Maroc

Anass Moutaoukil : ‘‘La digitalisation est indispensable, mais elle ne suffira pas seule’

Anass Moutaoukil
CEO de Building & Logistic Services

Entre inadéquation des compétences, gestion instable des stocks et ambition d’ériger le Maroc en hub régional, la logistique de la grande distribution se trouve à un carrefour stratégique. Dans cette interview, Anass Moutaoukil livre un regard sans complaisance sur les chantiers prioritaires qui permettront au secteur de franchir un véritable cap.

Une étude montre que la collaboration avec les fournisseurs assure près de 70% de la performance logistique, mais ce maillon reste fragile au Maroc. Pourquoi ?
La collaboration logistique reste fragile au Maroc pour une raison centrale : un taux d’externalisation extrêmement faible. Beaucoup d’entreprises fonctionnent encore dans une culture patrimoniale, où la logistique est perçue comme un actif à protéger plutôt qu’un levier à optimiser.

Cette posture, renforcée par un manque de transparence, empêche de bâtir une relation de confiance avec les prestataires. Résultat : on se retrouve avec une logistique fragmentée, souvent gérée dans une logique court-termiste, centrée sur le prix plutôt que sur la valeur ajoutée. Et c’est aussi un problème de perception : trop de dirigeants sous-estiment encore l’impact positif de l’externalisation, qui ne se limite pas à des gains financiers mais qui permet aussi de gagner en flexibilité, en innovation et en performance opérationnelle. Ce qu’il faut changer, c’est avant tout la mentalité : considérer l’externalisation non comme une perte de contrôle, mais comme un partenariat stratégique, créateur de compétitivité et de résilience.

L’inadéquation des compétences est citée comme un frein critique par neuf professionnels sur dix. Faut-il repenser la formation ou réinventer les modèles d’organisation ?
Ce n’est pas une question de choisir. C’est les deux. On ne peut pas transformer la logistique marocaine avec des profils qui ne maîtrisent pas le digital, la data ou la supply chain intégrée. Il faut repenser les cursus, renforcer la formation continue, et rapprocher le monde académique des réalités du terrain.

Mais en parallèle, il faut aussi changer l’organisation des entreprises : arrêter de traiter la logistique comme un simple service support et lui donner une vraie place stratégique dans la gouvernance. Former sans transformer l’organisation crée de la frustration ; transformer l’organisation sans investir dans le capital humain, c’est bâtir sur du sable. La solution, c’est d’avancer sur les deux fronts.

La gestion des stocks demeure instable, avec des ruptures fréquentes et une absence de standards. La digitalisation suffira-t-elle ?
La digitalisation est indispensable, mais elle ne suffira pas seule. Les outils modernes – IoT, intelligence artificielle, systèmes de traçabilité – permettent d’avoir une visibilité en temps réel et d’anticiper les ruptures. Mais si chaque entreprise avance seule, on va créer une logistique à deux vitesses : des grands groupes digitalisés et des PME qui continuent à subir. C’est là que la régulation sectorielle a un rôle à jouer : fixer des standards minimaux, imposer des indicateurs communs, encourager la mutualisation des plateformes. La technologie apporte les outils, mais les règles du jeu doivent être partagées pour que tout le secteur progresse.

La hausse des coûts de transport et la volatilité des matières premières fragilisent les marges. Comment protéger la compétitivité ?
On ne peut pas contrôler le prix du carburant, mais on peut reprendre le contrôle sur la performance opérationnelle. Cela passe d’abord par l’optimisation des opérations, grâce à la réduction des trajets à vide, la mutualisation des flux et une planification plus intelligente.

Ensuite, il s’agit de mettre en place des contrats plus intelligents, incluant des clauses d’indexation pour partager le risque. Vient également l’investissement progressif dans des solutions de transport plus sobres, qu’il s’agisse d’hybrides, d’électriques ou de biocarburants, afin de réduire à terme la dépendance au pétrole.

Enfin, l’innovation dans les modèles économiques ouvre la voie à des services à plus forte valeur ajoutée. En résumé, il faut compenser la pression sur les marges par une meilleure maîtrise des coûts et une montée en gamme de l’offre.

Le Maroc ambitionne de devenir un hub logistique régional. Qu’est-ce qui manque encore pour concrétiser cette ambition ?
Le Maroc dispose déjà d’atouts majeurs, avec une position géographique stratégique, Tanger Med en tant que hub mondial et un réseau d’accords commerciaux solide. Toutefois, il reste encore trois chantiers à mener.

Le premier concerne la connectivité digitale, qui suppose de créer une interopérabilité entre les acteurs grâce à des plateformes de traçabilité partagées.

Le second touche au capital humain, en formant des logisticiens capables de gérer des supply chains complexes et internationales. Enfin, le troisième chantier est celui de la fluidité réglementaire, à travers la simplification des démarches, l’harmonisation des normes et l’accélération des délais douaniers.

La bataille des compétences, talon d’Achille de la logistique

Derrière les chiffres, c’est une véritable alerte que lancent les professionnels interrogés. L’inadéquation des compétences est citée par 94,3% des répondants comme problème majeur. Le déficit de formation, le manque de reconnaissance et l’incapacité à retenir les talents créent un cercle vicieux où inefficacité et insatisfaction s’alimentent mutuellement.

Pourtant, les résultats montrent qu’investir dans la formation offre un retour immédiat. 96,2% des professionnels confirment que la montée en compétences améliore directement la performance logistique. La clé se situe donc dans un engagement fort des entreprises à valoriser leur capital humain.

En l’absence de cette transformation, la modernisation technologique risque de se heurter à un mur de compétences insuffisantes, freinant toute ambition de compétitivité durable.

F.R. / Les Inspirations ÉCO



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