Syndics judiciaires : les règles du jeu enfin fixées

Longtemps critiquée pour son opacité et ses zones grises, la fonction de syndic judiciaire au Maroc est désormais encadrée par un cadre réglementaire précis. Le décret n°2.23.716 fixe pour la première fois les conditions d’accès à cette mission sensible et les modalités de calcul des honoraires. Une réforme qui s’inscrit dans la modernisation du droit des affaires et des procédures collectives, à un moment où de nombreuses entreprises traversent des difficultés structurelles.
C’est une réforme attendue depuis longtemps, qui vient d’être officialisée par la publication au Bulletin officiel n°7441. Le décret n°2.23.716 bouleverse le statut et les conditions d’exercice des syndics judiciaires. Ces professionnels, chevilles ouvrières des procédures collectives, voient désormais leur rôle, leurs responsabilités et surtout leurs honoraires définis par un texte précis. Pour le Maroc, il s’agit de tourner une page d’incertitudes et d’entrer dans une nouvelle ère de transparence et de professionnalisation du droit des affaires.
N’est pas syndic judiciaire qui veut !
Au cœur des tribunaux de commerce, le syndic judiciaire est une figure clé. Lorsqu’une entreprise est en cessation de paiement, qu’elle cherche à se sauver ou qu’elle se retrouve en liquidation, c’est lui qui, sous l’œil du juge, vérifie les créances, coordonne les discussions avec les créanciers, surveille l’exécution des plans de redressement ou procède à la vente des actifs.
En d’autres termes, il détient une part déterminante du destin de l’entreprise en difficulté, mais aussi des droits de ses salariés, fournisseurs et partenaires. Or, jusqu’ici, son rôle souffrait d’un double déficit. D’une part, une absence de critères clairs pour y accéder, et, d’autre part, un flou persistant autour de sa rémunération. Le nouveau décret vient donc combler ce vide en resserrant d’abord les conditions d’accès à cette fonction sensible.
Désormais, seuls les experts judiciaires inscrits aux tableaux officiels, dans les spécialités de comptabilité et d’expertise financière, pourront exercer la mission de syndic. Le texte ouvre néanmoins la porte aux fonctionnaires de justice. Certains greffiers de deuxième grade ou plus, justifiant de cinq années de service effectif, pourront également être désignés. Derrière cette sélection, la volonté de réserver cette fonction à des profils aguerris, dotés de compétences techniques solides et capables de naviguer dans la complexité des bilans financiers et des plans de restructuration.
Rémunération, remplacement et révocation
Mais c’est sur la question des honoraires que la réforme était la plus attendue. Longtemps, les praticiens du droit ont dénoncé l’opacité des rémunérations, parfois perçues comme arbitraires, souvent sources de litiges entre créanciers et syndics. Le décret tranche désormais. Ainsi, dans les procédures de sauvegarde ou de redressement, le syndic percevra 2% du montant total des créances vérifiées, avec un plancher de 500 dirhams par créance et un plafond de 5.000 dirhams.
Toutefois, le montant total ne pourra être inférieur à 6.000 dirhams ni dépasser 60.000 dirhams. Pour la surveillance d’un plan, la rémunération est proportionnelle aux sommes distribuées, assortie d’un forfait de 4.000 dirhams par rapport, dans la limite de quatre rapports par an. Enfin, en cas de liquidation judiciaire, ses émoluments seront fixés à 0,5% du produit net de la cession des actifs, avec un minimum de 6.000 dirhams.
À ces règles s’ajoutent des garde-fous : le texte prévoit des planchers et plafonds mensuels, oscillant entre 5.000 et 100.000 dirhams, afin de valoriser les missions tout en évitant les excès. Cette grille tarifaire, inédite dans sa précision, est assortie d’un contrôle judiciaire. Les honoraires du syndic doivent être validés par le juge commissaire ou par le juge délégué. Le magistrat conserve donc un pouvoir d’ajustement, pour moduler la rémunération selon la difficulté réelle du dossier, l’ampleur des diligences accomplies ou la qualité des rapports remis. Le syndic pourra, à titre exceptionnel, demander des avances sur honoraires, mais uniquement sur justification, et toujours sous l’œil du juge.
Le texte précise aussi que ses frais – déplacements, expertises complémentaires, publications légales – peuvent être remboursés, mais à condition d’être documentés et considérés comme indispensables à la mission. Autre point souvent conflictuel désormais clarifié : le remplacement ou la révocation du syndic. Lorsque celui-ci est déchargé de sa mission avant son terme, ses honoraires sont calculés au prorata du travail accompli, et ses frais dûment engagés lui sont remboursés.
Cette disposition, qui semble technique, est en réalité cruciale pour éviter les blocages de procédure. Elle assure la continuité des dossiers tout en protégeant les droits du syndic sortant. Pour les avocats d’affaires, cette réforme constitue un gage de sécurité pour les créanciers, qui disposent enfin d’un cadre clair et prévisible. S’agissant des experts-comptables, il s’agirait d’une reconnaissance du rôle technique des professionnels financiers dans la gestion des faillites.
Cependant, certains praticiens pourraient émettre des réserves sur quelques points. Les plafonds d’honoraires pourraient être jugés trop bas pour convaincre des syndics expérimentés de prendre en charge des dossiers lourds et chronophages. Le resserrement des conditions d’accès, quant à lui, risquerait de réduire le vivier de candidats disponibles, alors même que les tribunaux de commerce manquent souvent de ressources humaines qualifiées pour traiter la masse croissante des entreprises en difficulté. Mais, de manière générale, pour replacer cette réforme dans une perspective plus large, il faut rappeler qu’elle s’inscrit dans un chantier de modernisation du droit des affaires au Maroc.
Après la révision du livre V du Code de commerce, qui avait déjà introduit des instruments nouveaux pour traiter les difficultés des entreprises, ce décret parachève la volonté du législateur de créer un environnement plus sécurisé et plus attractif pour les investisseurs. En définissant clairement qui peut être syndic, comment il doit être rémunéré et sous quel contrôle il exerce, le Maroc rapproche sa pratique des standards européens et renforce l’attractivité de sa justice commerciale.
France, Espagne, Tunisie, comment se situe le Maroc ?
La comparaison internationale éclaire la portée de ce texte. En France, les fonctions de syndic judiciaire sont assurées par les administrateurs et mandataires judiciaires, professions très réglementées, accessibles par concours et stages longs, avec un tarif fixé par décret et validé par le tribunal.
En Espagne, l’«administrador concursal» a vu ses règles profondément revues par la Ley Concursal refondue en 2020 et par un décret royal de 2023 qui fixe un nouvel arancel. Là encore, les honoraires sont proportionnels aux créances ou aux actifs, et soumis à validation judiciaire. Autre exemple : en Tunisie, le «syndic de faillite», prévu par le Code de commerce, exerce ses fonctions sous le contrôle du juge commissaire, mais sans barème aussi détaillé : les émoluments sont fixés au cas par cas, ce qui laisse plus de latitude au juge mais moins de prévisibilité pour les acteurs.
À la lumière de ces comparaisons, le Maroc se rapproche clairement du modèle européen. Le décret n°2.23.716 met en place un triptyque fondamental : des qualifications exigeantes, un barème précis et un contrôle judiciaire systématique. Une combinaison qui permet de professionnaliser la fonction, de sécuriser les procédures et de redonner confiance à toutes les parties prenantes dans un domaine où la transparence est désormais un impératif.
H.K. / Les Inspirations ÉCO