«Nous sommes sur la bonne voie»
Dans cet entretien, Abdelâdim Lhafi revient sur le dernier déplacement du Comité de pilotage de la COP22 à New York. Le commissaire de la COP22 nous livre également l’état d’avancement des préparatifs à ce grand événement que Marrakech abritera du 7 au 18 novembre prochains ainsi que les différents enjeux de la lutte pour la préservation de l’environnement au royaume.
Les Inspirations ÉCO : Vous faisiez partie de la délégation qui s’est déplacée la semaine dernière à New York. Quel est votre ressenti par rapport aux différentes réunions auxquelles vous avez pris part ?
Abdelâdim Lhafi : Ces réunions se sont tenues en marge de l’assemblée générale des NU et tiennent compte de l’agenda international dans lequel le changement climatique occupe une place prioritaire, surtout après l’Accord de Paris, tournant historique dans la lutte globale contre les effets du changement climatique. Elles surviennent aussi à quelques semaines de la COP22, COP de la concrétisation des décisions prises à Paris, qui a suscité de grandes attentes. La semaine du climat à New York a été riche en événements divers. Tout d’abord, le Maroc a déposé les instruments de ratification de l’Accord de Paris. Comme vous le savez, pour que l’Accord de Paris puisse entrer en vigueur, il faut que les pays qui le ratifient représentent un minimum de 55% des parties à la convention représentant au minimum 55% des émissions globales de gaz à effet de serre (GES).
C’est une étape importante de tout le processus…
Effectivement. Ce cap qu’on vient de franchir est très important. Plusieurs pays, dont la Chine et les EU, les deux plus grands pollueurs de la planète, ont remis les instruments de ratification de l’Accord de Paris. Les données disponibles montrent qu’il faut être optimiste et il est attendu que plusieurs autres pays ratifieront cet accord avant la COP22. Ce sera un grand exploit que d’avoir une ratification à sa brève échéance. Il ne faut pas oublier que le protocole de Kyoto a demandé plus de sept ans avant d’être ratifié. L’événement de New York a été l’occasion d’aborder plusieurs thématiques importantes comme le financement, la clé de voûte de toutes les décisions prises dans le cadre de la lutte contre les GES. En effet, aucune action ne peut être faite sans la mobilisation des fonds, surtout qu’il est question de fonds de dimension en rapport avec les enjeux, comme le Fonds vert, doté de 100 milliards de dollars/an à partir de 2020. En plus des fonds, il faut mettre en place des procédures de «flexibilité» et définir les critères d’éligibilité pour les projets «bancables». Ceci nous renvoie à un autre aspect fondamental qui est la formation des capacités. On ne peut pas construire de projets bancables, notamment dans les pays du sud, si on ne dispose pas des capacités humaines et institutionnelles capables de construire ces projets. À ce propos, le Maroc a initié à New York une réunion sur la création d’un réseau de compétences et de capacités à l’échelle internationale, capable de mettre à profit les expertises de tous les pays. Au Maroc, le Centre de compétences changement climatique (4C) est capable de tenir ce rôle, non seulement sur une échelle nationale, mais également sur une échelle mondiale. Des réunions sur les énergies renouvelables ont été également tenues. En somme, une semaine très riche où le Maroc a joué le rôle d’animateur et de fédérateur.
Nous sommes à un mois et une semaine de la COP22. Vous ne pensez pas qu’il y a urgence compte tenu du fait que les pays ayant déposé les instruments de ratification ne représentent que 48% des émissions de GES ?
La ratification prend du temps pour certains pays. Si on prend l’UE comme exemple, plusieurs pays européens ont déjà ratifié l’Accord de Paris mais pour que la ratification devienne effective à l’échelle européenne, il faut qu’ils déposent collectivement les instruments de ratification. Je pense que le processus est sur la bonne voie. L’Inde a déclaré qu’elle déposera les instruments de ratification le 2 octobre. Ceci montre que les bonnes nouvelles se succèdent et que ce qui est accompli est un succès, qu’il faut consolider. Tout porte à croire que nous réussirons bientôt à ratifier cet accord, ce qui serait un signal politique très fort car cela montre que la communauté internationale est consciente de l’urgence et de la nécessité d’une action commune immédiate. Il ne faut pas oublier que la ratification de l’amendement du protocole de Montréal, à Kigali le 16 octobre prochain, semble être sur la bonne voie. Ce sera une grande avancée dans le processus global de lutte pour la préservation de l’environnement. De même, les négociations de l’Organisation internationale de l’aviation civile devraient aboutir à des décisions concrètes. Ce sont des signaux politiques forts qui montrent que l’accord international (Paris) est en voie de renforcement par une succession de bonnes initiatives. Pour accompagner ces signaux, il faut maintenant prendre des décisions concrètes.
Mais l’opérationnalisation des décisions de Paris devrait prendre beaucoup plus de temps et la COP22 n’est qu’un début…
Les négociations sont multilatérales et complexes et les intérêts des pays sont divergents. Une constellation de groupes de négociations, les pays producteurs de pétrole, les pays insulaires, les pays du sud et les pays africains, etc, (augmentation de la demande) sont appelés à faire converger leurs positions dans un consensus positif en partant de motivations différentes. Il faut donc trouver un consensus et arriver à des positions qui tiennent compte de tous ces paramètres. De plus, le changement climatique est très complexe et ses effets varient d’un pays à l’autre. Il s’agit d’un domaine où tout s’imbrique : l’économie, l’environnement, la pression sur les ressources naturelles, l’atténuation, l’adaptation…le tout devant être géré en cohérence et en concomitance avec le développement durable. Nous devons donc nous attaquer à la complexité de la problématique d’une façon globale. Il n’y a pas de rupture longue ou lente, il y a un temps où il faut concilier l’urgence et l’intensité de l’action.
En quoi consiste la fonction de commissaire d’un événement d’une telle ampleur comme la COP22 ?
Le comité de pilotage est présidé par le ministre des Affaires étrangères qui est aussi président de la COP22. Le commissaire général, quant à lui, a pour fonction de gérer l’organisation de ce grand événement et d’assurer la cohérence entre tous les aspects contribuant à sa réussite. C’est un évènement d’une ampleur universelle inédite au Maroc par sa dimension et les défis qu’il pose.L’appréciation et la réussite de la COP 22 se fera sur la qualité de l’organisation, sur les signaux politiques forts qu’il aura suscités et sur les résultats concrets en termes d’initiatives opérationnelles, sur le financement, le transfert de technologies par l’adaptation, la formation de capacités et la gestion des risques.
Est-ce que le Maroc réalise un bilan carbone régulièrement ?
Nous avons un taux d’émission des GES négligeable. Quand nous déclarons que nous comptons réduire nos émissions des GES, nous envoyons un signal politique très fort sachant que notre contribution dans la production des GES mondiaux est insignifiante. Par contre, notre pays subit les effets négatifs des changements climatiques et en tant que pays méditerranéen, les prévisions montrent que nous sommes dans une zone ou les effets de ces changements seront importants
Qu’en est-il des autres domaines ?
Il serait fastidieux de dresser l’inventaire sur les domaines de l’environnement où le Maroc se distingue avec le double objectif d’atteindre les objectifs du développement durable et du développement humain. Ce que fait le Maroc dans le domaine des énergies renouvelables est exemplaire. Les projets solaires et éoliens en sont la plus grande preuve. De même, le Maroc a une grande expérience dans tout ce qui a trait à la gestion de l’eau, depuis les années soixante avec la construction des barrages et la gestion des bassins hydrauliques et des bassins versants.
Pourtant, le Maroc souffre d’un taux très élevé de stress hydrique…
Le stress hydrique est le résultat de la conjonction de plusieurs causes. Cela veut dire qu’on dispose de moins de 1.000 m3 par habitant/an. Ce phénomène est dû à la croissance démographique (augmentation de la demande) et aux perturbations dans le cycle de l’eau. La seule réponse à ce problème est de gérer, entre autres, rationnellement la ressource en eau en continuant à mobiliser les eaux superficielles pour augmenter la capacité de stockage des barrages. Cela passe aussi par la gestion de la demande à travers l’utilisation rationnelle, surtout dans l’agriculture, un secteur qui consomme le plus de ressources hydriques et la mobilisation des eaux non-conventionnelles à savoir le traitement des eaux usées. L’affectation de cette ressource aux divers secteurs de développement passera nécessairement par des arbitrages intersectoriels et la mise en place de nouveaux modèles de développement adaptés aux territoires.
Que pensez-vous du dessalement, une des solutions proposées dans le Plan national de l’eau dans la cadre du recadrage de la politique des barrages qui connaissent plusieurs problèmes comme l’envasement ?
Le dessalement de l’eau de mer, peut dans certaines conditions, constituer un recours et un substitut à la pénurie d’eau, mais il n’exonère en aucune manière la nécessité de corriger les défaillances et les dysfonctionnements structurels qui appellent à suivre d’autres approches.