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«Le dépistage du VIH, défi majeur pour le Maroc»

Pr. Françoise Barré-Sinoussi : Chercheuse française en virologie

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’ONUSIDA au Maroc ont invité le 14 janvier à Rabat, l’éminente Pr. Françoise Barré-Sinoussi, Prix Nobel de médecine en 2008 et codécouvreuse du VIH pour débattre de «la fin de l’épidémie du Sida en 2030 ? – Perspectives pour le monde et le Maroc». Interview.

Les ÉCO : Mettre fin à l’épidémie du Sida en 2030 est-il un objectif possible dans le cas du Maroc ?  
Pr. Françoise Barré-Sinoussi :  En théorie, c’est faisable et c’est possible au Maroc comme dans le reste du monde. Si les patients sont sous traitement et ne transmettent pas aux autres personnes, cet objectif deviendra possible. Mais à condition d’atteindre toutes les personnes porteuses du virus. Et c’est toute la complexité de cette tâche.

La lutte contre le sida est-elle une question de moyens ?
Ce n’est pas qu’une question de moyens. Bien évidemment, les moyens sont à prendre en compte. Le traitement est lourd et cher et donc nécessite un système de santé performant et adapté à recevoir ces personnes. La lutte contre le Sida, c’est aussi la lutte contre les discriminations. Dans beaucoup de pays, les porteurs de virus sont victimes de stigmatisation et de discrimination. La peur du regard des autres ne facilite pas le dépistage. Le dépistage communautaire facilite cette tâche. La tolérance vis-à-vis des personnes touchées par cette infection est primordiale.

Le problème de coût de ces traitements subsiste, spécialement dans les pays du Sud…
Effectivement, le coût de ces médicaments reste élevé, mais de gros efforts ont été réalisés au niveau mondial, notamment avec l’ONUSIDA. Le Fonds des Nations Unis a permis de faciliter l’accès aux traitements pour 15 millions de personnes dans le monde, nous avons ainsi atteint l’objectif fixé par le Fonds mondial et l’OMS. Il faut maintenant poursuivre ce travail, car il y a encore sur la planète trop de personnes qui n’ont pas accès à ces traitements.

Où on est la recherche scientifique pour trouver un remède à cette épidémie ?
La combinaison thérapeutique, utilisée aujourd’hui, a montré ses preuves dès 1996. Il y a eu, bien sûr, des évolutions au niveau de la formulation et des doses de ce traitement. Les médicaments étaient toxiques et compliqués. Depuis, de grands progrès ont été réalisés. Avant, la personne sous traitement devait prendre des médicaments plusieurs fois dans la journée et à des heures précises, actuellement, le patient prend un cachet par jour pour le restant de sa vie.

Quel est le défi pour les années à venir dans la lutte contre le Sida ?
Le défi majeur est le dépistage. Sans cette étape, les personnes atteintes connaîtront leur statut épidémiologique et de facto, elles ne pourront pas avoir accès à ce traitement. D’ailleurs, au Maroc, c’est un problème et défi majeur. L’accès aux traitements est gratuit, mais les personnes atteintes du Sida ignorent leur statut de séropositif. Il y a plusieurs moyens pour y arriver, comme les autotests, que j’espère pourront être disponibles bientôt au Maroc. Le dépistage communautaire est un grand pas dans ce sens. Un autre défi, c’est l’amélioration des systèmes de soins dans les pays.

Est-ce que vous êtes inquiète que le Sida passe en second plan dans les politiques publiques de santé, face à la visibilité d’autres maladies chroniques, comme le cancer ou le diabète ?
Pour les décideurs politiques, le Sida est classé comme une maladie chronique comme le cancer ou les troubles du métabolisme comme le diabète, d’abord, il faut faire attention à cette classification. Ensuite, l’infection, dans certaines régions du monde, continue à progresser. À la fin de ma carrière et de ma vie, je ne supporterai pas d’assister à une ré-émergence du VIH, j’ai peur de ça. Aujourd’hui, malheureusement, les populations, comme les médias, ne s’intéressent pas au VIH, et par conséquent les politiques s’intéressent moins à cette maladie. Il ne faudrait pas répéter les mêmes erreurs qu’on a faites avec d’autres pathologies, comme la tuberculose par exemple. On assiste actuellement à des tuberculoses ré-émergentes avec de multiples résistances. Nous risquons de mettre en péril un investissement de plusieurs années. Si les politiques lèvent le pied, l’argent, mis pour combattre cette maladie, n’aurait servi à rien. Personne n’a le droit d’arrêter les efforts de la lutte contre le Sida à cette étape, car il est question de sauver des vies.



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