L’injonction de payer explose tous les records judiciaires !
L’utilisation de la procédure a triplé en un an, un succès dû à sa rapidité et son efficacité. Le recours au pénal en matière d’effets de commerce s’avère finalement moins contraignant. L’opposition peut, cependant, compliquer les choses.
Réformée en 2014 afin d’harmoniser les procédures de recouvrement des créances civiles et commerciales, l’injonction de payer est devenue en 3 ans le mécanisme civil le plus utilisé. Si entre juin 2015 et juin 2016, plus de 600.000 affaires de ce type ont été enregistrées au niveau des tribunaux, les chiffres arrêtés à juin 2017 s’élèvent à 1,9 million ! Un record jamais atteint. «Il faut rappeler qu’il s’agit de créances dont les montants sont compris entre 5.000 et 20.000 DH. Peu importantes certes mais beaucoup plus fréquentes, avec des créanciers beaucoup plus intéressés», nous explique l’un des magistrats du Tribunal de première instance de Casablanca. Il s’agit en effet d’une action peu onéreuse, permettant au créancier de contraindre rapidement son débiteur à honorer ses engagements en obtenant un titre exécutoire (une ordonnance d’injonction de payer) pour recouvrer sa créance. La première phase de cette procédure n’est pas soumise au principe du contradictoire, l’ordonnance étant obtenue sur requête, sans aviser le débiteur de la procédure. Ce dernier disposera alors d’un délai d’un mois pour faire opposition, ce qui aura pour effet de rétablir un débat contradictoire devant le magistrat. À défaut d’opposition, le créancier pourra faire apposer la formule exécutoire sur son ordonnance, disposant alors d’un titre lui permettant d’exercer des mesures d’exécution par voie d’huissier. Il est alors autorisé à procéder à des mesures d’exécution forcée en cas de non paiement de sa dette (par exemple : demander la saisie de biens mobiliers).
Sociétés fictives
L’émission ou l’acceptation d’effet de commerce telle que la lettre de change ouvre droit au recours à la procédure d’injonction de payer dès que l’engagement pris n’est pas honoré. Il en est de même s’agissant d’un chèque émis en règlement d’une créance qui, présenté à l’encaissement, est retourné impayé faute de provision ou pour provision insuffisante. D’ailleurs, cette augmentation de la procédure au niveau des tribunaux civils résulte, selon les praticiens, avec une utilisation de moins en moins importante de la procédure pénale pour les chèques sans provision. «La justice pénale réserve un sort peu enviable aux émetteurs : garde à vue, enquête préliminaire, interdiction d’émettre un chèque pendant 5 ans, frais et pénalités», indique Thami Lasri, juriste spécialisé en matière pénale. Sauf que les juges correctionnels font face à une nouvelle forme de contournement : l’émission d’un chèque par une société. Une brèche exploitée par les débiteurs afin de «ralentir» la procédure et d’échapper à la contrainte par corps. Ainsi, dans plusieurs affaires traitées par le tribunal correctionnel de Casablanca, des sociétés fictives sont créées afin d’émettre des chèques en leur nom, ce qui permet d’éviter la garde à vue automatique du vrai débiteur. Quand c’est une personne morale qui émet le chèque, la responsabilité pénale incombe au mandataire social dont le nom figure sur le modèle 7 de la société au registre du commerce. Pour ce faire, le créancier doit s’adresser à un huissier de justice afin que ce dernier signifie le certificat de paiement au débiteur. Ce n’est qu’après la délivrance d’un certificat de non-paiement que l’on peut obtenir un titre exécutoire, soit deux mois après le dépôt de la plainte. Résultat : les auteurs disparaissent dans la nature.
Les choses se compliquent en cas d’opposition
Ainsi, les créanciers préfèrent un titre exécutoire directement, sans consulter leurs débiteurs, mais sans les envoyer à la case prison non plus. Sauf qu’en cas d’opposition, les choses deviennent moins évidentes pour recouvrer un dû. Après convocation, la procédure devient, par principe, contradictoire, ce qui se traduit, pour l’essentiel, par le droit fondamental de chaque partie à la connaissance de l’intégralité des moyens de défense – faits, arguments de droit et preuves – de l’adversaire. La présence devient alors obligatoire. En cas d’absence des parties à l’audience, le juge constate l’extinction de l’instance. Dès lors, l’ordonnance est caduque. Si le créancier s’absente, le débiteur peut requérir un jugement sur le fond qui sera contradictoire, sauf si le juge use de sa faculté de renvoyer l’affaire à une audience ultérieure. Le juge peut aussi, même d’office, déclarer l’ordonnance caduque. Le jugement rendu sur opposition à ordonnance d’injonction de payer se substitue à l’ordonnance d’injonction de payer, c’est-à-dire qu’il la remplace. Le délai d’opposition est également suspendu par toute demande d’assistance judiciaire du débiteur, en vue de la prise en charge par l’État de tout ou partie des honoraires d’avocat, frais d’huissier ou d’expertise… En cas d’absence de ressources ou de niveau insuffisant de revenus du débiteur, dûment justifiée par ce dernier, le juge peut donc accepter une opposition même après avoir émis une ordonnance depuis plus d’un mois.
Champs d’application
La procédure d’injonction de payer peut être employée pour toute créance de nature civile ou commerciale. La loi précise qu’elle peut procéder d’une reconnaissance de dette, d’engagements résultant de l’acceptation ou du tirage d’une lettre de change, de la souscription d’un billet à ordre, de l’endossement ou de l’aval. Il suffit que la dette soit certaine, liquide et exigible. Inversement, la procédure d’injonction de payer est exclue, principalement pour le paiement de toutes créances de type délictuel, le paiement de dommages-intérêts pour inexécution d’un contrat ou la restitution de l’acompte versé pour résolution d’un contrat. Le paiement d’un chèque sans provision ne peut être recouvré à l’aide de la procédure d’injonction de payer puisqu’une procédure spécifique est prévue par le Code pénal.
Montrer patte blanche aux instances internationales
Ce basculement du pénal au civil pour le recouvrement d’une dette impayée par voie de chèque est également une manière de bien se faire voir par les instances internationales. «La convention internationale sur les droits civils et politiques, ratifiée par le Maroc, prévoit la levée de la contrainte par corps en matière civile, ce qui n’était pas exactement appliqué dans le royaume, notamment en matière de chèque», explique de son côté Mohamed Kouddane, professeur de droit. Aujourd’hui, dans l’immense majorité des pays dit «démocratiques», la contrainte par corps ne s’applique plus qu’aux condamnations à une peine d’amende, aux frais de justice et aux paiements au profit du Trésor, et encore, à condition qu’il s’agisse bien d’une infraction de droit commun et n’emportant pas peine perpétuelle. La durée de la contrainte par corps est variable, selon, notamment, le montant des créances garanties. Toutes les personnes ne peuvent y être sujettes. Sont prises en considération des données relatives à l’âge d’abord : l’individu doit être majeur et âgé de moins de soixante-cinq ans. En outre, disposition destinée à préserver l’intérêt de la famille, elle ne peut être exercée […]