La Grèce traînée en justice par Sotheby’s au sujet d’une statuette antique
La maison d’enchères Sotheby’s et une famille américaine de collectionneurs, sommées par la Grèce de lui restituer une statuette en bronze, ont riposté en saisissant mardi la justice, une démarche inédite sur le marché de l’art antique.
Au centre de cette bataille se dresse un petit cheval aux lignes pures du 8ème siècle avant J.C., de style corinthien selon Sotheby’s, ou issu d’ateliers de Thessalie, dans le centre de la Grèce, selon le ministère grec de la Culture. Cette pièce de 14 cm de haut devait être mise aux enchères le 14 mai à New York pour le compte de la famille Barnet par Sotheby’s, illustrant même la page de garde du catalogue de la vente.
Estimée par Sotheby’s dans une fourchette entre 127.500 et 212.000 euros, la statuette a été retirée au dernier moment suite à une lettre du ministère grec du 11 mai, dont l’AFP a obtenu copie, demandant le gel immédiat de toute transaction et appelant Sotheby’s à « coopérer » pour son rapatriement.
L’affaire aurait pu se solder par une des longues négociations qui se sont multipliées ces dernières années pour assurer le rapatriement de biens culturels sortis de leurs pays d’origine dans des conditions jugées illégales ou illégitimes.
Mais Sotheby’s et les Barnet ont décidé de contre-attaquer, lançant devant un tribunal new-yorkais une action « sans précédent connu » dans ce genre d’affaires, selon le ministère grec, qui a confirmé à l’AFP l’information révélée par le Financial Times.
Le ministère en attend la notification et « prendra toutes les mesures pour défendre l’intérêt public ». Les plaignants demandent à la justice de dire que les Barnet sont « les propriétaires légaux » de la statuette, que Sotheby’s peut « légalement » la vendre, et que la Grèce « n’a pas de fondement en droit international et américain » pour la revendiquer.
Les médias grecs se sont émus de cette initiative, y voyant une tentative de Sotheby’s de faire un exemple à l’encontre des pays qui cherchent à récupérer leurs biens sur le marché de l’art.
A l’origine de l’affaire pour avoir alerté Interpol de la vente prévue de la statuette, l’archéologue et expert judiciaire en trafic international d’antiquités, Christos Tsirogiannis, impute quant à lui l’imbroglio actuel au ministère grec.
Pour ce spécialiste, qui enseigne à l’Université de Glasgow en Ecosse, la Grèce a agi précipitamment, sans présenter correctement sa demande. « Dans son courrier, le ministère mentionne qu’il ne détient pas de preuves que la statuette a quitté le pays légalement. Or, ce qu’il fallait, c’est avancer des preuves qu’elle provient bien de Grèce et qu’elle en est sortie illégalement », s’indigne-t-il.
« Personne n’a jamais fait une telle erreur, c’est pour cela qu’il n’y a jamais eu de telle action judiciaire », insiste-t-il, tout en se gardant de porter un avis tranché sur le fond.
« Nous n’avons qu’un seul indice, c’est que la statuette figurait sur trois photos retrouvées dans les archives du négociant d’art britannique Robin Symes », impliqué à partir des années 2000 dans des affaires de trafic international d’antiquités.
C’est sur la base de ces archives que M. Tsirogiannis a saisi Interpol dans une tentative d’éclaircir le parcours de la pièce.
S’appuyant sur sa législation, antérieure à la Convention de l’Unesco de 1970 contre le trafic, la Grèce s’estime en droit de réclamer le retour des biens culturels soustraits au pays depuis 1932.
Le pays a dans ce cadre récupéré notamment en 2007 une couronne hellénistique en or dont il a été prouvé, à l’issue d’une enquête à laquelle a participé M. Tsirogiannis, qu’elle avait été acquise par le musée américain Getty auprès de trafiquants.
Mais les pilleurs ne désarment pas, comme en témoigne la découverte vendredi, par des pompiers venus éteindre un incendie de forêt, d’un trésor caché de plus de 200 antiquités volées.
Pour le petit cheval, « la clé réside à Bâle » en Suisse, où il a fait sa première apparition officielle en 1967 lors d’une vente aux enchères, selon M. Tsirogiannis. « C’est à partir de là qu’il faudrait remonter la piste », faute de quoi selon lui l’affaire s’engage mal pour la Grèce. Avis aux enquêteurs.