique. Ils sont abandonnés par la société civile, les autorités gouvernementales en charge des questions migratoires et les organisations internationales présentes au Maroc. Les services sécuritaires étaient les seuls présents, en force, prêt à mettre fin définitivement à ce campement urbain de migrants. À l’exception de Caritas, les quelques actions menées durant ces trois ans étaient ponctuelles et limitées dans le temps.
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