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Dakhla : 12.000 pêcheurs privés de CNSS

Entre les propriétaires de barques de la pêche artisanale et les pêcheurs artisanaux à Dakhla, le torchon brûle. En cause, les pêcheurs déplorent la cession des armateurs de leur quota annuel à «une mafia» de gacheteurs, qui aurait monopolisé le marché et privé près de 12.000 pêcheurs de leur déclaration à la CNSS. Un courrier a été adressé au ministre de tutelle ainsi qu’à l’Intérieur.

L’affaire fait beaucoup jaser ces derniers jours à Dakhla. Des sources bien informées nous ont assurés que la colère a atteint son paroxysme chez les pêcheurs artisanaux de cette province du sud. Et depuis quelques jours, ces derniers ont déclaré la guerre aux propriétaires des barques de la pêche artisanale de Dakhla. Selon ces mêmes sources, les pêcheurs seraient également en colère contre «une mafia», laquelle se serait constituée en un groupe de «gacheteurs» qu’ils accusent de s’accaparer près de 80 % du quota annuel de poulpes destiné à la pêche artisanale dans cette province (26% du quota global).

Cette «mafia» serait également accusée d’exercer son lobbying pour priver les pêcheurs artisanaux de Dakhla de leur droit d’être déclarés à la CNSS. Des 40.000 pêcheurs artisanaux que compte aujourd’hui le secteur au niveau national, près de 28.000 sont déjà déclarés à la CNSS, selon des sources autorisées au ministère de la tutelle. Seuls ceux de la province de Dakhla ne sont pas encore déclarés, soit près de 12.000 pêcheurs, lesquels sont recensés et répartis sur les six sites de pêche que compte actuellement la province de Dakhla Oued Eddahab Lagouira, à savoir Lassargua, Ntirifit, Labouirda, Imoutlan, Ain Bida et Mhiriz . En janvier 2011, lors de l’inauguration de la Maison du marin à Agadir, le souverain avait donné ses instructions pour faire bénéficier les marins-pêcheurs artisanaux de la CNSS. «En mai de cette même année, l’annonce a été faite par le ministre de l’Emploi : tous les pêcheurs artisanaux devaient désormais être déclarés à la CNSS. Tout propriétaire de barques de pêche artisanale devait ainsi inscrire ses marins à la CNSS. Chose qui a en effet été faite dans toutes les régions. À l’exception de Dakhla où, à ce jour, le projet semble bloqué», souligne Fouad Allali, ancien président de l’Association des amis du port. Du côté du département d’Aziz Akhannouch, la problématique est à l’étude. Contactée par Les ÉCO, Zakia Driouich, SG du département de la pêche maritime nous a déclarés, cette semaine, que le sujet était au cœur des préoccupations du ministère.

Elle affirme que le ministère gérera ce dossier en lui donnant une dimension urgente. «À Dakhla, il y en a qui sont déjà affiliés à la CNSS, mais pas la totalité car il y a la résistance d’une certaine partie, mais nous allons appliquer la loi, laquelle doit s’appliquer sur tout le royaume», précise-t-elle, catégorique. Au 27 octobre 2015, sur les 12.000 marins-pêcheurs, près de 8.253 sont détenteurs de livrets maritimes. Seuls 1.400 pêcheurs parmi eux sont affiliés à la CNSS. Pour 3.245 barques aujourd’hui actives à Dakhla, seules 68 unités ont demandé les prélèvements des cotisations de la CNSS. Le nombre de feuilles de décomptes jusqu’à cette date est de 237, dont la majorité sont établies au niveau du village de pêche de Ntirifit, selon des sources au ministère de tutelle. Concernant l’établissement des registres d’équipage, les mêmes sources affirment qu’ils sont généralisés dans l’ensemble des sites existant dans la circonscription maritime de Dakhla, mais force est de constater qu’il y a encore de la réticence chez les propriétaires des barques, qui estiment que le taux du prélèvement est très élevé (7,5%).

Pour obtenir gain de cause, les pêcheurs artisanaux de Dakhla sont prêts à tout. Déjà, plusieurs sit-in ont déjà été organisés pour interpeller les responsables sur la situation sociale difficile des pêcheurs. D’autres mouvements de protestation seront programmés si les doléances ne sont pas prises en compte. Dans une lettre adressée, le lundi 29 août, au chef de gouvernement ainsi qu’aux ministres de l’Intérieur et de la Pêche maritime, des associations représentant les marins-pêcheurs demandent l’application de la loi pour le prélèvement des cotisations de la CNSS dans la pêche artisanale. «Normalement, on doit prélever 7,5 % du chiffre d’affaires réalisé par les barques de pêche artisanale pour les cotisations sociales des pêcheurs, mais un lobby opérant dans le secteur au niveau de Dakhla semble imposer son diktat pour refuser de donner l’autorisation à l’ONP à même de procéder au prélèvement des cotisations des pêcheurs artisanaux à la CNSS», dénonce Abdelkader Essabbar, président de l’Association de la pêche artisanale à Ntirifit, lequel ajoutera, non sans regret : «les pêcheurs artisanaux de cette province sont privés de leur droit de couverture sociale, comme cela se fait dans d’autres régions du pays, depuis plus de trois ans».

La majorité de cette population de marins-pêcheurs artisanaux vit dans des conditions socio-économiques très précaires, déplore Mohamed Bakhi, marin-pêcheur à Dakhla. Celui-ci, qui dit avoir une fille malade nécessitant une opération chirurgicale au niveau du cœur pour malformation, a intenté un procès en justice contre l’un des propriétaires des barques de pêche artisanale pour non déclaration à la CNSS. «Après 27 ans passés dans le secteur comme pêcheur, je me retrouve sans couverture sociale. J’ai besoin de faire une opération pour ma fille qui est très malade, mais malheureusement, je ne suis pas déclaré à la CNSS et je n’ai pas les moyens. Je ne sais vraiment pas ce que je vais faire pour aider ma fille à guérir», souligne Bakhi aux ÉCO, non sans amertume. Les premières victimes de la non déclaration à la CNSS restent les pêcheurs qui subissent les conséquences du manque de sérieux des propriétaires des barques, et aussi de l’exploitation des pêcheurs par une mafia qui monopolise le marché. C’est ce qui a, d’ailleurs, conduit plusieurs associations de marins-pêcheurs artisanaux à s’élever contre les propriétaires des barques artisanales et ce réseau de «gacheteurs».

Diktat des «gacheteurs» !
Qui sont ces «gacheteurs» ? Ce réseau n’a plus de limites dans la région, depuis un certain temps, lance Abdelkader Essabbar, président de l’Association de la pêche artisanale à Ntirifit. Ledit réseau a réussi à acheter le quota annuel d’une vingtaine voire d’une trentaine de barques artisanales à Dakhla. «Les propriétaires des barques artisanales, même si ce n’est pas autorisé, ont commencé, depuis un certain temps à céder à un groupe de gacheteurs leur quota individuel. Ils n’hésitent donc pas à céder également leur badge, qu’ils utilisent dans les transactions, notamment au niveau de la halle aux poissons», explique Essabbar. De graves accusations, portées par les pêcheurs et les syndicalistes de la région contre cette «mafia», parlent de «pêche illicite pendant les arrêts biologiques, de poulpes non réglementaires et de ne déclarer à l’ONP que 30 % des quantités réelles de poulpes capturés durant les campagnes». Cette affaire soulève de nouveau la question de la pêche illégale de poulpes pendant les périodes d’arrêt d’activité.

Dans les milieux professionnels, on apprend également qu’une même barque, par exemple, serait utilisée plusieurs fois par cette mafia dans le trafic de poulpes. «C’est une vraie mafia qui s’accapare le quota de poulpes octroyé à la pêche artisanale à Dakhla. Ces gens ne manquent pas d’imagination pour faire leur trafic illégal. Ils ne déclarent que 30 % de leurs captures, alors que 70 % du volume global pêché par ce réseau est vendu à l’extérieur, et est transporté à bord de camions à destination d’Agadir ou encore de Laâyoune», lance, non sans colère, Mohamed Azzi, président de l’association des professionnels et des pêcheurs de la pêche artisanale Al Ouahda.

Au cours de l’année 2015, dans les six sites de pêche que compte la région, le volume global enregistré par la pêche artisanale était de 25.154.477kg, pour une valeur globale de près d’un milliard de DH, selon les statistiques du ministère de la Pêche maritime. Pour les associations des pêcheurs mécontents, ces chiffres restent en deçà des chiffres réels. Au vu, précise-t-on, des volumes importants qui ne seraient pas déclaré par ce réseau de «gacheteurs», qui refusent pourtant de déclarer leurs marins. «La CNSS devra passer à une nouvelle étape dans sa chasse à ces gens qui refusent de déclarer leurs pêcheurs en imposant des pénalités importantes pour ceux qui ne déclarent pas leurs marins», a-t-on estimé.

Autre son de cloche!
De leur côté, les propriétaires des barques artisanales adoptent, eux, un autre son de cloche. Interpellé sur la question de la non déclaration des marins artisanaux de Dakhla à la CNSS, Moulay Hassan Talbi, président de l’Association des propriétaires des barques de la pêche artisanale ne mâche pas ses mots. «Cette question de déclaration des marins à la CNSS n’est qu’un prétexte. La mobilisation qui est menée contre les propriétaires des barques n’a été lancée que depuis que j’ai adressé une lettre à sa Majesté le Roi Mohammed VI, dans laquelle je précise que le plan d’aménagement de poulpe était arrivé à son échéance depuis déjà 2004, et que l’on devait aujourd’hui le revoir», lancait-t-il d’ores et déjà. Il poursuivra, non sans colère, «toutes les rumeurs sur cette mafia qui s’accapare le quota de la pêche artisanale sont erronées.

La réalité étant qu’en ce moment, un lobby fait tout pour tenter de faire passer, avant les élections, un décret relatif à ce plan d’aménagement de poulpes pour ne pas faire des amendements. Sachant qu’il y a des indicateurs qui font que l’on doit absolument revoir ce plan. A titre d’exemple, la pêche hauturière, qui bénéficie d’un quota de poulpe de 63 %, comptait à l’époque 690 bateaux, alors qu’elle n’en compte actuellement que quelque 217». Avant de rappeler : «j’ai été le premier à revendiquer que les pêcheurs doivent être déclarés à la CNSS.

D’ailleurs, il y a des lettres, adressées aux responsables, qui le prouvent. La seule chose que je conteste aujourd’hui, c’est la manière dont on fait les prélèvements. Le taux reste très élevé à mon sens. De plus, j’estime que l’on devait faire une étude détaillé sur le secteur de la pêche artisanale au niveau national avant de prendre une décision sur le taux devant être prélevé». 


Abdelatif Mortaki
Directeur du Pôle Entreprise à la CNSS

Par rapport à la pêche artisanale, la CNSS gère cette couverture avec   l’ONP et la DPM. C’est un dossier que nous avons commencé en 2012. Nous avons mis en place toute l’organisation et la structure qu’il faut, des deux côté. Le travail a été entamé sur le site de Souiria. Il faut dire que lorsque l’opération a réussi sur ce site, les gens commençaient, en effet, à bénéficier des prélèvements progressivement, à travers tout le royaume. Nous travaillons dans la progressivité. Puisque, dès le début du projet, nous avons commencé progressivement sur l’ensemble des ports où il y a une halle automatisée. La généralisation est presque terminée. Mais, au niveau de Dakhla,  ce n’est pas encore généralisé. Je dois dire qu’il y a tout un travail à faire dans cette province. Car il y a encore la résistance de certains propriétaires de barques, qui, parfois, eux-mêmes ne sont pas concerné par la couverture. Il y a une année, avec la DPM et l’ONP, nous avons tenu des réunions de sensibilisation quant à l’intérêt de la couverture. Nous avons pensé que le message est passé. Il y a des marins qui sont couverts, mais ce n’est pas encore généralisé dans ce port où, notons-le, il y a une grande concentration des pêcheurs artisanaux. Il est à signaler que 8000 pêcheurs ne sont pas encore couverts au niveau de cette province, selon les statistiques. C’est important, quand même. Et nous ne sommes pas contents de cette situation. Pour régler le problème de la non déclaration de ces marins pêcheurs artisanaux à la CNSS, on peut certes appliquer la loi. Mais nous préférons que les gens y adhèrent tout en étant convaincus de leur adhésion. Pour l’instant, on veut aller dans ce sens tout en travaillant avec les département concernés (DPM et ONP).  
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