Pascal Lamy ne fait pas de cadeau à l’Algérie
Dans son livre «Où va le monde», il s’est interrogé sur le rôle que ce pays veut jouer dans un contexte de tensions internes et de rétrécissement de la rente pétrolière. Lamy a par contre présenté le Maroc comme un bel exemple d’intégration de la géo-économie et de la géo-politique.
Pascal Lamy n’y est pas allé de main morte en parlant de l’Algérie dans un continent africain qui cherche la croissance avec en toile de fond, une économie globalisée. Lors d’une présentation, hier à l’OCP Policy Center à Rabat, de son nouveau livre «Où va le monde ? Le marché ou la force ?», co-écrit avec Nicole Gnesotto, Lamy s’est interrogé sur le rôle que le voisin algérien ambitionne de jouer dans la région alors qu’il est aux prises avec des tensions intestines et le rétrécissement de la rente pétrolière.
L’ex-directeur de l’OMC a, par contre, présenté le Maroc comme un pays où la géo-économie et la géo-politique vont la main dans la main depuis 30 ans. «Le succès diplomatique que représente la réintégration de l’Union africaine est justement le corollaire de ces signes de performances économiques que le Maroc a lancés», a-t-il affirmé. En effet, Lamy porte un regard économique plutôt satisfait sur l’avenir d’un pays comme le Maroc à la frontière de l’émergence. Dans son livre, il confronte sa thèse géo-économique, empreinte d’optimisme sur le rôle de régulation que l’économie peut jouer dans le monde, à celle de sa co-auteure qui voit le monde à travers un prisme géo-politique plutôt pessimiste.
C’est dans cette optique-là que le fin négociateur au G7 dans le cabinet de Jaques Delors, alors président de la Commission européenne, voit le monde. Pour lui, les forces d’intégration de la géo-économie que sont la science et la technologie domineront la politique et les relations internationales. Preuve en est, le président Trump qui a mis un peu d’eau dans son vin en recevant, jeudi dernier en Floride, le président chinois Xi Jinping. Le China Ban n’est donc plus d’actualité comme ce fut le cas lors de la campagne électorale de Trump. L’on ne parle plus aujourd’hui de la taxe de 35% que Trump voulait imposer aux importations venant de Chine, ni du déficit commercial de 347 milliard de do«llars à l’avantage des Chinois. C’est la preuve qu’au final, l’économie l’emporte.
Toutefois, la géo-économie ne gagne pas à tous les coups. Lamy est revenu à l’exemple de l’Union du Maghreb arabe, un rêve qui s’est fracassé sur le rocher des tensions politiques. Le Maroc ou la Tunisie cherchent aujourd’hui à intégrer d’autres espaces économiques, comme la CEDEAO, plus solides et tenables. La Russie poutinienne, telle que Lamy la qualifie, ne rentre pas non plus dans ce modèle géo-économique, puisque ses relations sont hautement politisées au détriment d’une démocratisation que les Russes appellent de leur voeu. Enfin, pour l’Union européenne qui a réussi son intégration politique, ou presque, grâce au catalyseur de l’économie, une grande interrogation se pose. C’est à propos de l’avenir de la globalisation dans l’espace européen que l’on se pose les questions les plus lancinantes. Une Europe déstabilisée par le brexit et la montée du populisme, sans oublier les scandales financiers de ses figures politiques.
Pour Lamy, l’Europe doit se ressaisir pour continuer à présenter le rêve d’une vie meilleure souvent clairement perçue en dehors de ses frontières, mais pas tellement considéré à l’intérieur. Dans ce nouveau livre sur la situation économique et politique mondiale, le lecteur saura apprécier la force qui s’en dégage et qui s’inspire de cette confrontation entre deux écoles et deux regards opposés. Ce genre de réflexion poussée à son paroxysme, a l’avantage de secouer les idées reçues et de se mettre en perspective plus clairement ou du moins à se poser les bonnes questions.
À l’origine du livre
L’aventure d’«Où va le monde» a commencé en 2014 lorsque Pascal Lamy est tombé sur un article assez bien travaillé sur l’avenir du monde dans le magazine «Esprit». Un article écrit avec rigueur et bien documenté par Nicole Gnesotto. Ce fut le déclic pour Lamy qui n’a pas hésité à prendre contact avec l’auteure de l’article. Peu de temps après, une correspondance entre les deux protagonistes du point de vue des idées, a pris forme. Deux voix se sont mises en position d’attaque, chacun défendant sa thèse dans l’acceptation de l’autre. De leurs croisements est né un livre scintillant qui interpelle l’intellect dans un monde de turbulences (guerre en Syrie, Trump, la crise des réfugiés, le brexit, la montée du terrorisme…).