Enquête parlementaire sur la retraite : Appel au gel de la réforme paramétrique
Le verdict est tombé. La commission d’enquête parlementaire sur la situation de la CMR pointe du doigt plusieurs dysfonctionnements relatifs notamment à la gouvernance et à la réforme paramétrique mise en place. Elle préconise de prendre en considération les recommandations de la Commission nationale pour la réforme du régime des retraites en vue d’engager une réforme globale. L’État est appelé à payer ses arriérés qui devront être arrêtés dans le cadre du dialogue social.
C’est du déjà entendu ! Une grande partie des conclusions de la commission d’enquête parlementaire sur la situation de la Caisse marocaine des retraites ont déjà été soulevées, soit par la Cour des comptes, soit par les parlementaires relevant des syndicats.
Le rapport, dont une synthèse a été présentée en séance plénière à la Chambre des conseillers lundi après-midi, pointe du doigt le volet de la gouvernance de la caisse depuis des décennies. Il s’agit notamment du non-acquittement par l’État de ses arriérés ainsi que des dysfonctionnements d’ordre juridique, comme les avances transférées au régime des retraites militaire de l’excédent du régime civil et l’octroi de pensions sans base juridique. La multiplicité des intervenants en matière de gestion des régimes de retraites et l’absence de mécanisme de veille pour suivre les prévisions et les risques qui menacent les équilibres financiers du système sont aussi critiquées. Les parlementaires tirent à boulets rouges sur l’opération de départ volontaire des fonctionnaires de 2005, précisant que la commission qui s’est chargée d’évaluer l’impact financier de cette opération s’est basée sur une liste de 38.763 bénéficiaires potentiels alors qu’en réalité, ce chiffre a été dépassé de 1.244 bénéficiaires.
Sur le plan de la gestion, le rapport souligne un fait étonnant: la CMR n’a pas les données et chiffres sur les adhésions dont dispose la Trésorerie générale du royaume. La commission relève que les décisions prises sur le plan aussi bien politique qu’administratif ont impacté négativement le parcours de la caisse et n’ont pas permis d’atteindre les résultats escomptés car il s’agit de réformes disparates qui ne se basent pas sur une étude actuarielle ou une vision prospective. Les recommandations de la Commission nationale pour la réforme du régime des retraites devaient être prises en considération, selon les conseillers. Or, «le gouvernement de Benkirane s’est contenté d’appliquer une réforme paramétrique, contrairement aux attentes». Sur le plan financier, la faiblesse du portefeuille de la caisse est relevée ainsi que l’alourdissement du coût de la réforme paramétrique à cause du retard pris en la matière (les prémices des déséquilibres sont apparus en 1994).
L’appel est lancé pour assurer la diversification des investissements et se prémunir contre les risques qui guettent l’équilibre financier du système. La commission recommande à l’État de s’acquitter des sommes qui lui sont dues au profit du régime des retraites civil, tout en prenant en compte les intérêts et avances transférés au régime des retraites militaire de l’excédent du régime civil. Elle reproche aux différents gouvernements d’avoir caché aux partenaires sociaux et à l’opinion publique la réalité concernant les dettes de l’État à l’égard de la caisse. Le volume des arriérés devra être arrêté, selon la commission, dans le cadre du dialogue social. Les conseillers appellent à geler la réforme paramétrique et mettre en œuvre les recommandations de la commission nationale des retraites en engageant une réforme globale. Ils préconisent aussi d’améliorer la gouvernance de la CMR, surtout la garantie de l’indépendance de la caisse, la vérification de l’exactitude des données relatives à l’adhésion des fonctionnaires avec la Trésorerie générale aux niveaux central, régional et local et la révision des textes relatifs au portefeuille financier pour diversifier les investissements et préserver les équilibres financiers du système.
La commission recommande également de créer un système public spécifique aux allocations familiales. Elle stipule aussi de la révision des taux de cotisations de l’État-employeur et des adhérents conformément aux principes internationaux (deux tiers/un tiers). Ce point, rappelons-le, avait suscité un débat animé au sein de l’institution législative lors de l’examen des projets de loi relatifs à la réforme des retraites. Les recommandations de la commission d’enquête parlementaire seront-elles prises en considération par le gouvernement ? En tout cas, des parlementaires se disent prêts à les défendre bec et ongles tant auprès de l’Exécutif que de l’opinion publique. Des propositions de loi amendant la réforme paramétrique mise en place par le gouvernement pourraient être élaborées par certains parlementaires, notamment ceux relevant des centrales syndicales.
Réticence des responsables
La commission d’enquête parlementaire sur la situation de la Caisse marocaine des retraites a été confrontée à plusieurs difficultés lors de sa mission à commencer par le contexte post-électoral. Certains responsables politiques ont affiché leur réticence à se présenter aux séances d’audition en brandissant la carte de la mission limitée du gouvernent de gestion des affaires courantes. La commission a ainsi été contrainte, à plusieurs reprises, d’activer les dispositions de l’article 10 de la loi organique relative aux modalités de fonctionnement des commissions d’enquête parlementaire: «Toute personne dont une commission d’enquête a jugé l’audition utile est tenue de différer à la convocation qui lui est délivrée, si besoin, par un huissier de justice ou agent de la force publique, à la requête du président de la commission». La convocation par un huissier de justice a été utilisée trois fois. Certains responsables politiques et administratifs n’ont pas voulu répondre à toutes les questions qui leur ont été adressées par la commission. Par ailleurs, il est à signaler que la commission a tenu 37 réunions dont 20 auditions. Rappelons que plusieurs ministres ont été interpellés: le chef de gouvernement Abdelilah Benkirane, le ministre délégué à l’Intérieur Charki Draiss, celui de l’Économie et des finances Mohamed Boussaid et l’ancien chef du département de la Fonction publique, Mohamed Moubdii. D’autres responsables se sont succédé à la barre, dont le directeur de la Caisse marocaine des retraites, feu Mohamed El Alaoui El Abdellaoui, le président de l’Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale et certains directeurs aux ministères de l’Économie et des finances et de la Fonction publique. Les anciens responsables concernés par le dossier de la réforme des retraites ont aussi été auditionnés par la commission, à l’instar de l’ancien ministre de l’Économie et des finances, Fathallah Oualalou et l’ancien directeur de la CMR Mohamed Bendriss. Quelques anciens membres du Conseil d’administration de la Caisse marocaine des retraites ont aussi témoigné.