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Libre-échange : Faut-il reprendre les négociations commerciales ?

Le Maroc s’est-il remis du traumatisme du libre-échange ? Après bientôt 3 années de suspension des négociations et de mise à niveau, cherchant à assurer un meilleur équilibre des échanges commerciaux, le Maroc doit trancher sur la démarche à suivre en matière d’ouverture commerciale. Décryptage.

En libre-échange avec 55 pays, le Maroc a décidé il y a environ deux ans de mettre un coup de frein à ses négociations commerciales. Un vrai changement de paradigme a été opéré depuis, avec le lancement du plan de développement des échanges commerciaux 2014-2016. La politique commerciale du Maroc a consisté, pendant ce temps-là, à consolider les fondations en donnant un coup de boost aux exportations tout en renforçant les mesures de défense commerciale et en mettant de l’ordre dans l’import. Résultat: les échanges extérieurs du Maroc ont été marqués, à fin 2015, par une amélioration du solde commercial de plus de 35 MMDH, soit un allègement du déficit commercial de 18% par rapport à l’année précédente.

Parallèlement, l’indicateur de l’ouverture commerciale du royaume (voir infographie) a accusé un léger creux, passant d’un taux d’ouverture de 35% en 2008 à 30% en 2015. «Un ralentissement justifié par la grande dépression mondiale de 2008 mais aussi par la défiance exprimée à l’égard des accords commerciaux», explique Ludovic Subran, économiste en chef chez Euler Hermes. Durant l’année 2016, les tendances anti-libre-échange ont pris de plus en plus d’ampleur sur le plan international avec des incidents qui ont fait l’effet d’une bombe dans certains groupements régionaux. Il s’agit notamment du Brexit, ou encore de la suspension du Traité transatlantique entre les USA et l’Union européenne. Des événements qui ont jeté de gros doutes sur les bienfaits du commerce mondial.

Commerce sain
Dans ce contexte, le Maroc sort de cette période de «stand-by» sur le plan des négociations commerci­­ales qui lui a permis de prendre de nombreuses décisions stratégiques pour son commerce extérieur. D’abord à travers la refonte de la loi sur le commerce extérieur, modernisée et mise à jour afin de prendre en considération les défis actuels du commerce mondial, avec comme nouveautés la systématisation du recours aux études d’impact et aux mandats de négociation. Ensuite, le Maroc a lancé plusieurs études d’évaluation des accords en cours de négociation et de ceux déjà opérationnels. À ce titre, le Maroc veut clairement diversifier ses partenaires en s’intéressant non seulement à des blocs régionaux africains, mais aussi américains ou encore asiatiques. Il s’agit notamment de l’UEMOA, de la CEMAC ou encore du MERCOSUR et du Canada. Des études d’évaluation sont en cours de réalisation pour chacun de ces blocs régionaux. «Le Maroc gagnerait à reprendre sa dynamique de signature d’accords de libre-échange en misant plutôt sur des petits pays à l’économie performante. Il pourrait s’inspirer du modèle de Singapour ou encore de Dubaï», conseille Subran.

Une reprise de l’ALECA ?
Le dénouement autour de l’affaire de l’accord agricole pourrait d’ailleurs aboutir à la reprise des négociations autour de l’Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) durant cette année 2017. Les pourparlers sont suspendus depuis 2014 (au bout du 4e round) officiellement en vue de permettre au Maroc de préparer son étude d’impact. Or, cette étude a livré ses conclusions depuis plus d’un an déjà. D’aucuns avaient vu dans l’attitude du Maroc une manière de temporiser en attendant une issue favorable dans le cadre de l’affaire de l’annulation de l’accord agricole qui avait éclaté entre-temps. Aujourd’hui, les officiels marocains affirment que les négociations seront rouvertes lorsque le Maroc disposera d’un mandat de négociation rédigé en bonne et due forme et que le contexte politique le permettra.

«Le mandat de négociation est toujours d’actualité, nous continuons à travailler dessus, mais cela ne veut pas dire que nous allons reprendre la négociation de sitôt», tempère Mohamed Benayad, secrétaire général du ministère du Commerce extérieur. Ce sera à la nouvelle équipe gouvernementale de trancher cette question. «Le Maroc attendait également de voir ce qu’allait donner le traité transatlantique en vue d’adopter une position. Maintenant que la conclusion d’un tel traité est sérieusement compromise, le royaume devra changer de stratégie», analyse Ludovic Subran. Il ne serait pas étonnant de voir les négociateurs marocains changer de tactique concernant l’adoption de l’ALECA. Depuis la réalisation de l’étude d’impact, le Maroc sait qu’un tel accord pourrait avoir d’importants effets sur l’économie et les institutions du pays.

Alertes
L’étude d’impact met en garde contre les défis «sociaux» qui seront soulevés par ce nouvel accord. Parmi les secteurs les plus menacés figurent les services et l’agriculture. L’entrée en vigueur de normes réglementaires devrait également affecter certaines filières comme la construction ou encore l’abattage. Cette mise à niveau normative supposerait également une baisse de compétitivité à l’export sur certains marchés hors UE. Globalement, l’ALECA comporte aussi des risques de basculement vers l’informel pour les acteurs les plus fragiles, d’où la nécessité d’importantes mesures d’accompagnement qui peuvent peser très lourd sur l’administration. L’accord devrait tout de même profiter aux industries les plus compétitives. Une reconfiguration et un renforcement des acteurs structurés, notamment les secteurs déjà exportateurs, sont attendus. L’étude présage également d’un grand potentiel de développement pour les secteurs nécessitant une mise aux normes, ce qui suppose là aussi d’importantes mesures d’accompagnement. L’ALECA devrait également mettre plus d’ordre dans les importations marocaines: les normes réglementaires exigeantes devraient à ce titre faire blocage aux importations non-conformes. L’étude note également des bénéfices en santé et sécurité importants pour les consommateurs. 


Ludovic Subran
Économiste en chef chez Euler Hermes

Le Maroc ne peut pas se passer de l’export et ne peut pas stopper net son ouverture commerciale, mais il lui faut trouver son modèle, et la fermeture n’est pas une solution. L’ouverture commerciale est allée un peu trop vite chez certains pays en développement, les exposant à d’importantes importations qu’ils n’ont pas été capables d’atténuer. Cela a été le cas pour le Brésil, l’Afrique du Sud ou encore la Turquie qui se sont peut-être ouverts trop vite et qui font maintenant face à des fragilités. Le Maroc a été beaucoup plus graduel à ce niveau-là et devrait profiter de la défiance exprimée à l’égard des accords de libre-échange. Le Maroc qui s’est ouvert plus lentement que les autres pays a aujourd’hui le choix de poursuivre son ouverture et de choisir le rythme de ladite ouverture commerciale. La politique du roi Mohammed VI est clairement inscrite dans cette démarche, l’objectif étant de diversifier les partenaires et de ne pas faire de l’Europe le seul débouché du royaume. Ceci dit, la mondialisation a apporté au Maroc énormément de bonnes choses. Le Maroc est dans ce club fermé de pays qui peuvent choisir de s’ouvrir à leur rythme et comme ils veulent pour ne pas créer plus d’inégalités qu’ils n’en ont. Tout le défi pour le Maroc est de savoir comment faire de la croissance en réduisant les inégalités. C’est un travail de longue haleine qui se poursuivra pendant plusieurs années.  


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