Pétrole : Pas de baisse des prix à la pompe !
La conférence qui s’est tenue, jeudi dernier à Casablanca, à l’initiative du CJD a permis d’actualiser le débat sur les réelles opportunités que le Maroc tire de la baisse à l’international des cours du pétrole. Pour l’heure, c’est l’État qui trinque et il ne faudrait pas s’attendre à une baisse significative des prix à la pompe. Au contraire, le retour à la normale peut s’avérer très compliqué.
Ceux qui s’attendent à une baisse significative des prix des produits pétroliers à la pompe dans le sillage de la chute à l’international des cours du baril, devraient se désillusionner. La conjoncture profite bien au Maroc, gros importateur de produits pétroliers et en dépit de la mise en œuvre progressive de la décompensation, les prix actuels s’approchent plus de la limite plancher pour les pétroliers à moins qu’ils n’érodent encore plus leur marge. Ce n’est pas encore la libéralisation des prix qui en changera la donne au vu du coût actuel des carburants au Maroc, «l’un des plus bas au niveau du pourtour méditerranéen alors que le pays n’est pas producteur», selon Adil Zaidy, président du Groupement des pétroliers du Maroc (GPM). Le débat était pourtant animé, jeudi dernier, à la Conférence de la section casablancaise du Centre des jeunes dirigeants (CJD), qui a eu le mérite de réunir des intervenants bien au parfum de la situation.
D’après les différentes explications apportées par les animateurs de la conférence en réponse aux principales interrogations de l’auditoire, il faudrait plutôt s’inquiéter des conséquences d’un retour à la réalité en cas de reprise progressive des prix comme l’espèrent certaines analyses à moyen et long termes. La justification du GPM tient au fait que quelle que soit la baisse à l’international, les sociétés de distribution ne peuvent baisser les prix au-delà de certaines marges puisque rien que les taxes dont certaines sont fixes (TVA, TIC), s’adjugent déjà presque de la moitié des prix actuellement fixés à la pompe. «Il faut savoir que les prix ne sont pas appliqués en fonction du pouvoir d’achat mais du coût d’achat», se justifie Zaidy qui avance, chiffres à l’appui, que les pétroliers ont d’ailleurs déjà beaucoup consenti en matière d’investissements pour se conformer aux nouvelles dispositions relatives au secteur et en 2015, la baisse des cours a occasionné un manque à gagner au secteur de plus d’1MMDH.
Il n’y pas donc pas d’impact également sur les marges même pour les pétroliers parce que les opérateurs sont tenus par la constitution des stocks conjuguée à une baisse des prix puisque quoiqu’on dise, les prix à la pompe ont connu quelques baisses ces derniers temps. «Le consommateur marocain n’est pas trop sensible au prix», avance le président du GPM, ce que l’assistance a bien évidemment contesté. L’un dans l’autre, Zaidy a assuré qu’il ne risque pas d’y avoir d’entente entre les opérateurs avec 15 acteurs présents dans le secteur au Maroc et que la libre concurrence jouera à plein régime.
Effets neutralisés
C’est donc l’État qui s’en sort pour le moment grand gagnant de cette tendance à la baisse des cours des matières premières. Pour ce qui est des entreprises et des consommateurs, il va falloir attendre. «L’impact reste difficile à évaluer du fait que le processus de décompensation est récent», selon les extrapolations faites par Fouzi Mourji, professeur d’économie à l’Université Hassan II de Casablanca, qui explique que les effets sur l’Indice du coût de la vie (ICV) sont neutralisés par la conjugaison de la baisse des prix et de la décompensation. Par contre, la persistance de la baisse des cours va induire des effets sur l’indice des coûts de production pour les entreprises.
L’économiste prévoit deux scénarios pour le Maroc face à cette situation qui attise beaucoup d’attentes. Le premier, c’est que cette baisse stimule la reprise de la croissance dans la zone européenne, ce qui aurait pour effet de rehausser la demande extérieure adressée au Maroc. L’autre scénario, c’est que la baisse s’accentue jusqu’à atteindre un certain «seuil», qu’il n’est pas facile de fixer actuellement en raison de nombreuses variables qui entrent en jeu, et qui n’est que le reflet de la poursuite de l’atonie en zone euro.
La demande extérieure va, dans ce cas, accuser un coup de régime alors qu’elle pâtit déjà de la crise économique. Selon les analystes, il faudrait, en attendant l’évolution de la situation, accorder une attention particulière à un retour à la normale des prix comme attendu d’ici quelques années. Toute hausse drastique des cours constituera une hypothèse à risque. «Les opérateurs auront du mal à répercuter les hausses en cas d’augmentation des cours à l’international, particulièrement si nous concédons une baisse trop importante», admet Zaidy. Les consommateurs sont donc prévenus même si selon le directeur des combustibles au ministère de l’Énergie, Mohamed Soulaimani, il n’y pas trop d’inquiétude à se faire grâce à la stratégie marocaine en matière de promotion des énergies renouvelables qui contribuerait à «atténuer toute nouvelle hausse».
L’État grand gagnant mais pas à tous les coups !
Pour l’heure donc, c’est l’État qui tire grandement profit de cette baisse des cours du baril à l’international avec l’allègement de la facture énergétique et donc de la charge de compensation, ce qui induit une amélioration significative des indicateurs macroéconomiques du pays. Selon Mourji, «l’allègement du déficit public apporte de nouvelles ressources pour les investissements publics et donc vise à contribuer à la croissance et à la création d’emplois». Toutefois, cette situation a aussi ses effets négatifs sur les caisses de l’État, qui ont été impactées par la situation des pays du Golfe (CCG). En plus de la baisse des recettes fiscales, le manque à gagner pour l’État peut provenir des contributions de ces pays, gros producteurs de pétrole, de leurs investissements ou dons en faveur du Maroc. L’autre risque, c’est aussi que la persistance de la baisse impacte les investissements dans la recherche pétrolière ou en matière de transition énergétique avec des reports de projets comme déjà constatés dans d’autres pays. Fort heureusement, ce n’est pas encore le cas au Maroc selon le directeur des combustibles au ministère de l’Énergie.