Alexis Michalik : Ce «Porteur d’histoire» viscéral

Ce mardi 28 mars, les Casablancais ont découvert une pièce à la fois surprenante et marquante. C’est au Studio des arts vivant que «Le porteur d’Histoire» d’Alexis Michalik a ému par sa profondeur et sa sincérité. Une pièce consacrée aux Molières 2014 qui se joue depuis 2013 et dont le succès échappe même à son jeune metteur en scène et auteur. Bribes d’un tourbillon d’histoires poétique, incroyablement bien joué.
Patchwork de bouts de vies, récit dans le récit, histoires de personnages qui peuvent paraître sans histoire ou qui ont marqué l’Histoire, Alexis Michalik se joue justement de l’Histoire avec une élégance et une subtilité rares. Après avoir repris à sa manière et sans dénaturer des classiques shakespeariens comme «Roméo et Juliette» ou «La Mégère à peu près apprivoisée» en leur ajoutant une touche résolument moderne, il s’attaque à Cyrano de Bergerac dans «Edmond» et n’hésite pas à ressusciter Alexandre Dumas, Marie-Antoinette ou Delacroix dans «le Porteur d’histoire» en racontant l’histoire de Martin Martin qui doit enterrer son père et qui est loin d’imaginer que la découverte d’un carnet manuscrit va l’entraîner dans une quête à travers l’Histoire et les continents. Quinze ans plus tard, au cœur du désert algérien, une mère et sa fille disparaissent mystérieusement… Sans sourciller, l’auteur, metteur en scène et acteur français s’empare d’une histoire pour en créer plusieurs, se saisit de l’Histoire pour la raconter à sa manière.
À l’aise avec les différentes époques, il estompe les frontières en embarquant le public dans un voyage à travers le temps et l’espace, tantôt à l’époque romantique, tantôt dans les années 80, nous plongeant dans la réalité ou la fiction d’une famille, celle de Saxe de Bourville, ou encore d’une famille ardennaise qui retrouve une dizaine de manuscrits dans un cercueil à la place d’un corps. «C’est en effet sur le plateau d’un tournage que m’est venue l’idée fondatrice de cette histoire à tiroirs. Nous étions dans les Vosges, dans un petit village paisible, dont le calme absolu n’était agité que par les lourdes averses de pluie qui pimentaient son quotidien», confie Alexis Michalik, qui décide de visiter le cimetière local entre deux averses. «Un petit cimetière mystérieux, désert. En marchant entre les tombes, dont certaines étaient abandonnées, je me mis, par jeu -le bar-tabac qui vendait des Banco était fermé ce jour-là- à la recherche de la plus ancienne.
Je la trouvai. Elle ne portait plus aucun nom, et n’avait sans doute pas été fleurie depuis des dizaines d’années. Il me vint alors une idée, un début, une piste de scénario. Oui, définitivement, une idée de film». Un film qui se muera en pièce. Mais une pièce de théâtre sans prétention, avec peu de décors, 5 acteurs sur scène qui joueront plusieurs personnages, parfois même deux personnages en même temps. Une pièce qui devait se jouer 3 fois au Ciné 13 Théâtre à Paris, petite salle de Montmartre, en format court. «Cela s’est très bien passé et on m’a proposé de la jouer à Avignon, dans sa forme définitive. Cela s’est bien passé et on nous a proposé de jouer au Théâtre 13 Jardin, jolie salle parisienne, pour 6 semaines. Cela s’est très bien passé et on nous a proposé de reprendre au Studio des Champs Élysées, précieuse petite salle de théâtre privée (232 places) pour 60 représentations. Cela s’est si bien passé qu’on a prolongé, prolongé… jusqu’à passer les 700 représentations à guichet fermé. Puis on a déménagé aux Béliers parisiens où on joue depuis un an et demi. Entre-temps, le spectacle a tourné aux 4 coins du monde.
Tout cela pour dire que rien n’était, évidemment, planifié! Un succès théâtral s’inscrit dans la durée, et ce n’est qu’aujourd’hui qu’on peut constater l’incroyable succès de ce petit projet». Résultat: Deux Molières en 2014 pour la meilleure mise en scène et le meilleur auteur. La pièce, qui défend l’idée que «La vie est un récit», a permis à Alexis Michalik de faire son entrée dans la cour des grands. Mieux encore, il entre dans l’Histoire, fervent sauveur du théâtre, art plus vivant que jamais. Une tête bien pleine qui puise son inspiration de tout, qu’il laisse germer avant de se mettre à créer, un auteur et metteur en scène porteur de plusieurs histoires à raconter presque impossible à critiquer. Délicieusement énervant, agréablement déconcertant.