Maroc-Afrique australe : L’heure du rapprochement ?
À l’heure où le Maroc prépare son entrée dans la CEDEAO, assistera-t-on à un rapprochement avec l’Afrique australe anglophone ? Éléments de réponse.
L’incident, survenu le jeudi 24 août dernier à Maputo, lors d’une réunion ministérielle entre le Japon et l’Union africaine, est révélateur de l’hostilité persistante entre le Maroc et les pays d’Afrique australe. Le Mozambique, pays hôte de l’événement et fidèle soutien du Polisario, a tenu mordicus à la participation de la RASD à la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD). Une présence que la délégation marocaine, conduite par le ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale, Nasser Bourita, n’entendait surtout pas accepter. Les divergences étaient telles que les deux parties ont presque failli en venir aux mains. Les habitués des rencontres continentales ne sont certes pas surpris de cet énième incident entre le royaume et les soutiens du Polisario, mais la «bagarre entre diplomates» à Maputo relance le débat sur les probabilités d’un rapprochement entre le Maroc et les pays anglophones d’Afrique australe.
Petits vs grands pays
La visite du roi Mohammed VI en Zambie, en février dernier, était une première dans un pays anglophone de cette lointaine sous-région. En juin, le ministre angolais des Affaires étrangères, Georges Chikoti, s’est déplacé à Rabat pour rencontrer son homologue marocain. Une rencontre que Nasser Bourita a qualifiée de «développement positif». Pour le chef de la diplomatie marocaine, «le Maroc est disposé à travailler avec tous les pays qui ne font pas montre d’hostilité, même s’ils ont hérité de positions d’une époque révolue sur le Sahara marocain». Mais du côté de l’Afrique australe, on semble moins enthousiaste à se rapprocher du royaume. Cette quasi-adversité est surtout entretenue par les poids lourds de la sous-région, à commencer par l’Afrique du Sud et l’Angola. «Pour les petits pays, qui ne cherchent pas à jouer un rôle diplomatique à l’internationale, c’est plus facile, comme on a vu dans les cas du Malawi et la Zambie. Pour un pays comme l’Angola, cela sera plus compliqué», note François Conradie, chef analyste politique et économique chez NKC African Economics, basé en Afrique du Sud.
Passerelles économiques
Sur le plan politique, le chemin du rapprochement est donc semé d’embûches, mais économiquement, les passerelles commencent à se multiplier. L’entrée de l’assureur sud-africain Sanlam, dans le capital du marocain Saham, en est un indicateur. Idem pour les dizaines d’accords et de conventions à portée économique, signés lors des visites du roi Mohammed VI dans ces pays. Cependant, une éventuelle concurrence entre grands groupes marocains et sud-africains risquerait d’ouvrir un autre front. «Dans le monde économique et des affaires, le grand obstacle est que les entreprises marocaines vont essayer de concurrencer les sud-africaines, présentes sur ces marchés depuis des décennies et qui bénéficient, en plus de l’appui de Pretoria, des avantages dus aux organisations régionales comme la SADC», prévient François Conradie.
François Conradie
Chef analyste politique et économique chez NKC African Economics
Les Inspirations ÉCO : Pensez-vous qu’un rapprochement est possible entre le Maroc et l’Afrique du Sud ? au Sénégal ?
François Conradie : Presque certainement pas sous un gouvernement de l’ANC, parti institutionnellement acquis à la description du Sahara comme une «colonie», et qui est redevable au FLN algérien pour beaucoup d’aide que ce dernier a apporté lors de la lutte contre l’apartheid. Mais la politique sud-africaine traverse un moment très fluide et il est fort possible que l’ANC perde le pouvoir à une coalition de l’opposition lors des élections de 2024, sinon aussi tôt que 2019, et qu’un nouveau gouvernement puisse repenser cette position.
Globalement, quels sont les obstacles auxquels le Maroc peut faire face en Afrique australe ?
Politiquement, bien sûr, l’hostilité des dirigeants envers la position marocaine sur le Sahara, mais il y a des signes que (exception faite de l’Afrique du Sud), les politiciens sont plus flexibles que leurs aînés. Dans le monde économique et des affaires, le grand obstacle sera que les entreprises marocaines vont essayer de concurrencer les sud-africaines, présentes sur ces marchés depuis des décennies, qui bénéficient, en plus de l’appui de Pretoria, des avantages dus aux organisations régionales comme la SADC.
Les pays d’Afrique australe sont prêts à lâcher la RASD ?
Pour les «petits» pays, qui ne cherchent pas à jouer un rôle diplomatique à l’internationale, c’est plus facile, comme on a vu dans les cas du Malawi et la Zambie. Pour un pays comme l’Angola cela sera plus compliqué. Et retirer sa reconnaissance de la RASD sous le Polisario ne signifie pas pour autant accepter d’enterrer l’idée du référendum. Le Maroc a du travail à faire pour convaincre ses amis africains du sérieux du plan d’autonomie qu’il propose pour cette région.