Importations de services : entre dépendance et résilience

En 2024, les importations de services ont augmenté de 9,9%, creusant le déficit commercial, malgré la croissance de secteurs comme les services informatiques. Le transport maritime reste le premier poste de dépense avec 40,5 MMDH, suivi des voyages personnels (28,1 milliards) et des services aux entreprises (18 milliards).
Saviez-vous qu’en 2024, l’écrasante majorité des importations marchandes du Maroc ont transité par des armateurs étrangers, générant un déficit chronique de 20,3 MMDH pour le seul secteur du transport maritime ? Au terme de 2024, le Top 10 des importations de services du Royaume dessine une économie marocaine en transition, tiraillée entre dépendances héritées (transport, conseil) et résiliences émergentes (IT, tourisme).
Pour l’UE et l’Afrique, le Maroc reste un pont stratégique, mais sa marge de manœuvre dépendra de sa capacité à transformer ses fragilités en atouts. La bataille se gagnera par les services, et non par les matières premières. C’est dans ce contexte que les chiffres remontés par le rapport 2024 de l’Office des changes sur la Balance des paiements et la position extérieure globale du Maroc sonnent comme un avertissement : sans investissement massif dans le capital humain et numérique, la facture des importations de services continuera de grever la balance des paiements.
Ainsi, les données de l’Office des changes offrent un éclairage crucial sur les mutations structurelles de l’économie marocaine à travers le prisme des importations de services. Le «Top 10» révèle des dépendances stratégiques, mais aussi des signaux de transformation. Voici ce qu’il faut en retenir.
Transport maritime: la vulnérabilité logistique persistante
Le transport maritime de fret, avec 40,5 milliards de dirhams (MMDH) dépensés en 2024, confirme sa place de premier poste d’importation de services du Maroc. Une dépendance qui reflète l’intégration profonde du Royaume aux chaînes d’approvisionnement mondiales, où il sert de plaque tournante stratégique entre l’Europe et l’Afrique.
Toutefois, cette position géographique avantageuse masque une fragilité structurelle : 70% à 75% des importations marchandes transitent par des armateurs étrangers, générant un déficit chronique du secteur. En 2024, ce déficit s’est creusé à -20,3 milliards, sous l’effet d’une hausse de 7,6% des dépenses dépassant la croissance des recettes.
«Le transport maritime reste le talon d’Achille de notre compétitivité logistique», comme le souligne un analyste.
En 2024, les tensions géopolitiques – guerre en Ukraine et blocages en mer Rouge – ont exacerbé les coûts et les risques, pénalisant directement les exportateurs marocains et révélant l’urgence de développer des capacités logistiques nationales résilientes pour sécuriser les flux commerciaux.
Les voyages personnels
Les voyages à titre personnel, représentant 28,077 MMDH d’importations en 2024, illustrent une dynamique contrastée de la mobilité internationale post-crise. D’un côté, le Maroc capitalise sur la reprise vigoureuse du tourisme entrant, avec des recettes record de 112,5 milliards (+4,6%) en 2024, portées par ses marchés historiques : la France (36,3 MMDH, +5,1%) et l’Espagne (17,1 MMDH, +4%).
De l’autre, cette performance est partiellement contrebalancée par l’explosion des dépenses des Marocains résidant à l’étranger (+9,6%, soit +2,5 MMDH), atteignant 29,4 milliards. Un double mouvement qui dessine une reprise asymétrique.
Si le Maroc attire davantage de visiteurs, sa population consomme aussi plus de services étrangers. Bien que le solde global reste excédentaire (+83,1 milliards), cet écart croissant entre recettes et dépenses voyages signale une pression sur la balance des paiements et interroge sur la capacité du pays à transformer son attractivité touristique en gains nets durables face à la libéralisation des flux sortants.
Les services aux entreprises
Les importations de services techniques – liés au commerce et autres services aux entreprises (14,606 milliards) ainsi que des services spécialisés et de conseil en gestion (3,394 MMDH) – révèlent une dépendance structurelle aux savoir-faire étrangers, symptôme d’une intégration asymétrique à l’économie mondiale. Une dynamique qui s’explique par l’externalisation stratégique de compétences clés – ingénierie, assistance technique et gestion logistique – souvent dominées par des multinationales, tandis que la progression annuelle de +12% (2023-2024) traduit les besoins pressants de modernisation industrielle du Maroc.
Paradoxalement, cette dépendance souligne les lacunes persistantes en expertise locale et en R&D, freinant l’autonomie stratégique du pays. Bien que ces services soient vitaux pour la compétitivité des entreprises du pays, leur coût croissant grève la balance des paiements et révèle l’urgence d’un transfert de compétences pour transformer ce poste de dépense en levier de souveraineté économique.
Transition numérique en demi-teinte
Le secteur numérique incarne les contradictions de la transformation marocaine : les importations de services informatiques (6,32 MMDH) et de télécommunication (2,223 MMDH) persistent malgré une croissance vigoureuse des recettes IT (+12,3% à 13,3 MMDH). Une dépendance technologique qui reflète un déficit en innovation locale et en R&D, obligeant le Maroc à importer des solutions logicielles et des équipements critiques.
Toutefois, l’excédent global des services «télécoms/informatique» (+1,1 milliard de DH) atteste d’une résilience émergente, portée par l’exportation de niches comme les centres d’appel, l’infogérance ou le développement logiciel. Un dualisme qui illustre une transition inachevée. Si le Royaume capitalise sur des segments à forte intensité de main-d’œuvre qualifiée, il peine encore à maîtriser les chaînes de valeur numériques stratégiques (cloud, cybersécurité, IA), laissant sa souveraineté technologique partiellement tributaire des fournisseurs étrangers.
Découplage passagers-fret dans le transport aérien
Le transport aérien marocain vit une divergence frappante : le transport de passagers génère un excédent record de +10,3 milliards en 2024, tandis que le fret aérien (3,373 milliards d’importations) reste déficitaire. Ce découplage s’explique par le succès touristique – boosté par la connectivité de Royal Air Maroc –
qui contraste avec les limites logistiques structurelles.
Le fret aérien pâtit de capacités d’opération insuffisantes (flotte cargo limitée, plateformes multimodales sous-dimensionnées) et de coûts élevés, compromettant le potentiel du Maroc comme hub régional pour les flux de marchandises à haute valeur ajoutée (électronique, produits pharmaceutiques). Une asymétrie qui révèle un déséquilibre stratégique. Si le modèle voyageurs est un atout économique immédiat, le retard dans la logistique aérienne freine l’intégration du Royaume aux chaînes d’approvisionnement globales les plus dynamiques.
Qui gagne ? qui perd ?
Le paysage géoéconomique révélé par les importations de services dessine clairement des gagnants et perdants. Pour l’Union européenne, la domination reste tangible : la France et l’Espagne captent 47% des recettes voyages (53,4 milliards sur 112,5), consolidant leur statut de marchés pivots. L’UE renforce son rôle de fournisseur de services premium – conseil, logistique, ingénierie – mais observe avec vigilance la montée du Maroc dans la chaîne de valeur numérique.
Pour les pays émergents comme la Chine et l’Inde, l’avantage est indirect. Ils profitent des importations marocaines de composants électroniques (intégrées aux 6,32 MMDH de services IT), mais voient émerger des concurrents locaux via les technopoles et la fintech marocaine.
Enfin, pour le Maroc, le bilan est contrasté : la hausse de 9,9% des importations de services en 2024 creuse le déficit commercial (-304,9 milliards), mais des niches s’affirment, notamment dans les services informatiques et le travail à façon (22 milliards de recettes). Une dynamique qui place le Royaume à un carrefour : dépendant des savoir-faire étrangers, mais capable d’exporter des services à valeur ajoutée croissante.
Ce qui change concrètement
Trois transformations structurelles émergent des données 2024. Premièrement, la réindustrialisation sous tension se manifeste par des importations significatives de construction locale (3,538 milliards) et de services de fabrication (travail à façon), révélant une intégration aux chaînes mondiales encore trop centrée sur la sous-traitance bas coût plutôt que sur l’innovation.
Deuxièmement, l’urgence compétitive s’impose face à la stagnation du taux de couverture des échanges (59,9%, en recul de 0,3 point). «Sans une montée en gamme radicale dans les services logistiques et IT, le Maroc restera tributaire des opérateurs étrangers pour ses flux stratégiques», souligne un analyste, soulignant le risque de pérennisation des déficits.
Troisièmement, les opportunités géoéconomiques liées au «repli amical» des chaînes d’approvisionnement se concrétisent :l’excédent des services aux entreprises atteint +37,2 MMDH, mais cette dynamique exige d’accélérer la formation des compétences techniques et l’innovation pour transformer la position géographique du pays en avantage industriel durable. Autant d’éléments qui tracent une feuille de route claire : réduire les dépendances par l’investissement dans le capital humain et la R&D, sous peine de voir les fragilités logistiques et technologiques compromettre la souveraineté économique.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO