Flexibilité du dirham : Le Maroc a-t-il les reins solides ?
La transition vers un système de change flottant pose quelques inquiétudes dans un contexte d’incertitude mondiale. L’assainissement des finances publiques ainsi que l’effort de diversification et de stabilisation des échanges extérieurs et des capitaux opéré par le royaume ces dernières années lui permettent d’entamer cette période sereinement. Mais le Maroc saura-t-il tenir la distance ?
La flexibilité du dirham est attendue pour le 2e semestre de l’année. Un projet de longue date à travers lequel le Maroc cherche à compléter son ouverture à l’international en accompagnant sa libéralisation commerciale par une ouverture financière sur le marché de changes. En réalité, le royaume a procédé à cette ouverture de manière progressive. Le régime de change marocain a tranché très tôt en faveur d’une fixité rattachée à un panier de devises représentatif de l’ensemble des monnaies fortes de l’époque. Avec l’avènement de l’euro, le panier a été simplifié et réduit à deux monnaies principales: l’euro et le dollar. Une pondération longtemps fixée à 80% pour l’euro et à 20% pour le dollar.
Apprentissage
Les changements importants qu’ont connus les échanges extérieurs marocains en faveur de plus de diversification ont poussé le pays à opter en 2015 pour une révision de ce panier avec un dispatching plus équilibré de 60% pour l’euro et 40% pour le dollar sonnant ainsi le début de la réforme. Aujourd’hui, le Maroc s’achemine vers l’instauration de taux flottants déterminés par la seule règle de l’offre et de la demande sur le marché de changes (voir encadré). Plusieurs options s’offrent d’ailleurs aux autorités à ce titre, passant d’un régime de change «pur», dans lequel seul le marché définit l’équilibre, au régime de flottement administré dans lequel les banques centrales interviennent de façon coordonnée pour informer le marché des taux de change souhaités.
Le Maroc se dirige vers cette deuxième option qui est celle privilégiée par plusieurs pays émergents, dont la Chine. Et pour cause, à mesure que se développent les liens internationaux, les pays à régime de change fixe sont de plus en plus exposés à la volatilité des flux de capitaux. Selon le FMI, un taux flexible offre une meilleure protection contre les chocs extérieurs tout en conférant une plus grande indépendance à la politique monétaire. Il reste que plusieurs points de vue s’affrontent autour de cette question : «D’un côté, on a ceux qui voient d’un mauvais œil cette flexibilité qui peut causer énormément de remous notamment sur un plan sociétal, puis il y a ceux qui privilégient une ouverture contrôlée justifiée par une volonté d’apprendre et de se rassurer par rapport à une monnaie qui flotte. C’est ici le cas du Maroc», souligne Ludovic Subran, économiste en chef chez Euler Hermès. «Lorsqu’on a une monnaie qui a été fortement liée au franc puis à l’euro pendant une longue période, opter pour plus de flottement en modifiant le panier de référence avant de flexibiliser constitue un vrai apprentissage pour les entreprises et les ménages», poursuit l’expert.
La compétitivité, clé de voûte
Théoriquement, un taux de change flexible reflète la réalité de la parité d’une monnaie. Ainsi, dans le cas d’un excédent commercial et une hausse des flux des capitaux, cela se traduit par une pression sur la monnaie nationale ce qui renchérit les exportations et réduit le coût des importations. Dans le cas du Maroc, la situation est quelque peu délicate. Le royaume connaît un déficit chronique de sa balance globale (compte courant et balance des capitaux) et compte tenu de la structure et la nature des exportations et des importations marocaines, un risque important se pose pour les importations, notamment celles incompressibles (produits pétroliers, biens d’équipements, demi-produits…). «Les importations seront manifestement plus chères, mais nos exportations profiteront d’un avantage en termes de compétitivité-prix non négligeable. Par un jeu d’ajustement, il y aurait un redressement à l’équilibre, mais tout cela dépend de l’élasticité demande-prix adressée à nos produits importés et exportés», explique Nabil Boubrahimi, professeur d’économie à la faculté Ibn Tofaïl de Kénitra. Cela pose avec acuité la nécessité de renforcer la compétitivité de notre offre exportable et notre stratégie d’attrait des IDE pour assurer des entrées de devises plus contrôlées dans le cadre d’un régime de change flexible. «En comparaison avec la situation au début du processus d’ouverture commerciale, le Maroc est aujourd’hui moins vulnérable, ce qui explique partiellement le recours à la flexibilité du dirham. Le Maroc a su séquencer, avoir un tempo qui lui est propre et opter pour une ouverture contrôlée évitant de jeter le pays dans l’environnement international de manière déraisonnée», expliquait Ludovic Subran à l’occasion de la 4e édition de l’Observatoire international du commerce d’Euler Hermes fin 2016. Pour l’expert, il y a très peu de chance que le dirham se déprécie trop fortement à l’occasion de cette flexibilisation puisque le royaume dispose aujourd’hui d’un flux de capitaux stabilisés avec le reste du monde. En outre, le royaume a su maîtriser, ces dernières années, ses équilibres budgétaires et son taux d’inflation tout en améliorant ses réserves de change et en stabilisant son système bancaire.
Nabil Boubrahimi
Professeur en économie à la faculté Ibn Tofeil de Kénitra
«Il faut s’attendre à des effets sur la compétitivité prix des PME»
Les Inspirations ÉCO: Le Maroc est-il prêt aujourd’hui à compléter son ouverture financière par la transition vers un taux de change flexible du dirham ?
Nabil Boubrahimi : Une ouverture commerciale doit être accompagnée par une ouverture financière. La raison en est simple : la multiplication des échanges commerciaux se traduit par des opérations de paiements des flux d’importation et des exportations des biens et des services en plus des flux des capitaux. Cela se traduit donc par une pression sur la demande et l’offre de la monnaie nationale contre les devises. Lorsqu’on maintient un régime de change fixe ou administré, cela veut dire qu’il existe une intervention importante de la banque centrale afin de défendre sa monnaie nationale en vue de la maintenir dans la fourchette retenue. Bien évidement, pour passer à un régime de change flexible, il faut améliorer la compétitivité de notre offre exportable et attirer plus d’investissements directs étrangers. Ces IDE sont les garants d’une disponibilité des réserves en devises dont le pays aura besoin pour faire face à ses engagements internationaux.
Un taux de change déterminé par un panier de référence (euro+dollar) n’est-il pas justement un facteur important dans l’attrait des IDE, notamment européens ?
Si nous analysons la tendance des IDE, nous constatons un vrai effort de diversification dans leurs origines avec l’entrée en ligne de nouveaux pays notamment les pays du golf. Je pense qu’il faut plutôt se tourner du côté de la nature des projets d’investissement qu’offre le Maroc et leurs rentabilités financières qui est plus significative que le panier. Ce panier peut par contre handicaper la balance courante notamment le solde commercial.
Quel impact peut avoir une telle ouverture sur les entreprises, notamment les PME ?
Il faut s’attendre à un effet sur la compétitivité prix des PME et cela dépendra de la parité du dirham. La baisse de la parité sera favorable aux exportations de nos PME qui ont réclamé la dévaluation. Ces PME ont jugé le cours du dirham élevée pour vendre par exemple le textile et habillement sur des marchés comme celui du Royaume-Uni. L’approvisionnement de ces PME pourrait être plus cher en cas d’une parité à la baisse. L’essentiel est de savoir qu’il est aujourd’hui difficile de maintenir un régime de change fixe pour une économie ouverte car l’ouverture sera considérée comme inachevée et entraînerait des externalités négatives.
Comment fonctionne le marché des changes (Forex)
En optant pour un régime de change flottant, la détermination du cours de change du dirham se fera par rapport aux autres monnaies du monde par la confrontation de l’offre et de la demande des diverses devises sur le marché de changes (appelé communément «Forex»). En pratique, les principaux intervenants sur le Forex sont les banques commerciales (qui investissent sur le Forex pour leur compte propre ou pour le compte de leurs clients), les investisseurs institutionnels (fonds d’investissement, sociétés d’assurance, fonds de pensions), les entreprises (PME et multinationales qui ont besoin de devises étrangères pour réaliser des transactions commerciales), les institutions internationales (FMI, Banque mondiale, OCDE…), les particuliers, (le plus souvent par l’intermédiaire d’un courtier rémunéré) et bien évidemment les banques centrales. Ces dernières gèrent leurs réserves de change et peuvent également intervenir sur le marché pour stabiliser le taux de change d’une devise. Le Forex n’est pas un marché régulé, ce qui signifie que les transactions réalisées sur ce marché ne sont pas surveillées par une autorité publique indépendante.
Le bémol de Lahlimi
La tendance au protectionnisme qui sévit suite à l’élection du nouveau président américain et au Brexit ne devrait-elle pas inquiéter? À l’occasion de sa dernière sortie médiatique à l’occasion de la présentation des prévisions du Haut-commissariat au plan (HCP) pour l’année 2017, Ahmed Lahlimi Alami a estimé que le Maroc faisait face à des mouvements difficiles à prévoir et à imaginer. Des incertitudes sur les mouvements commerciaux et financiers de ces grands blocs pourraient avoir un impact important sur le flux de capitaux et, par ricochet, sur le marché de changes. «On est en droit de se poser la question de savoir si notre système de change fixe n’est pas déjà, par le biais du panier, un système soft de flexibilité», s’interrogeait le haut commissaire au plan. Pour le HCP, s’il y a flexibilité, les autorités devraient faire en sorte de mieux exploiter ses réserves de change. Selon les prévisions du FMI, le Maroc devrait atteindre environ 7 mois d’importations en réserves de change, une augmentation importante dans un contexte où l’institution de Bretton Woods estime que seuls 4 mois d’importations peuvent offrir une sécurité aux pays concernés. «Nous sommes en droit de se demander si le royaume ne devrait pas mobiliser une partie de ces réserves – au-delà de ce qui permet de couvrir nos risques – et la destiner aux investissements dans le secteur privé, notamment les secteurs d’avenir», précise Lahlimi. Le HCP plaide ainsi pour une mobilisation des réserves de change dans la promotion des technologies avancées, y compris dans les secteurs productifs comme l’agriculture et l’industrie.