Succursales européennes : BAM privilégie le bilatéralisme pour préserver l’activité relais

Face au durcissement prudentiel européen, Bank Al-Maghrib a choisi de répondre par la diplomatie en privilégiant une démarche concertée, avec la France dans un premier temps, avant d’élargir les discussions aux juridictions européennes accueillant les succursales bancaires marocaines. Lors de sa dernière sortie, Abdellatif Jouahri s’est voulu rassurant, estimant que les pourparlers vont bon train.
Tout est parti de la nouvelle et contraignante directive bancaire européenne, dite CRD, qui harmonise le régime des branches de pays tiers et en durcit les conditions post-Brexit. Conçu initialement pour encadrer les établissements établis en dehors du périmètre européen, ce dispositif inclut de facto les banques marocaines et complique leurs opérations sur le sol européen.
La mesure, loin d’être anodine, concerne principalement trois établissements d’importance systémique à capital privé (Attijariwafa bank Europe, Chaabi Bank et Bank of Africa).
Ce trio représente, selon le dernier rapport sur la stabilité bancaire, 60,7% de l’actif agrégé, 61,6% des crédits nets et 62,7% des dépôts collectés. Leur maillage territorial comprend 2.955 agences à l’échelle nationale tandis qu’à l’étranger, elles sont présentes à travers 51 filiales et 22 succursales.
Rentabilité comprimée
En effet, l’application de la directive CRD impose aux succursales de pays tiers des exigences accrues en matière de fonds propres, de liquidité et de gouvernance, ce qui est de nature à accroître les coûts de conformité et immobilise plus de capital, au risque de compromettre la rentabilité des activités européennes. Lors de la dernière rencontre avec la presse, à l’issue du conseil du 23 septembre, le gouverneur de Bank Al-Maghrib a assuré du bon déroulement des pourparlers avec les parties prenantes. Avec la France, un compromis aurait déjà été trouvé.
«Nous sommes parvenus à un contour d’accord qui, globalement, nous satisfait», a-t-il déclaré, rappelant que cette entente doit encore être validée par la Commission européenne et précisée avec le régulateur français afin d’éviter toute divergence d’interprétation. Pourquoi faut-il entamer les négociations avec la France? L’Hexagone concentre à lui seul l’essentiel des flux de la diaspora.
Le pays abrite les filiales pivots des trois majors du secteur, condition indispensable pour déployer ensuite des succursales en Belgique, en Espagne, en Allemagne ou en Italie. Attijariwafa bank Europe, Chaabi Bank et BOA Europe totalisent plus de quarante points de présence dans l’Union, auxquels s’ajoute BMCE Euroservices pour les transferts. Ce schéma, «capital-efficient» et taillé pour accompagner la diaspora, n’en reste pas moins exposé aux aléas politiques et réglementaires.
Task force
Abdellatif Jouahri a rappelé que la task force réunissant la Banque centrale, les ministères des Finances et des Affaires étrangères, ainsi que les établissements concernés, avait poursuivi ses travaux depuis la publication du texte européen en juin.
«Après la publication de la décision de la Commission en juin, nous nous sommes attaqués au problème. La directive laisse aux États la transposition dans leurs législations nationales. Nous avons donc commencé par la France», a expliqué Abdellatif Jouahri.
Les discussions avec le Trésor français ont permis d’aboutir à un compromis jugé satisfaisant. «Nous sommes parvenus à un contour d’accord qui, globalement, nous satisfait», a-t-il affirmé, en précisant que ce cadre ne limite pas l’activité relais des banques marocaines.
Le gouverneur de Bank Al-Maghrib a noté que deux exigences restent encore sur la table : le feu vert de la Commission européenne et la mise au point de certaines formulations avec l’ACPR, le régulateur bancaire français. «Il ne faut surtout pas laisser une rédaction qui puisse prêter à une interprétation différenciée», a prévenu le wali.
Trait d’union
L’approche retenue par BAM semble privilégier la voie de la diplomatie en cherchant à consolider d’abord un compromis bilatéral avant de l’étendre au reste du maillage européen. L’Hexagone occupe dans ce dispositif une place singulière en tant que partenaire historique du Royaume.
Si l’accord venait à être validé, il constituerait une matrice pour les discussions à engager avec l’Espagne, l’Italie, la Belgique et les Pays-Bas, et tracerait la voie d’une reconnaissance plus large. L’incertitude n’en demeure pas moins palpable.
La Banque centrale intègre déjà dans ses projections un léger repli des transferts des MRE en 2025, avant un possible redressement en 2026 si le dispositif est entériné. La pérennité de l’activité relais, ce trait d’union essentiel entre la diaspora et l’économie nationale, repose désormais sur la capacité à transformer cet essai bilatéral en cadre européen pérenne.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO