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Accord agricole : Que valent les armes diplomatiques du Maroc ?

David contre Goliath, c’est ainsi que l’on peut qualifier, de prime abord, le rapport de force entre le Maroc et l’UE. Le royaume ne semble pas hésiter pour hausser le ton afin de défendre ses intérêts. S’il ne fait pas le poids commercialement et économiquement, le Maroc a peut-être d’autres arguments à faire valoir.

Le Maroc fait-il le poids face à l’Union européenne ? C’est la question qui taraude l’opinion publique depuis l’annonce de la suspension par Rabat de tout contact avec Bruxelles à l’issue de la décision du tribunal de l’Union européenne révoquant l’accord agricole. Le chef de gouvernement a clairement indiqué qu’il s’agissait d’une question géostratégique qui ne pouvait être traitée à la légère dans la mesure où elle affectait la souveraineté du royaume. Le Maroc est donc décidé à porter la question sur le terrain diplomatique, au-delà d’une affaire purement judiciaire. Et pour cause, le royaume est conscient de l’importance des rouages politiques et des forces de pression et de lobbying au sein des institutions de l’Union européenne. Un black-out total aurait entouré la question de la demande de pourvoi en appel de la décision annulant l’accord agricole. Le Conseil de l’UE a attendu le 21 février pour déposer officiellement sa demande, soit un jour ouvrable avant le délai légal de cette procédure. Pendant ce temps, le Maroc aurait été complètement écarté de la procédure, considérant que la partie en cause était le Conseil de l’UE et non le Maroc.

Black-out
Les réactions de compréhension et de soutien de la part de certains ministres et eurodéputés viennent conforter la position du Maroc. C’est ainsi que le ministre fédéral de la Coopération économique et du développement de la République d’Allemagne, Gerd Muller, a affirmé que son pays «comprend la position du Maroc» au sujet de l’arrêt du tribunal de l’Union Européenne, relatif à l’accord agricole. Celui-ci a même affirmé que «nous voulons tout faire pour que le Maroc soit impliqué dans ce processus sur un pied d’égalité». Les Eurodéputés, Gilles Pargneaux, également président du groupe d’amitié Maroc-UE au Parlement européen et Rachida Dati, ont également exprimé leur soutien à l’égard de la position du royaume.

Pour sa part, la Haute représentante de l’Union européenne pour la politique extérieure et la sécurité commune, Frederica Mogherini, a précisé que l’UE restera en relation avec les autorités marocaines dans les prochains jours. «Nous sommes prêts à fournir les clarifications et assurances complémentaires pour répondre aux préoccupations du Maroc, afin que les contacts et la coopération puissent être pleinement rétablis dès que possible». Pour la diplomatie marocaine, cette situation remet en cause tout l’édifice contractuel que le Maroc a bâti avec l’UE, depuis plus de 40 ans. Une rupture du partenariat est-elle aujourd’hui envisageable ? Rien n’est moins sûr. «Je ne pense pas que ça ira plus loin.

Il existe une véritable volonté d’en finir avec cette histoire, preuve en est que tous les Européens ont validé le pourvoi en appel. Il faut dire qu’une rupture des relations serait très mauvaise pour les deux parties», souligne Hassan Sentissi, président de l’Association marocaine des exportateurs (ASMEX).

En brandissant la menace d’une fragilisation du partenariat, le Maroc compte également faire réagir certains groupes de pression qui pourraient voir leurs intérêts affectés par une remise en question du partenariat entre les deux parties. Plus de 30.000 lobbyistes représentants principalement des entreprises européennes seraient aujourd’hui à l’œuvre à Bruxelles. Parmi eux, le lobby agricole, hostile à l’accord agricole marocain, mais aussi d’autres groupes de pression qui pourraient voir leurs intérêts affectés par une remise en question de l’accord de pêche ou même de l’accord d’association.

Affûter ses armes
Bien que l’écart de développement entre un pays comme le Maroc et l’Union européenne soit astronomique, les intérêts convergents des deux parties peuvent dépasser le seul domaine économique. Il est à préciser qu’une confirmation de la révocation de l’accord agricole peut aboutir à une refonte du partenariat, voire même à une fin au traité. En effet, le royaume dispose de la possibilité de dénoncer l’ensemble de ses accords, selon la Convention de Vienne sur le droit des traités. Même les dispositions de l’accord d’association prévoient que chaque partie dispose de la possibilité de mettre fin unilatéralement à l’accord.

L’article 93 de l’ALE Maroc-UE dispose que, «chacune des parties peut dénoncer le présent accord en notifiant son intention à l’autre partie. Le présent accord cesse d’être applicable six mois après cette notification». Il faut toutefois préciser que ce dernier scénario n’est pas en faveur du Maroc. Renoncer à un marché de 800 millions de consommateurs, représentant 25% du PIB mondial, n’est pas forcément un choix judicieux. Surtout que le Maroc a développé une grande dépendance vis-à-vis du marché européen.

S’il a beaucoup à perdre sur le plan commercial, le Maroc dispose toutefois d’autres arguments à faire valoir. «Il ne faut pas voir combien de kilos de tomate nous exportons, mais plutôt ce que vaut notre poids sur le plan sécuritaire, celui de l’immigration et de la lutte antiterroriste. Nous devons parler en langage d’intérêt», souligne Mohamed Chiguer, économiste. De l’avis des institutions de l’UE, le royaume est un allié de taille sur les questions sécuritaires et de lutte contre le terrorisme. Il est aussi un soutien dans le cadre de la lutte contre l’immigration clandestine. Bien plus, le royaume est le seul pays à avoir réussi son intégration régionale, vis-à-vis de l’UE, dans le cadre de la Politique de voisinage et le processus du Statut avancé. Une remise en question de son partenariat avec l’Europe constituerait un grand échec pour l’UE dans le cadre de son grand projet de voisinage méditerranéen, lancé au début des années 90.

Mohamed Chiguer
économiste.

Il faut faire une distinction entre l’Union européenne et les pays européens. Ce sont les intérêts des pays de l’Union européenne qui sont en jeu. Certaines Nations seront sous pression parce qu’elles n’ont pas intérêt à rompre leur relation avec le royaume. Le Maroc d’aujourd’hui n’est plus celui d’il y a 10 ou 15 ans. Nous avons d’autres cartes à jouer et nous n’avons pas grand-chose à perdre. Durant les prochaines années, nous irons vers un partenariat plus avancé et il faudra que ces pays comprennent que le Maroc n’est pas à leur disposition.

Hassan Sentissi
président de l’ASMEX

Les Européens ont beaucoup d’intérêt avec nous. Si nous exportons des marchandises vers l’Europe, c’est parce qu’ils ont en besoin. Nous sommes incontournables pour les pays de l’Union, et ce n’est pas pour nos beaux yeux qu’ils importent nos marchandises. L’accord de pêche est d’une grande importance pour l’Union européenne, même si le Maroc a réduit au fil des années les quotas de pêche autorisés. L’industrie marocaine est aujourd’hui capable d’exploiter elle-même ses propres richesses halieutiques.



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