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La question de la bonne foi divise

Un amendement «brutal» du code des droits réels aurait un «impact négatif sur le climat des affaires», selon le ministère de la Justice. La création d’un fonds d’indemnisation pour les «acquéreurs de bonne foi» est dans le pipe.

Alors qu’un semblant d’unanimité semblait être trouvé autour des prochaines réformes visant à endiguer le phénomène de la spoliation immobilière, la direction de la législation au ministère de la Justice a remis du doute dans l’esprit des militants associatifs. Cette dernière tente d’abord de minimiser l’ampleur du phénomène: «Contrairement à ce qu’affirme l’association droit et justice (ADJM) , il n’y a pas 488 cas de spoliation immobilière. Aujourd’hui, devant les juridictions correctionnelles, nous recensons 60 cas liés à ce phénomène», affirme Bensalem Oujida, magistrat en tête du département.

Sachant que la grande majorité des affaires de spoliation sont soit en phase extra judiciaire, soit devant les juridictions civiles. Les chiffres présentés par l’Exécutif paraissent donc susceptibles d’extrapolation. «Toujours est-il que le chiffre importe peu. Il s’agit d’atteintes caractérisées au droit de propriété, un droit constitutionnel. Des mesures s’imposent et une mobilisation se justifie dès lors même s’il n’en existe qu’un seul», précise Moussa El Khal, président de l’association. Le constat de ce dernier en matière de lutte contre les spoliations est «alarmant» et «les dossiers dont l’ADJM a la charge non seulement n’évoluent pas, mais pire encore connaissent une régression nette dans leur déroulement, au mépris du respect des droits fondamentaux des victimes». Autant dire qu’un débat houleux a eu lieu le 5 avril dernier lorsque l’ADJM a réuni les intervenants impliqués dans la lutte contre la spoliation immobilière à Casablanca. Et cette guerre des chiffres cache en réalité un désaccord profond. Si d’un côté Me Younès Anibar et son collègue Messaoud Leghlimi soutiennent les victimes de spoliation avec la volonté de supprimer (ou modifier) l’article 2 du code des droits réels, protégeant l’acquéreur de bonne foi au détriment du propriétaire initial. Un acheteur qui conclut une vente avec le propriétaire apparent à la suite d’une erreur commune, peut faire échec à l’action en revendication du propriétaire réel, s’il démontre sa bonne foi le jour de l’acquisition. Une disposition considérée comme «spoliatrice». Mais que l’Exécutif hésite à modifier car «la bonne foi est un principe essentiel du droit et il ne s’agit pas de protéger un spolié pour en créer un autre», explique Oujida. Pourtant la jurisprudence de la Cour de cassation a brisé ce principe en protégeant le propriétaire initial si un faux était à l’origine de la vente. «Mais une modification brutale de ce texte pourrait avoir un impact négatif sur le climat des affaires, car cela pourrait être rédhibitoire à l’investissement», continue-t-il, au cours d’une longue diatribe.

Me Abdellatif Yagou a, quant à lui, proposé la mise en place «d’un fonds d’indemnisation pour les acheteurs de bonne foi», qui permettrait ainsi aux propriétaires initiaux d’engager des actions en restitution sans pour autant léser d’autres intérêts. La commission anti-spoliation, créée à la suite de la lettre royale du 30 décembre 2016, a rendu public en février 2017, un certain nombre de mesures. «(…) Il s’agit par exemple de la création d’un site internet par la conservation foncière que tous les propriétaires pourront interroger à distance, de la lutte contre les fausses procurations, de l’établissement au Maroc des documents (procuration) concernant des biens immobiliers situés au Maroc», poursuit l’ADJM. L’Association pour le droit et la justice au Maroc déplore néanmoins que «les conservations immobilières accompagnent très rarement les victimes dans les plaintes, alors que cela devrait être leur devoir. Les administrations et ministères croulent littéralement sous le nombre de dossiers de spoliations, et peinent très souvent à les identifier en tant que tels». 


Catastrophes en cascades

C’est pour nous décrire un cas exceptionnel que Me Messaoud Leghlimi, avocat, a choisi de briser le secret professionnel : «Mon client rentrait du travail avant de recevoir un coup de fil d’un ami qui le félicite pour les travaux de construction qu’il a entrepris sur son terrain nu. Problème : il n’a jamais rien entrepris du tout! Après une consultation du titre foncier, il se rend compte que son bien a été vendu via une fausse procuration à un promoteur immobilier qui a déjà ouvert un dossier technique pour le chantier d’un immeuble. Nous engageons alors une action pour faux et usage de faux afin d’annuler la vente initiale, une procédure qui va durer plusieurs années, et nous en avons conscience. Mais les choses se compliquent lorsque mon client reçoit une lettre de la DGI : il a été redressé fiscalement au titre de la taxe pour profits immobiliers ! Et malgré nos contestations, basées sur nos actions correctionnelles, le fisc ne veut rien entendre».



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