Balance commerciale : l’impossible équation

Les échanges avec le reste du monde sont déficitaires, sans discontinuer depuis au moins quatre décennies, avec un record de 308,8 milliards de dirhams en 2022. Si les importations de produits énergétiques continuent de peser lourdement sur la balance commerciale, la boulimie des biens de consommation courante par les classes moyennes, les achats des biens d’équipement et les importations massives des céréales entretiennent ce déséquilibre. Pour l’instant, les transferts des MRE et les recettes du tourisme financent ce déficit.
Le déficit commercial chronique est une ombre au tableau sur le «carré magique» de l’économie marocaine. De quatre objectifs assignés à la politique économique par l’économiste britannique Nicolas Kaldor (plein emploi, croissance, équilibre des échanges extérieurs et stabilité des prix), le compte n’y est pas sur les échanges commerciaux avec le reste du monde.
La balance commerciale affiche en effet un déficit depuis au moins quarante ans, malgré la recomposition du PIB et l’émergence de nouveaux secteurs très dynamiques à l’export (l’automobile, redevenu le premier secteur sur les marchés extérieurs depuis deux ans, et l’aéronautique), outre la montée de l’industrie des phosphates et dérivés sur la chaîne de valeur.
L’année 2022 a marqué un tournant. Pour la première fois, le déficit de la balance commerciale culminait à 308,8 milliards de dirhams (MMDH), un record historique. L’année dernière était sur le même tempo avec un trou de 305 MMDH, en hausse de près de 20 MMDH par rapport à 2023.
Ce déficit «éternel», qui avait atteint 19,9% du PIB l’an dernier, est financé par les transferts de la diaspora marocaine qui devraient atteindre 125,5 MMDH en 2026, tandis que les recettes du tourisme s’établiraient à 131,2 MMDH, selon les projections de la Banque centrale. Mais ces deux amortisseurs pourraient ne plus tenir à terme, même si, pour l’instant, il n’y a pas d’inquiétude sur le risque d’une crise de paiements extérieurs. Les réserves de change (réserves en or et quote-part au FMI compris) ont doublé en une décennie (418 MMDH prévus en 2025). A leur niveau actuel, elles couvrent 5 mois et 13 jours d’importations, et presque autant l’année prochaine.
Le déficit commercial chronique a doublé en dix ans, et pour la deuxième fois en trois ans, il dépasse le seuil symbolique de 300 milliards : 305 MMDH en 2024 et 308,8 MMDH en 2022, l’année où la facture énergétique à l’import avait été entraînée par la forte hausse des prix pétroliers et des céréales, consécutive à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Si 2022 aura marqué une rupture, l’autre rupture est intervenue quinze ans plus tôt, en 2007, lorsque le déficit commercial dépassa la barre symbolique de 100 MMDH pour s’établir à 135,7 MMDH. Les importations incompressibles des produits pétroliers et du charbon, et des céréales pour compenser le décrochage des récoltes due aux sécheresses récurrentes (le Maroc en est à sa septième année consécutive de sécheresse) font flamber la facture à l’import.
Selon les données de l’Office des changes, le Royaume a acheté pour 17,83 MMDH de blé sur le marché international. On comprend pourquoi le Maroc est devenu un terrain de bataille pour les grands exportateurs mondiaux de blé (Canada, France, Russie, Australie, Roumanie, Argentine, Ukraine et États-Unis). En dehors de la maîtrise de l’inflation, le Maroc ne rentrerait pas dans le clou du fameux «carré magique» de Nicholas Kaldor, malgré l’embellie du compte courant en 2024 dont le déficit est contenu à 1,2% du PIB, en partie grâce à la détente des prix pétroliers.
L’effet chinois
Dans la géographie des échanges extérieurs du Maroc, le fait le plus marquant de ces 20 dernières années aura été la montée en puissance de la Chine. Les échanges avec l’Empire du Milieu, jadis focalisés sur les importations massives du thé et l’exportation d’engrais et de phosphates par le groupe OCP, ont enregistré une mutation et un coup d’accélérateur depuis la mise en service de Tanger Med. La boulimie des biens de consommation des classes moyennes urbaines a fait le reste.
De moins en moins usine du monde, la Chine exporte vers le Maroc des smartphones, l’équipement des réseaux télécoms, des véhicules automobiles, des PC portables, etc. En effet, les importations provenant de Chine marquent une hausse de 14,2 MMDH alors que les exportations augmentent «seulement» de 448 millions. Les échanges commerciaux du Royaume avec la Chine sont déficitaires avec une aggravation relevée depuis 2011.
Le trou de la balance bilatérale se situe à 86,3 MMDH en 2024 contre 21,7 MMDH en 2011. Par pays, la balance commerciale demeure déficitaire vis-à-vis de l’Espagne, premier partenaire commercial du Maroc, à 18,2 MMDH en 2024, soit 2,9 MMDH de plus en un an. En revanche, les échanges commerciaux avec la France, deuxième pays partenaire du Royaume, enregistrent un excédent de 15,9 MMDH, le premier depuis 2017. Avec les États Unis, le déficit commercial continue de se creuser à 57 MMDH en 2024.
Abashi Shamamba / Les Inspirations ÉCO