Congrès mondial de la statistique : À quoi servent les statistiques ?
Contrairement à l’aspect éclectique de la discipline, elle se trouve aujourd’hui au cœur des mutations sociales, son rôle est plus humain qu’il n’y paraît. Les pays africains ont besoin d’améliorer la qualité de leurs données pour être au diapason des objectifs pour le développement 2030.
La science des statistiques, discipline considérée à tort comme austère et réservée aux seuls experts, est au contraire au cœur même des questions que le simple citoyen pose au quotidien. Pour être plus schématique, à l’ouverture du congrès mondiale de l’Institut international de la statistique qui se tient actuellement à Marrakech, une sorte de Nobel des statistiques a été décerné, pour la première fois, à David Cox, éminent statisticien britannique pour ses travaux relatifs au modèle d’analyse des données de survie. Ce gourou des statistiques a participé à l’amélioration des traitements de certains cancers, a analysé l’amélioration cardiaque chez les personnes qui arrêtent de fumer et a trouvé des solutions majeures dans le domaine de l’ingénierie.
Devant 1.800 experts, venant de plus de 120 pays, Pedro Luis Do Nascimento Silva, président de l’Institut international de la statistique (ISI), a justement mis l’accent sur cette composante humaine d’une des filières les plus éclectiques. Interrogé par Les Inspirations ÉCO, Pedro Luis Do Nascimento Silva a affirmé que «l’objectif est qu’à travers l’amélioration de la qualité des statistiques, on puisse améliorer la qualité de vie des personnes à travers le monde». Justement, le leitmotiv de la science de la statistique pour un meilleur monde, trouve pleinement son expression aujourd’hui que la production de data émane aussi de simples usagers du net qui communiquent sur leurs dépenses ou leur diététique au quotidien. Néanmoins, explique Ahmed Lahlimi, le Haut-commissaire au Plan, plusieurs pays africains ne disposent pas d’entités de production des données fiables selon les normes de la commission des Nations Unies pour les statistiques. Lahlimi a mis le doigt sur une problématique qui touche directement la capacité de ces pays à produire les données exploitables pour mesurer leur niveau de respect des Objectifs du Millénaire établis par les Nations Unis à l’horizon 2030. «Qui pourrait, dès lors, convaincre les différents départements ministériels, les établissements publics, les organismes professionnels et tous les détenteurs de l’information de base qu’un système national d’information statistique ne peut se réduire à un organisme spécialisé quels que soient son statut juridique, l’expertise de ses ressources humaines ou son poids institutionnel», a-t-il tonné. C’est que, pour lui, tout détenteur de l’information utile pour les comptes nationaux et pour l’évaluation des politiques publiques est comptable de la qualité de la statistique nationale. Du coup, ce n’est plus un luxe pour les départements ministériels et autres organismes publics ou privés de se doter des compétences nécessaires pour contribuer à une production statistique nationale conforme aux normes internationales. «C’est d’un véritable Plan Marshall de la statistique dont l’Afrique a besoin pour qu’elle puisse décliner, à cet horizon en 2030 les résultats des performances au niveau du poids géostratégique de son continent et de la grandeur de sa civilisation», a conclu Lahlimi.
Pour sa part, Mohamed Boussaid, a mis en exergue le rôle de la statistique dans l’édifice d’une société démocratique et ouverte. Le ministre des Finances l’a qualifiée d’outil de pilotage et un facteur de production pour un développement durable et inclusif. À travers son prisme économique, Mohamed Boussaid a jeté la lumière sur le rôle d’une statistique de qualité comme avantage comparatif et décisif dans un marché concurrentiel. Il a dans ce sens appelé à l’effort nécessaire de révision des instruments d’évaluation et d’analyse, de pouvoir cerner les tendances et les phénomènes économiques changeants. Toutefois, aujourd’hui, que l’on assiste à une profusion d’informations, sa fiabilité pose problème et pousse à la vigilance. Au Maroc, l’article 27 de la Constitution garantit le droit d’accès à l’information, encore faut-il qu’elle soit disponible et dans le package exploitable pour les intéressés qu’ils soient organismes publics ou privés ou encore des personnes physiques.
Pedro Luis Do Nascimento Silva
Président de l’Institut international de la statistique (ISI)
Les Inspirations ÉCO : Quelles sont les solutions que vous pouvez apporter aux pays africains, dont le Maroc, pour améliorer la qualité de leurs statistiques afin d’être mieux outillés en termes de développement et de réalisation des Objectifs du Millénaire ?
Pedro Silva : Il n’est pas facile pour une entité qui vient de l’extérieur de montrer comment les choses doivent être organisées au sein des pays africains. Ce que nous pouvons offrir, c’est une humble contribution de la part d’une communauté internationale de statisticiens, à savoir comment utiliser les données statistiques sur la base d’une accumulation du savoir que nous partageons dans ce domaine. Le partage d’expérience est crucial pour accélérer la cadence en matière de production de statistiques de qualité. En effet, il y a un minimum de standards, mis en place par la commission des Nations Unies pour les statistiques, à respecter. Il s’agit de définir ce que nous mesurons, comment on le mesure, comment on communique sur les résultats. Ces efforts combinés de chaque pays permettent une compréhension mondiale des phénomènes.
Comment les statistiques peuvent-elles améliorer la qualité de vie des personnes ?
Elles permettent d’abord de mieux cerner les problématiques. Si vous ne connaissez pas combien de pauvres vous avez dans un pays, il serait difficile d’imaginer des solutions appropriées. En l’absence de statistiques fiables, il serait alors compliqué pour les gouvernements de mettre en place des plans pour juguler cette pauvreté. Si, par ailleurs, nous ne connaissons pas le stock restant d’une ressource naturelle, l’on ne saurait décider de l’usage approprié pour la préserver le plus longtemps possible. Il y a un adage parmi les statisticiens qui consiste à dire que ce que vous ne mesurez pas vous ne pouvez le gérer.
Souvent, il y a une sorte de conflit entre les gouvernements et les organismes de production des statistiques sur qui détient la réalité des chiffres, notamment en ce qui concerne la croissance, le taux de pauvreté, etc.
Les statistiques sont souvent produites dans un contexte où il peut y avoir différentes lectures de leurs résultats. C’est humain, on ne peut être d’accord sur tout, il y aura toujours une marge d’interprétation. Toutefois, les bonnes institutions de statistiques qui suivent les meilleures pratiques, qui publient toutes leurs données et non seulement celles qui plaisent à une partie ou à une autre, qui publient également, de manière transparente, les méthodes utilisées pour produire leurs statistiques, ce sont celles-là qui doivent avoir la confiance de la société. Or il ne faut pas céder facilement à ceux, gouvernements ou individus, qui essaient de discréditer le travail de ces institutions parce que les chiffres produits ne leur plaisent pas. Plus encore, il est de la responsabilité de ces institutions de statistiques de redresser la barre chaque fois qu’il y a un mauvais usage de la donnée statistique à des fins politiques ou autres.