Mustapha Moutachaouik, le tueur d’enfants de Casablanca
Le 25 février 1978, le verdict de peine de mort prononcé contre Mustapha Moutachaouik et son complice Bouchaib Zinani, faisait la Une de la presse marocaine. Enfin, les deux dangereux criminels qui ont affolé Casablanca sont anéantis. Ils sont reconnus coupables de rapt et de meurtre de 7 enfants et d’agression sur des dizaines d’autres.
Meurtre avec préméditation sur des mineurs, constitution de gang criminel, enlèvements contre rançons, meurtres de mineurs enlevés, tentative de meurtre d’un policier et d’un membre des forces auxiliaires, vol qualifié, utilisation d’armes, agressions sexuelles sur mineurs, dissimulation de cadavres. La dangerosité de chacun de ces crimes est indéniable. Que penser alors lorsque tous ces méfaits, à la fois, sont reprochés à la même personne ?
C’est pourtant le cas lorsqu’on évoque, dans l’histoire de la criminologie marocaine, le dossier de Moutachaouik et Zinani. Deux complices qui ont défrayé la chronique.
Commençons par Mustapha Moutachaouik. Né en 1938 à Casablanca, cet orphelin de père a démarré dans le service militaire. Il n’y fera guère carrière car il se verra renvoyé pour manquements professionnels. Sans profession, Moutachaouik choisira de se spécialiser dans le vol ce qui lui vaut trois années d’emprisonnement dans les geôles d’El Jadida. Ces années en prison n’ont néanmoins pas été pour dissuader le jeune homme. Une fois libre, il reprendra ses activités criminelles, en kidnappant des jeunes filles dans le but de les violer.
Cette sombre « carrière » prend un nouveau virage lorsqu’elle dévie vers des tendances macabres. Le déclic, c’est lorsqu’en 1977, Moutachaouik et son ami Bouchaib Zinani sont en train de visionner un film au cinéma Mamounia. L’histoire du film en question traite du kidnapping d’un enfant par des trafiquants de drogues, qui tentent de le faire rançonner par son père, officier de police.
Inspirés, les deux amis y voient une nouvelle niche pour leur « business »… à une différence près. Ils conviennent d’une fin différente à leur scénario : Il leur faudrait enlever des enfants, exiger des rançons des parents, mais l’enfant devra être tué le jour même où il a été enlevé, afin d’éviter tout risque que la police ne remonte le filon vers eux.
Leurs victimes, Mustafa et Bouchaib les étranglaient à l’aide d’une cravate car, selon eux, éviter les effusions de sang, c’est anéantir toute chance à la police d’arriver aux auteurs.
Les corps sans vie étaient ensuite jetés dans un puits abandonné. Ce n’est qu’une fois cette sinistre besogne accomplie que la famille de l’enfant est contactée et une rançon exigée, leur faisant croire que l’enfant kidnappé est toujours en vie.
S’en suivit une méticuleuse élaboration du scénario, digne de grands stratèges ! Les deux acolytes ont procédé à l’identification des lieux de leurs crimes, où ils envisagèrent de procéder aux enlèvements. Premier site identifié : Le puit situé près de la plage Sidi Abderrahman à Casablanca. Et c’est en mars 1977 que le plan machiavélique fût pour la première fois mis à exécution.
La première victime s’appelait Abderrahim Saber. Comment a-t-il été approché ? Moutachaouik a d’abord identifié l’enfant. Il a ensuite recueilli des informations sur lui dans son entourage, plus précisément auprès d’un camarade de classe d’Abderrahim. Le leurre consistait à convaincre le jeune garçon que Moutachaouik était un ami de son père. Cela a marché. Toutefois, un détail a échappé au criminel : on l’a vu avec l’enfant ! La cousine de ce dernier a vu l’enfant discuter avec un étranger. Abderrahim lui expliqua que l’homme en question était un ami de son père qui voulait s’acquitter d’une dette envers lui.
Trompé, l’enfant est emmené vers le puit, dénudé, et étranglé à l’aide d’une cravate avant d’être jeté dans le précipice. Débarrassés du corps, les deux complices entamèrent les négociations avec le père. Celui-ci est contacté à plusieurs reprises et harcelé pour une rançon de 10.000DH à placer dans un sac et à faire remettre par un enfant dans un lieu précis.
L’ «enfant-messager », pour sa part, était convaincu de travailler pour le compte d’un garagiste et que sa mission était de remettre à un douanier la contrepartie de pièces détachées de contrebande.
L’argent est arrivé et la tentation des criminels n’en fût que plus grande. Ils sont revenus à la charge, quelques mois plus tard, pour réclamer 5.000DH cette fois. Devant la requête du père de recevoir une récente photo de son enfant, les deux complices s’en allèrent convoiter d’autres victimes.
Leur plan fonctionnait et leurs poches se remplissaient, si bien qu’entre mars et octobre 1977, cinq enfants ont été kidnappés et assassinés suivant le même modus operandi.
En octobre 1977, au sein de la Kissaria d’El Haffari dans le quartier de Derb Sultan, Moutachaouik kidnappe Mohammed al-Shaddadi, tout juste âgé de cinq ans. Cette fois, les deux amis pensent à photographier l’enfant avant de l’exécuter, afin de leurrer la famille pendant la phase des négociations pour la rançon.
L’enfant est étranglé avec la même cravate, suivant le même procédé, et jeté dans le même puit. C’est un autre enfant qui jouera le rôle d’intermédiaire au moment de la remise de la rançon par la tante de la victime. Or, cette fois-ci, la cravate est oubliée au cou du jeune enfant. Les investigations permettent de faire le lien entre les différentes disparitions et les descriptions données par la cousine d’Abderrahim Saber aident la police à appréhender Moutachaouik.
Jeudi 23 février 1978. C’est en date que s’est ouvert le procès de Mustapha et Bouchaib, à la première chambre du tribunal de Casablanca, sous haute sécurité. Il y avait foule ce jour-là, car tous étaient venus suivre les audiences des deux malfrats. Le verdict est lâché le soir du vendredi 24 février 1978, statuant de la peine de mort pour les deux criminels.
Devant le tribunal, Bouchaib Zinani aurait déclaré: «Le voleur se doit soit d’échapper à la justice ou mourir». Assoiffé de sang ? Zinani ne se voyait pas ainsi. «Je ne suis pas un assoiffé de sang comme l’affirme la police. Depuis 1970, j’ai commencé à enlever des enfants. J’ai attiré environ 400 jeunes filles âgées de 9 à 13 ans et je leur ai volé leurs bracelets. Si j’avais été un assoiffé de sang, j’aurais tué au moins 50 d’entre elles, mais je ne l’ai pas fait». Son procès a révélé d’autres meurtres antérieurs aux kidnappings et demandes de rançons.
En octobre 1973, alors qu’ils étaient saouls, Bouchaib et Mustapha avaient entraîné un enfant vers un endroit abandonné dans la périphérie de Casablanca. Résistant à leur tentative de viol, l’enfant est assassiné et son corps abandonné sur les lieux du crime.
Autre histoire similaire, avec un complice différent : Moutachaouik est avec un ancien camarade de prison, Mohamed Marrakchi. Ils jettent leur dévolu sur un garçon qu’ils essaient de violer. Ayant opposé une résistance, le jeune enfant sera à son tour poignardé à plusieurs reprises et abandonné sur place.
C’est dire que Moutachaouik a semé la terreur à Casablanca des années durant. Les familles craignaient pour leurs enfants jusqu’à trouver le moyen de les accompagner à l’école, voire leur interdire de pointer le bout de leur nez tous seuls dans la rue. Les forces de police ont peiné pour résoudre l’énigme de ces crimes, si ce n’étaient les erreurs commises par leurs auteurs.
Moutachaouiq et Zinani ont été exécutés en 1982. Ce fut d’ailleurs l’avant-dernière exécution de peine de mort au Maroc, précédant celle du commissaire Tabit en 1993.