Une banque publique d’investissement? : Les économistes marocains sont mitigés
Les pouvoirs publics n’ont cessé de multiplier les initiatives pour redynamiser le financement du tissu des PME, pourtant ces dernières continuent de souffrir du manque de financement. Créer une banque, plus souple, qui leur sera dédiée séduit plus d’un, d’autant plus que l’exemple de BpiFrance, qui n’a que 4 ans d’existence, est des plus édifiants.
Alors que le processus de liquidation de la Banque nationale de développement économique (BNDE) peine à être bouclé, profitant même d’un sursis de trois autres années, le modèle de BpiFrance ou encore celui de l’allemande Kfw, fait «rêver» plus d’un économiste au Maroc. En effet, la création de la BpiFrance le 31 décembre 2012, avait suscité une émulation au sein du ministère de l’Économie et des finances, sans pour autant que cette idée dépasse le stade de réflexion. Pour Mohammed Benmoussa, économiste, militant politique et associatif et ancien dirigeant de banque, c’est le moment pour le Maroc de se lancer dans cette voie. Selon Benmoussa, le modèle bancaire actuel a démontré ses limites et nécessite ainsi d’être révisé.
Des efforts peu efficaces
Mohamed Benmoussa estime, en effet, que les différentes initiatives déployées par les pouvoirs publics ont été vaines. Il parle, en l’occurrence, de la réduction du taux directeur, l’assouplissement des conditions de refinancement auprès de Bank Al-Maghrib, la mise en place de lignes de refinancement dédiées aux PME ou encore la transparence des banques en communiquant aux entreprises leur scoring et rating. Les encours de crédits bancaires n’arrivent toujours pas à redécoller. «Nous avons besoin d’une stratégie audacieuse dans l’industrie bancaire pour remettre en marche le développement des crédits bancaires, pour stopper l’hémorragie de la défaillance et de la mortalité des entreprises, pour encourager la création des entreprises et en particulier des PME, stimuler la croissance des PME afin qu’elles deviennent des entreprises de taille intermédiaire ou grande, favoriser leur développement afin qu’elles deviennent de grandes entreprises capables d’aller conquérir des marchés à l’international et de prendre des participations dans des entreprises étrangères, notamment sub-sahariennes», souligne Benmoussa. Une vision que partage également un autre économiste, Hammad Kassal, qui fut aussi président de la Fédération de la PME au sin de la Confédération patronale.
À cette époque, Kassal était derrière l’initiative du canadien Crédit International & Financier Experts Conseil Inc. spécialisé dans l’accompagnement des PME. L’initiative portait sur la création d’une institution financière pour l’assistance technique, la formation et le financement d’actifs. Une institution qui devait être rentable dès la troisième année pour des fonds investis au départ de 300 MDH. Le projet n’a néanmoins jamais vu le jour malgré l’enthousiasme des différentes institutions marocaines, selon un article de notre confrère La Vie Eco, datant du 23 janvier 2004. Aujourd’hui, Hammad Kassal estime que l’idée de créer une banque publique d’investissement est défendable, d’autant plus que les moyens existent. «Jamais l’État n’a mis autant d’argent dans les poches des PME que durant les trois dernières années. Avec le contrat de croissance à l’export, avec Imtiaz, Moussanada, l’État donne de l’argent aux PME. Avant, il accordait des subventions via des incitations fiscales ou des réductions, maintenant l’État donne carrément de l’argent. Au lieu de financer directement, il faut peut-être créer un organisme pouvant chapeauter les différentes structures», souligne-t-il, tout en précisant que l’État met à la disposition de Maroc PME, chaque année, 750 MDH en soutiens et subventions directes aux PME.
Un modèle mixte entre capital risque et banque
Le modèle pour lequel plaide Hammad Kassal se veut «participatif». Son idée pour la banque publique d’investissement est de fusionner les deux entités que sont Maroc PME et la Caisse centrale de garantie (CCG), dans le cadre d’une banque coopérative où les clients seront actionnaires. La banque élargira ainsi son activité aussi bien aux activités d’amorçage, d’investissement, de développement, que la banque classique auparavant. La fusion de Maroc PME et de la CCG ne voudra pas dire pour autant, selon l’économiste, la fin des garanties pour les banques privées. Au contraire, celles-ci pourront toujours solliciter la banque d’investissement. Il se trouve que cette vision de la banque publique rejoint le schéma que nous dresse Benmoussa.
Cet ancien dirigeant de banque plaide aussi pour la création d’une structure unique justement, la banque publique d’investissement, qui aura une activité de crédit bancaire de trésorerie et d’investissement, une activité d’investissement en fonds propres et d’accompagnement managérial, une activité de délivrance de garanties, ainsi qu’une activité de création de fonds d’investissement et de fonds de fonds. «La Bpi marocaine viendrait agréger toutes les structures existantes qui développent déjà une partie de ces activités. C’est le modèle qui a été suivi, notamment en France avec Bpifrance.Cette structure est un véhicule qui a agrégé et fusionné plusieurs structures existantes, en particulier la Banque Oséo, dédiée aux PME, les fonds d’investissement souverains de l’État français et CDC Entreprises, qui est une filiale du Groupe Caisse des dépôts et consignations». Benmoussa précise qu’«à notre niveau, nous devons faire la même chose et regrouper des structures existantes et complémentaires, notamment les fonds d’investissement d’État gérés par les départements ministériels, la CCG, Maroc PME, ainsi que les filiales d’investissement, de participation et de gestion de fonds de la Caisse de dépôt et de gestion (CDG). Toutes ces structures doivent être agrégées au niveau d’une seule et même entité donnant naissance à une BpiMaroc».
Plutôt un fonds souverain
Si nos deux économistes se disent favorables à l’idée de création d’une banque publique dédiée au financement des PME, entre autres, Farid Mezouar, directeur général de Flm, opte quant à lui pour la piste d’un fonds souverain qui pourrait intervenir en actions ou en dette obligataire dans les PME et les entreprises nationales. «Un tel fonds pourrait aussi plus facilement se refinancer sur le marché obligataire. Une banque publique des PME, aura à gérer la problématique du financement et surtout trouver le juste équilibre entre les expériences du crédit jeune promoteur ou le conservatisme des banques classiques», souligne Mezouar. Quant au financement de la vie quotidienne de l’entreprise et donc du besoin en fonds de roulement, l’expert en analyse financière préfère, encore une fois, une solution de recours au marché des capitaux à travers notamment des émissions de billets de trésorerie. «En cas de besoin récurrent, un renforcement des fonds propres est plus sain», juge-t-il.
Revoir les conditions des crédits
Entre ces deux modèles, une troisième voie est tracée par l’économiste Najib Akesbi. Pour lui, «une agence pour promouvoir l’investissement ne saurait être nécessairement une banque. Ce sont deux missions différentes et s’il s’agit de les réunir, pourquoi pas. Or, le vrai obstacle n’est pas l’offre de crédit, mais plutôt son coût et ses conditions d’octroi. Il faut, à ce niveau, des modifications et des changements réels». Relancer la machine du crédit et du financement des PME passerait donc par une révision de ces deux axes. Pour l’économiste, «le secret de la réussite d’une telle banque serait qu’elle accorde un financement aux banques sans les critères de la banque. L’intérêt d’une banque comme celle-ci, c’est qu’elle aurait comme particularité celle d’accompagner des projets des PME, indépendamment des conditions de bancabilité».
La responsabilité des entreprises
La création d’une telle banque est-il suffisant pour assurer un redécollage de l’économie marocaine? Un effort n’est-il pas également à fournir de la part des entreprises? Pour Benmoussa, il est nécessaire que le patrimoine du chef d’entreprise et la santé de son entreprise soient en totale harmonie. Selon l’expert, certaines entreprises sont en déconfiture alors que l’actionnaire/dirigeant est à la tête d’une fortune colossale. «Toutes ces aberrations, toutes ces pratiques non éthiques doivent cesser. De l’autre côté il faut que les banques, les pouvoirs publics, la Banque centrale, la Direction des impôts, le ministère de l’Économie et des finances, et donc le gouvernement, fassent aussi un travail colossal dans le domaine du financement bancaire, à travers notamment la création de la Bpi et la refonte des règles prudentielles qui sont extrêmement draconiennes et totalement inadaptées à la réalité du marché marocain», estime-t-il.
Mohamed Berrada
Économiste, ancien ministre des Finances
Sur l’opportunité de créer, dans notre pays, une Banque publique d’investissement, il faut se demander d’abord pourquoi faire ? Y a-t-il un marché potentiel à cet effet ? Est-ce que le financement des investissements au Maroc pose un problème actuellement ? Est-ce que les institutions financières existantes sont insuffisantes ? Ou bien, est-ce que ce projet répond à un type de financement particulier qu’on voudrait développer, par exemple pour financer des projets porteurs de risques ?… Je ne pense pas que dans le contexte actue, la création d’une telle institution soit souhaitable. D’un côté, les liquidités sont considérables sur le marché monétaire, de l’autre, la demande de crédit en particulier celle destinée aux investissements productifs ne suit pas. En conséquence, à mon humble avis, le problème ne se situe pas au niveau du financement des entreprises, mais de la relative faiblesse de l’activité économique et des opportunités d’investissement, qui se raréfient devant les opportunités plus favorables d’importation, dans le contexte d’une concurrence internationale où notre compétitivité laisse à désirer. Il faut savoir aussi qu’il n’y a plus, depuis bien longtemps, une compartimentation des banques, une sorte de séparation entre banques de dépôts et banques d’investissement. Nos banques sont devenues universelles et peuvent financer aussi bien l’investissement que l’exploitation. Pour l’instant, elles font bien ce travail et elles sont même largement sollicitées à cet effet à l’étranger. Une banque publique d’investissement ne ferait qu’alourdir notre système bancaire avec des risques probables de concurrence déloyale et des risques financiers éventuels liés à des opérations de crédit non contrôlées.
Mohammed Benmoussa
Économiste et ex-dirigeant de banque
«La Bpi ne sera pas en concurrence avec les banques privées»
Les Inspirations ÉCO : Comment voyez-vous cette Banque publique d’investissement ?
Mohammed Benmoussa : Ce sera une banque dédiée qui jouera, à la fois, le rôle de banquier et d’investisseur. La banque d’affaires propose essentiellement du conseil, du rapprochement d’entreprises, des opérations de haut de bilan. Elle mène des opérations de fusion-acquisition, d’introduction en Bourse, des levées de fonds sur le marché privé, et très accessoirement, des prises de participation dans les entreprises. L’idée est que cette activité en fonds propres devienne une activité centrale pour une Banque publique d’investissement, au même titre que l’activité de crédit bancaire traditionnel.
Cette banque va-t-elle supplanter les différentes initiatives lancées à ce jour pour aider les PME ?
Elle va plutôt se substituer à ces structures et, surtout, donner de la cohérence à l’ensemble. Aujourd’hui, nous avons quelques initiatives éparpillées qui donnent des résultats parcellaires et relativement faibles. Cela se reflète justement dans les statistiques de la mortalité des entreprises, la faible création de PME, l’évolution de l’emploi, notamment industriel, l’évolution du crédit bancaire et plus globalement de l’investissement qui a chuté sous la barre des 30% du PIB, donc le système ne marche pas. Nous avons besoin d’une structure unique, globale et cohérente qui va développer une stratégie intégrée et qui sera comptable des résultats de cette stratégie.
Ne risque-t-elle pas d’entrer en concurrence avec les banques privées ?
Elle vient en complément de leur intervention classique tout en étant un acteur dynamique et un pionnier, en fédérant les banques et les investisseurs et en ouvrant l’accès à de nouveaux marchés, de nouveaux secteurs et de nouvelles entreprises. Elle vient les rassurer en investissant ses fonds propres.
Mais cette banque peut attirer davantage «les canards boiteux» de l’économie …
Certainement pas, d’autant plus qu’elle a vocation à investir dans la durée et à siéger aux Conseils d’administration pour contrôler les entreprises à qui elle prête des fonds ou dans lesquelles elle prend des participations. Elle aura certes une exigence de ratio de return on equity moins élevée que celle des autres banques, mais elle aura intérêt à ne pas faire de mauvaises opérations, car elle sera soumise à la même réglementation prudentielle. Mais il est clair qu’elle ne cherchera pas le profit immédiat.
Quels sont les verrous à mettre en place pour éviter le scénario qu’a vécu la BNDE ?
Il y a plusieurs verrous. Le premier, c’est la loi qui va créer la Bpi et qui va définir sa doctrine d’investissement. Le deuxième verrou est la qualité de la gouvernance qui va être mise en place. Troisième élément, il faut que les instances de gestion de la Bpi soient indépendantes y compris vis-à-vis des pouvoirs publics, gouvernement et ministère de l’Économie et des finances. Il faut qu’il y ait aussi une transparence financière totale de cette banque, la Bpi doit fonctionner selon les mêmes règles qui sont imposées aux sociétés cotées avec une publication en temps des comptes, des réunions régulières avec les analystes financiers, une communication financière en direction du marché.
Quels sont les prérequis et le délai pour que cela porte ses fruits ?
Je dirais que le projet de créer une Bpi Maroc devrait voir le jour en moins de 9 mois. On doit agir vite à la fois dans la préparation de la loi-cadre de la Bpi, la désignation de son président, la mise en place de la structure, la constitution des équipes, le rapprochement et la fusion des structures existantes. Tout ceci doit être achevé en juin 2017, tandis que la doctrine d’investissement et le plan stratégique doivent être approuvés en septembre 2017. La Bpi doit donc être opérationnelle dès le quatrième trimestre de l’exercice 2017, parce qu’il y a urgence à relancer l’économie nationale et à sauvegarder notre tissu des PME et des PMI. Elle devrait atteindre son régime de croisière 24 à 36 mois après le démarrage de ses activités.