Éco-Business

Modèle de développement. Comment relancer la machine

Il s’agit de partir sur des bases saines à travers des politiques sectorielles plus ambitieuses. La Commission spéciale est le point de départ pour une économie inclusive et équitable.

En octobre 2018 lors d’un colloque international sur le modèle de développement du Maroc (voir notre édition du 23 octobre 2018), le wali de Bank Al-Maghrib (BAM) a pointé du doigt de nombreuses défaillances dans le modèle actuel. Fort de sa maîtrise des sujets économiques à portée sociale, Abdellatif Jouahri a parlé de capital humain non valorisé, du manque de suivi des grands chantiers et réformes comme celle des retraites, des subventions, du Code du travail. Autant de blocages qui ont fini par compromettre la marche du pays vers l’émergence. En effet, depuis 2013, la croissance non agricole est revenue à un niveau plus bas tandis que le chômage parmi les jeunes citadins a atteint un pic inquiétant flirtant avec les 15%. Une réalité que le wali de BAM a réitéré, lundi au palais royal de Tétouan, devant le souverain. Tassement de la croissance à 3% avec des prévisions encore plus pessimistes pour l’année prochaine, un déficit budgétaire à 3,7% et des réserves de change couvrant un peu plus de 5 mois d’importation. En résumé, l’exposé de Jouahri est sans appel : le rendement de l’économie nationale reste en-deçà des exigences sociales, incapable d’absorber les inégalités économiques et spatiales. En d’autres termes, la croissance du PIB, bien que respectable, n’arrive toujours pas au niveau d’inclusivité établi par les institutions financières mondiales et à leur tête le FMI.

La Commission spéciale : première pierre à l’édifice
Toutefois, l’objectif d’inclusivité n’est pas irréalisable à condition de s’en donner les moyens. En annonçant dans son discours du trône la mise en place d’une Commission ad hoc chargée du nouveau modèle de développement, le souverain a mis la première pierre à l’édifice. Dès la rentrée prochaine, cette commission spéciale sera installée pour s’attaquer à l’un des sujets vitaux pour l’avenir du pays. Les membres de cette commission qui seront triés sur le volet devront faire preuve d’une profonde maîtrise des enjeux économiques et sociaux du pays. Issus du public comme du privé, ils doivent aussi être parfaitement au fait de ces lames de fonds qui résonnent dans la société marocaine pour en extraire les significations et la teneur. Pas besoin d’être devin pour déchiffrer l’appréciation populaire du niveau et de la qualité de vie, relatée chaque trimestre par les enquêtes du Haut-Commissariat au plan (HCP) auprès des ménages. Ce ne sont pas les indicateurs qui manquent pour conclure à l’urgence d’une politique volontariste à même de secouer le statu quo. Les partis politiques ont timidement répondu à l’appel royal à travers des propositions plus ou moins tenables. Ont-ils pris le sujet avec le sérieux nécessaire ? Là est toute la question alors qu’ils seront attendus au tournant par la commission spéciale au même titre que d’autres institutions. Les partis politiques qui alimentent aussi bien la majorité gouvernementale que l’opposition ne peuvent rester à l’écart d’un débat économique et social qui engagera le Maroc pour des décennies. On ne change pas de modèle de développement comme on change de gouvernement. La responsabilité, comme plusieurs responsables politiques le reconnaissent, est grande, collégiale et s’étend dans le temps.

Effet de choc positif
Contacté par Les Inspirations ÉCO, l’économiste Larbi Jaidi, explique que même si la pauvreté a baissé au Maroc, les inégalités qui persistent montrent une autre facette du malaise social. Il a souligné que ce rappel royal de la nécessité d’accélérer la cadence en matière de réflexion sur le modèle de développement aura un effet de choc positif. Et ceci, ajoute-t-il, à travers une approche inclusive mettant à contribution toutes les forces vives du pays : administration, entreprises publiques, partis politiques et surtout le secteur privé. Dans ce sens, il y a un besoin de politiques sectorielles plus hardies combinées à une cohérence et une convergence des politiques publiques de manière générale. Jaidi insiste aussi sur l’importance de combiner entre l’effort d’attractivité des capitaux étrangers et celui d’insertion de l’entreprise nationale. Celle-ci étant appelée à investir plus pour recruter plus et créer de la valeur ajoutée.

Ne pas oublier la classe moyenne
Partant aussi du principe que la demande intérieure est la locomotive de l’économie nationale, le déclassement de la classe moyenne peut avoir des répercussions néfastes. D’où l’intérêt de concocter une politique de soutien à cette catégorie qui a longtemps souffert de mise à l’écart qu’il s’agisse de l’offre de logement, de transport ou de loisirs. Dans le même ordre d’idée, le souverain a mis l’accent sur la nécessité d’une meilleure distribution des richesses entre les catégories sociales afin de lutter contre le sentiment de frustration sociale. Il y a exactement deux ans, le modèle de développement du pays a été mis sous les projecteurs du premier examen multidimensionnel du Maroc par l’OCDE. Selon les experts de l’organisation, la croissance au Maroc n’est pas tirée par la productivité mais plutôt par l’accumulation du capital. Il en résulte que malgré le fort niveau de l’investissement dont 30% est public (taux des plus élevés au monde), il n’y a pas eu d’augmentation significative de la croissance car, explique-t-on, le niveau de productivité du facteur travail progresse lentement au même titre que la structure de l’économie dans son ensemble. On en déduit que le dynamisme du développement marocain est insuffisant pour atteindre l’ambition affichée de rejoindre les pays émergents. L’absence de convergence des programmes et chantiers des différents départements y est pour beaucoup. C’est la raison pour laquelle le souverain n’a eu de cesse d’insister sur la convergence des politiques principalement en ce qui concerne les programmes sociaux. La gouvernance entre ainsi en jeu. Elle doit être anticipative des enjeux économiques et sociaux ainsi que de leur imbrication dans une approche de veille stratégique. Régler les problèmes par à-coups ne sied plus à un Maroc qui tend à jouer un rôle économique de premier plan dans son prolongement africain. 


Réflexion
Il faut revenir quelques années en arrière pour comprendre la dynamique qui doit bientôt mener à la mise en place de la commission spéciale chargée du modèle de développement. Il y a cinq ans, le discours du trône du 30 juillet 2014 a jeté les bases d’une nouvelle évaluation du cheminement pris par le pays dans sa marche vers le développement. L’on serait également tenté de se rappeler le rapport du cinquantenaire en 2005 qui a longtemps inspiré les réflexions dans ce sens. Plus récemment, le discours du 13 octobre 2017, adressé aux membres des deux chambres du Parlement à l’occasion de l’ouverture de la première session de la deuxième année législative de la 10e législature a clairement exhorté les forces vives du pays à mener une réflexion sérieuse sur le sujet.



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