«Le financement public ne sera pas suffisant pour relever le défi climatique»
Le développement ne peut être conçu sans la prise en considération des contraintes climatiques. C’est ce qu’assure James Close, directeur du département transversal des changements climatiques au sein de la Banque mondiale, qui s’engage à mobiliser une enveloppe potentielle de 29 milliards de dollars à l’horizon 2020 au financement climatique.
Comment le plan de la Banque mondiale d’action sur le changement climatique peut-il aider les pays en développement à concrétiser certains objectifs nationaux présentés lors de l’accord de la COP 21 ?
Le Plan d’action du Groupe de la Banque mondiale est notre feuille de route pour aider les pays en développement à atteindre leurs engagements nationaux pris dans le cadre de la 21ème Conférence des Parties (COP 21) tenue l’année dernière à Paris. Pour rappel, l’objectif est de mobiliser un engagement mondial pour maintenir la hausse des températures mondiales à moins de 2 degrés Celsius d’ici 2100. L’Accord a déjà été ratifié par 60 pays et nous sommes confiants que la mise en œuvre sera une priorité pour les gouvernements signataires. La ratification implique l’atteinte des engagements pris dans le cadre de cet accord et dans ce cadre, la Banque mondiale s’est déjà mise à l’œuvre pour mobiliser son assistance technique en aide aux pays en développement pour définir et mettre en œuvre leurs engagements nationaux. Les Cadres de partenariats stratégiques régissant notre appui aux gouvernements avec lesquels nous travaillons ont également été revus de façon à les aligner avec les objectifs et les priorités environnementales prises par les gouvernements que nous soutenons. Si l’on examine de près ces engagements, on note que le secteur de l’énergie figure parmi les secteurs prioritaires dans les plans d’action de la plupart des pays à revenu intermédiaire ou en développement. Pour cela, le secteur de l’énergie figure parmi nos priorités dans le cadre du Plan d’action sur le changement climatique. Ce dernier prévoit de nombreuses mesures liées à l’investissement et à la réglementation du secteur, parmi lesquelles, l’ajout de 30 gigawatts d’énergie renouvelable – assez pour alimenter 150 millions de foyers – au mix énergétique des pays en développement. Et nous avons déjà commencé à agir sur ce front. En mai dernier, le Conseil de la Banque a approuvé un programme de 750 millions $ au profit de l’Inde pour soutenir son programme visant à équiper les toits des bâtiments de panneaux solaires. Le pays affiche en effet l’ambition de produire 100 gigawatts issus de l’énergie solaire à l’horizon 2022, dont 40 gigawatts proviendront du programme de panneaux solaires appuyé par la Banque mondiale. Nous avons également défini d’autres objectifs ambitieux tels que l’appui aux systèmes d’alerte précoce contre les catastrophes naturelles pour 100 millions de personnes à travers le monde et l’élaboration de plans d’investissement pour financer des projets d’agriculture intelligente face au climat (climate smart agriculture) dans au moins 40 pays d’ici 2020. Au Maroc, nous sommes déjà engagés dans un dialogue étroit avec la contrepartie pour définir les modalités d’appui à la mise en œuvre des engagements internationaux pris par le Maroc et nous saisirons l’occasion de la COP 22 pour renforcer cet appui au gouvernement marocain et définir les secteurs prioritaires pour lesquels le gouvernement souhaiterait mobiliser l’expertise de la Banque mondiale.
Le changement climatique et le développement sont inextricablement liés. À ce titre, comment peut-on intégrer le changement climatique à l’ensemble des secteurs ?
La réalité dans laquelle nous vivons aujourd’hui suppose que tout développement ne peut être conçu sans la prise en considération des contraintes climatiques. Ainsi, tandis que nous œuvrons pour aider les pays à traduire leurs engagements en stratégies climatiques et en plans d’investissements, nous les encourageons également à intégrer ces considérations climatiques dans leurs politiques et budgets que ce soit au niveau national ou local. En effet, lutter contre les effets du changement climatique appelle à un changement radical dans les paradigmes de développement. On ne peut donc plus agir comme si la planète disposait de ressources inépuisables. Cela doit se traduire par des transformations économiques profondes qui ne pourront se faire sans une réglementation, des investissements et un contexte adaptés. Nous sommes déjà en train d’aider les pays sur ce front et le programme de la Banque mondiale pour l’appui aux politiques de croissance verte au Maroc en est une parfaite illustration.
Le Groupe de la Banque mondiale est en train d’accroître son action pour aider les pays à faire face à leurs difficultés immédiates et à respecter les engagements pris dans le cadre de leurs contributions. Quelles sont les priorités ?
Nos priorités sont dictées par celles des pays avec lesquels nous travaillons. Comme indiqué, l’énergie est un domaine prioritaire pour beaucoup de nos pays clients; les secteurs de l’agriculture, la sylviculture, l’aménagement du territoire, la gestion de l’eau et les transports figurent également parmi les thématiques les plus récurrentes dans les plans d’action nationaux. Voilà pourquoi nous concentrons notre soutien dans des domaines prioritaires comme les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, la mise en place de transports respectueux de l’environnement, l’aménagement territorial, l’eau ou encore la sécurité alimentaire. Mobiliser le secteur privé dans l’effort d’investissement est également un axe prioritaire. Favoriser l’émergence d’une industrie verte sera non seulement un vecteur de croissance vertueuse mais aussi de création d’emplois. Bien entendu, ceci dans le but de préserver les moyens de subsistance des personnes les plus vulnérables et qui sont les plus sévèrement affectées par les effets du changement climatique.
En octobre 2015, la Banque mondiale a annoncé que la part des financements climatiques dans le portefeuille du Groupe pourrait croître de 21 à 28% d’ici 2020, pour faire face à la demande de ses clients. Comment expliquez-vous cette orientation ?
Le changement climatique frappe déjà de plein fouet les populations et les pays. Nos recherches le démontrent: si rien n’est fait pour contrer le changement climatique, 100 millions de personnes seraient susceptibles de basculer dans la pauvreté d’ici 2030. Il est clair que plus d’actions pour lutter contre les effets du changement climatique suppose plus de financement. Il est estimé que les coûts de mise en œuvre des engagements pris par les pays les plus pauvres varieront entre 800 à 900 milliards $ d’ici 2030, soit environ 60 milliards $ par an. Voilà pourquoi nous avons augmenté d’un tiers le financement climatique pour mobiliser une enveloppe potentielle de 29 milliards $ à l’horizon 2020, un engagement réaffirmé dans notre Plan d’action sur le changement climatique. Les pays estiment leurs besoins liés aux investissements climat à des centaines de milliards de dollars et nous devons répondre ambitieusement à ce défi. Le financement public et concessionnel ne sera clairement pas suffisant pour relever le défi climatique, voilà pourquoi nous poursuivrons la levée de financements privés pour les projets climatiques.
Quel rôle joue actuellement le secteur privé de par le monde en matière de financement de la transition vers une économie verte ?
Nous observons déjà une révolution dans l’attitude du secteur privé concernant le défi climatique. A la veille des négociations de Paris, des dirigeants de grandes entreprises nous ont indiqué qu’ils n’étaient pas en attente d’un accord, et qu’ils avaient déjà commencé à agir, que ce soit à travers la définition d’une taxe carbone interne ou encore la prospection d’opportunités d’investissements verts pour aider les pays à mettre au point des transports plus durables ou des systèmes d’efficacité énergétique plus pointus et abordables. Nous assistons aujourd’hui par exemple à une chute des prix des énergies renouvelables, ce qui offre des opportunités et davantage d’alternatives pour les pays qui n’en avaient pas beaucoup avant. Le changement climatique est un défi si important qu’il nécessitera un effort collectif et une vision commune pour saisir les opportunités et préparer un avenir sobre en carbone.
La Banque mondiale prône un monde zéro carbone en restructurant l’économie mondiale. Cet objectif est-il réaliste ?
Le changement climatique nous affecte tous; l’année 2016 n’était encore qu’à sa moitié que la NASA annonce que c’est l’année la plus chaude que la planète n’ait jamais connu. Dans la région Moyen-Orient Afrique du Nord (MENA) et en Afrique subsaharienne, des phénomènes comme la sécheresse, la rareté de l’eau, les catastrophes naturelles peuvent être un facteur d’instabilité pouvant mener à des tragédies humaines. Il s’agit là d’exemples qui servent à illustrer l’urgence d’une action. Poursuivre un développement ne prenant pas en considération les contraintes climatiques serait irresponsable pour l’humanité, c’est pour cela que nous appelons, à travers notre Plan d’action à une transformation structurelle de la réglementation et des politiques. Nous sommes déterminés à intensifier nos efforts pour appuyer un développement sobre en carbone, et cela passe par la réforme de secteurs aussi stratégiques que l’énergie, le transport, l’agriculture, ou la gestion des ressources naturelles.
Au Maroc, quel regard portez-vous sur les mesures mises en place pour la lutte contre le changement climatique ?
Le Maroc est un des pays précurseurs qui a pris à bras le corps la question de l’adaptation aux changements climatiques, que ce soit à travers le Plan Maroc Vert, visant le développement d’un secteur agricole productif, inclusif et résilient ou à travers la mise à niveau de son cadre réglementaire de gestion des ressources naturelles ou encore dans le domaine de l’énergie. Le Maroc fera donc certainement figure de moteur sur ces questions d’adaptation lors de la prochaine COP. En effet, le Maroc souhaite faciliter les discussions autour des levées de financements pour des projets d’adaptation notamment en Afrique. Non seulement cela, mais dans le cadre de la solidarité continentale, le Maroc souhaite également partager avec les pays d’Afrique sub-saharienne ses meilleures pratiques et son expérience en matière d’adaptation et les aider à structurer des projets solides en vue d’obtenir des financements verts concessionnels. Nous notons donc avec satisfaction les efforts fournis par le Royaume pour mettre à niveau son arsenal réglementaire et renforcer sa résilience climatique; ces efforts représentent exactement le type de changements transformationnels dont nous avons besoin et que la Banque mondiale est fière de soutenir. En effet, en matière d’appui aux réformes de croissance verte, nous avons mobilisé un montant total de US$ 600 million entre 2013 et 2016 pour aider le Maroc à améliorer sa gestion du capital naturel.
Cela concernait un certain nombre de réformes transversales, y compris les nouvelles lois sur le littoral, l’eau et la protection des ressources halieutiques, la réduction des subventions aux combustibles fossiles, la mise à niveau du cadre de régulation et subventions à la dépollution industrielle et le renforcement et la diversification des revenus ruraux. En matière de gestion des risques, le Maroc est un pays précurseur dans la région MENA; le pays a en effet voulu se doter d’un système de gestion ex ante des risques de catastrophes naturelles, un programme ambitieux que la Banque mondiale appuie actuellement à travers une enveloppe de 200 millions de dollars. Enfin, avec la ratification de l’Accord de Paris, le Maroc montre son engagement résolu pour inscrire la lutte contre le changement climatique parmi les priorités de son développement et nous ne pouvons que féliciter le pays pour cette nouvelle étape cruciale. Nous sommes conscients que davantage d’efforts doivent être deployés pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais c’est tout aussi important d’aider les populations et les gouvernements à faire face aux effets du changement climatique, déjà bien manifestes. Et le Maroc a bien saisi cet enjeu.