Maroc

Zakia Driouich : “L’aquaculture est un pilier stratégique de l’économie bleue”

Zakia Driouich
Secrétaire d’État chargée de la Pêche maritime

Dans cet entretien exclusif, Zakia Driouich, secrétaire d’État chargée de la Pêche maritime, revient sur le rôle croissant de l’aquaculture dans la stratégie marocaine de développement durable. Elle détaille les avancées majeures du secteur, met en lumière l’essor prometteur de l’algoculture, et souligne l’importance de l’innovation, de l’inclusion sociale et de la coopération internationale pour faire du Maroc un acteur incontournable de l’économie bleue.

Comment définiriez-vous aujourd’hui la place de l’aquaculture dans la stratégie nationale de développement économique et durable du Maroc ?
L’aquaculture s’impose aujourd’hui comme un pilier stratégique dans la vision nationale de développement d’une économie bleue durable au Maroc. Bien au-delà d’une simple activité de production alimentaire, elle constitue un puissant levier de diversification économique, de création d’emplois qualifiés et de valorisation des territoires côtiers. Certaines filières aquacoles sont appelées à jouer un rôle central dans le renforcement de la résilience face aux défis climatiques, tout en garantissant la préservation des ressources marines.

Cette dynamique s’inscrit dans une approche intégrée et holistique, où l’aquaculture crée des synergies étroites avec la pêche et d’autres secteurs économiques. Ainsi, le secteur s’affirme comme un moteur de croissance durable, porteur de retombées économiques et sociales significatives, en parfaite cohérence avec les orientations de la Stratégie Halieutis et les ambitions du Royaume pour un avenir bleu, responsable et inclusif.

Comme l’a souligné Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste, dans Son discours adressé aux participants du Sommet «L’Afrique pour l’Océan», la préservation et la valorisation de nos ressources marines sont au cœur de la souveraineté alimentaire et de la prospérité partagée de notre pays. L’aquaculture illustre pleinement cette vision royale en plaçant le Maroc sur la voie d’un développement durable et tourné vers l’avenir. Les données actuelles font de ce secteur un des piliers stratégiques du secrétariat d’État chargé de la Pêche maritime, qui compte actuellement un total de 324 projets de fermes aquacoles autorisées.

Parmi ces projets, 183 sont déjà installés, tandis que 64 autres sont en cours d’installation, soit un taux de concrétisation global de 76%. Cette performance illustre une consolidation progressive de l’aquaculture nationale, marquée par une montée en puissance des installations effectives sur le terrain. La conchyliculture domine l’aquaculture avec 74% des projets autorisés (239 fermes), concentrés surtout à Souss-Massa et Dakhla-Oued Eddahab.

Cette prééminence résulte de la maturité de la filière, de la maîtrise technique et de la disponibilité de zones propices. Elle constitue ainsi le socle structurant de l’aquaculture nationale. L’algoculture arrive en deuxième position, principalement dans l’Oriental et à Dakhla, traduisant un intérêt croissant pour des modèles durables et innovants.

Enfin, la pisciculture et la crevetticulture, bien que moins développées, représentent des axes stratégiques de diversification et attirent des investissements ciblés grâce à leur orientation vers des produits à haute valeur ajoutée et leur implantation dans des zones écologiquement adaptées et bien connectées aux infrastructures logistiques.

Quels sont les principaux acquis réalisés depuis le lancement de la stratégie nationale pour le développement de l’aquaculture ?
À travers l’Agence nationale pour le développement de l’aquaculture, nous avons engagé des réformes profondes pour planifier, encadrer et accompagner l’émergence d’une filière moderne et compétitive. Cette filière s’inscrit pleinement dans les objectifs de la Stratégie Halieutis et du Nouveau modèle de développement, en contribuant à la sécurité alimentaire, à l’attractivité des investissements, ainsi qu’à la valorisation durable de nos ressources marines.

De manière concrète, cette évolution repose sur plusieurs axes fondamentaux qui ont permis de mettre en place un cadre propice à une croissance à la fois durable et innovante. Premièrement, la définition précise des zones aquacoles sur près de 70% du littoral a offert une visibilité claire sur les espaces pouvant accueillir des projets, facilitant ainsi un aménagement territorial finement ciblé et adapté aux spécificités régionales.

Cette cartographie a constitué un levier essentiel pour attirer des investisseurs avec des projets compétitifs et respectueux de l’écosystème marin. En parallèle, la modernisation du cadre légal a posé les bases d’un développement harmonieux, encadrant les pratiques nouvelles et encourageant les initiatives à haute valeur ajoutée, notamment dans le domaine des biotechnologies marines telles que la valorisation des algues. Ce renforcement juridique, en phase avec les standards internationaux et les exigences de durabilité, crée un environnement fiable et attractif.

Sur le plan économique, l’État et les différents partenaires ont institué un ensemble de dispositifs incitatifs et d’accompagnement qui mettent l’accent sur l’investissement responsable, le soutien aux porteurs de projets innovants, et l’inclusion des jeunes, des femmes et des coopératives dans la dynamique sectorielle. La reconnaissance de l’aquaculture comme secteur prioritaire dans la nouvelle charte de l’investissement illustre cette volonté forte de promouvoir des projets à forte valeur ajoutée.

Enfin, le développement des ressources humaines a été un pilier majeur, à travers la mise en œuvre de programmes de formation technique et de renforcement des capacités, garantissant ainsi une professionnalisation accrue des opérateurs et une meilleure insertion des travailleurs dans cette filière en pleine expansion.

Aujourd’hui, nous assistons à l’émergence de projets aquacoles dans diverses régions du Maroc, accompagnée d’une consolidation de la chaîne de valeur à l’échelle nationale grâce à l’installation d’unités de valorisation et d’écloseries, qui jouent un rôle essentiel dans la durabilité et la compétitivité du secteur.

À titre d’exemple, l’algoculture s’est imposée comme la deuxième filière aquacole au Maroc en nombre de projets autorisés (70 projets représentant 22% du total), contribuant à 43% de la production ciblée et à 14% des investissements aquacoles prévus. Toutes ces avancées sont un signe clair de la montée en puissance de l’aquaculture marocaine, qui s’inscrit pleinement dans une stratégie d’économie bleue durable, alliant croissance économique, innovation et préservation des richesses marines.

Vous avez présidé, le 23 septembre, le Dialogue national sur la valorisation des algues. Pourquoi l’algoculture est-elle considérée comme un pilier stratégique de l’économie bleue au Maroc ?
L’algoculture est aujourd’hui considérée comme un pilier stratégique de l’économie bleue au Maroc pour plusieurs raisons. D’abord, elle représente un secteur à fort potentiel de croissance, capable de générer de nouvelles chaînes de valeur dans des domaines variés tels que l’alimentation, la cosmétique, la pharmaceutique ou encore les biotechnologies. Ensuite, elle contribue à la création d’emplois locaux, notamment pour les jeunes et les femmes, tout en dynamisant les territoires côtiers.

L’algoculture s’inscrit aussi dans une logique de durabilité : c’est une activité à faible empreinte carbone, qui participe à l’atténuation des effets du changement climatique et à la préservation des ressources marines. Les 70 projets autorisés couvrent une superficie de près de 971 hectares, concentrés surtout à Dakhla-Oued Eddahab (53 projets, 42.080 tonnes de production cible) et dans l’Oriental (7 projets, 7.810 t). Ces projets devraient générer environ 853 emplois directs.

Ce Dialogue national, rassemblant des acteurs de référence et des experts de haut niveau du secteur aquacole, s’inscrit dans la dynamique de valorisation et de développement d’une filière à fort potentiel. Il illustre l’engagement du Maroc à bâtir une économie bleue innovante, inclusive et respectueuse de l’environnement, en parfaite cohérence avec les Objectifs de développement durable et les orientations du Nouveau modèle de développement.

Quelles sont les perspectives de production et de valorisation de la filière algues dans les prochaines années ?
La filière de l’algoculture au Maroc connaît aujourd’hui un essor particulièrement prometteur. Près de 70 fermes sont déjà opérationnelles, couvrant une superficie d’environ 970 hectares, avec une production annuelle cible de près de 92.000 tonnes.

Ce développement s’appuie sur un investissement privé de l’ordre de 400 millions de dirhams, témoignant de la volonté ferme de valoriser cette ressource marine stratégique. Au-delà des chiffres, cette dynamique se traduit par des retombées socio-économiques notables, notamment la création d’environ 850 emplois directs, confirmant la place grandissante de l’algoculture dans le tissu économique national. À ce jour, 34 fermes sont déjà installées, représentant 21.930 tonnes de production cible et 294 emplois.

En parallèle, 11 projets supplémentaires sont en cours d’installation, pour 10.066 tonnes additionnelles, 78 millions de dirhams d’investissement et environ 230 emplois directs à venir. La véritable force de cette filière réside également dans son potentiel de valorisation multiple et la diversité de ses applications, générant une valeur ajoutée importante à chaque maillon de la chaîne

Les usages des algues sont multiples (alimentation, pharmacie, cosmétique, agriculture, biomatériaux…). Quels segments vous paraissent les plus prometteurs pour le Maroc ?
Notre pays dispose d’un potentiel exceptionnel dans le domaine des algues. Il est donc important de ne pas limiter notre vision à un seul segment, mais de privilégier une approche intégrée où les différentes filières se renforcent mutuellement.

Le Maroc est d’ailleurs déjà présent sur l’échiquier mondial à travers la production d’agar-agar, extrait des algues rouges, utilisé dans l’agroalimentaire, la pharmacie et la biotechnologie. Notre pays figure parmi les producteurs reconnus de ce gélifiant naturel, et également parmi le Top 5 des exportateurs, avec une production annuelle qui avoisine les 1.000 tonnes, exportée principalement vers l’Europe, l’Asie et l’Amérique. Ce positionnement illustre non seulement le savoir-faire national, mais aussi la capacité du Royaume à s’insérer dans des chaînes de valeur mondiales à haute valeur ajoutée.

Par ailleurs, les projets autorisés d’algoculture représentent déjà 43% de la production aquacole ciblée au niveau national, ce qui confirme le potentiel des applications dans les domaines de l’alimentation, du cosmétique, de la pharmacie, des biomatériaux et de la bioénergie. Mais notre ambition va bien au-delà : la valorisation des algues dans les domaines du cosmétique, de la pharmacie, des biomatériaux ou encore de la bioénergie ouvre des perspectives considérables pour la diversification économique du Royaume. Ces filières émergentes représentent une forte valeur ajoutée, un vecteur d’innovation technologique et une source d’emplois qualifiés, contribuant à structurer un tissu industriel et scientifique d’excellence.

L’objectif de cette rencontre est précisément de fédérer l’ensemble des acteurs, startups, industriels, chercheurs et pouvoirs publics, pour définir une vision commune et ambitieuse. En capitalisant sur les réussites actuelles, il s’agit d’accélérer l’émergence des filières d’avenir et de positionner le Maroc comme un acteur incontournable de l’économie des algues en Méditerranée et en Afrique.

Quel rôle peuvent jouer les jeunes entrepreneurs et les startups dans l’émergence de cette filière ?
Les jeunes entrepreneurs et les startups jouent un rôle essentiel dans l’émergence et le développement de ces nouvelles filières innovantes, particulièrement dans le contexte dynamique de la bioéconomie bleue. Leur apport majeur réside dans leur aptitude à opérer une transformation efficace des résultats de la recherche scientifique vers des produits tangibles et des business models adaptés aux réalités du marché.

Par leur capacité à créer de nouvelles chaînes de valeur dans des niches à fort potentiel de croissance, ces acteurs constituent un levier essentiel pour la structuration et la croissance de ces filières émergentes. En tant que vecteurs novateurs, les jeunes entrepreneurs et les startups incarnent pleinement la dynamique d’innovation et de compétitivité que notre pays doit appuyer afin de saisir pleinement les opportunités stratégiques offertes par la bioéconomie bleue.

Il s’avère ainsi indispensable d’instaurer un écosystème favorable qui permette de soutenir et d’accélérer leur développement, à travers notamment l’accès aux financements, aux infrastructures adaptées, aux réseaux de compétences, ainsi qu’aux dispositifs de formation et d’accompagnement. Ce cadre propice est déterminant pour la maturation et l’essor de ces porteurs de projets, afin qu’ils puissent devenir les futurs leaders de filières à forte valeur ajoutée et contribuer de manière significative au rayonnement économique et technologique national.

L’expérience actuelle montre que de nombreuses coopératives locales et de jeunes porteurs de projets ont déjà investi le domaine, attirés par la simplicité d’installation des fermes, les faibles besoins initiaux en capitaux et le potentiel inclusif en faveur des populations locales.

Quel rôle joue la coopération internationale – notamment avec la Banque mondiale, la FAO et les partenaires méditerranéens – dans l’accélération du développement de l’aquaculture et de l’algoculture ?
La coopération internationale constitue un levier essentiel pour accélérer le développement de l’aquaculture. Les partenariats établis avec des institutions telles que la Banque mondiale, la FAO et plusieurs autres acteurs régionaux offrent des plateformes privilégiées d’échange et de renforcement des compétences.

Ce cadre collaboratif favorise le transfert d’expertise et le partage des meilleures pratiques, permettant au Maroc de consolider sa position de leader régional et continental. Ces coopérations contribuent également à appuyer les projets en cours d’installation, renforçant ainsi l’intégration du Royaume dans les réseaux méditerranéens et africains de l’économie bleue.

M.A. / Les Inspirations ÉCO



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