Hotellerie : Booking.com face à une révolte tarifaire sans précédent

Plus de 10.000 hôtels européens intentent une action en justice contre Booking.com devant les tribunaux néerlandais. Ils réclament une compensation pour les pertes liées aux clauses dites du «meilleur prix», désormais interdites. Cette offensive, inédite par son ampleur, pourrait redistribuer les cartes dans les relations entre plateformes numériques et établissements hôteliers.
Pendant près de vingt ans, les établissements hôteliers ayant recours à Booking.com étaient tenus de ne pas proposer de tarifs inférieurs à ceux affichés sur la plateforme.
Cette clause, dite du «meilleur prix», visait à préserver la compétitivité de Booking en empêchant les clients de réserver directement auprès des hôtels à un tarif plus avantageux. En contrepartie de cette visibilité, les établissements devaient également verser à la plateforme une commission de l’ordre de 15 à 20% par réservation.
Pour les hôteliers, cette politique a représenté un véritable carcan commercial. «Les coûts ont explosé, sans contrepartie en termes de liberté tarifaire ou de fidélisation», déplore Alexandros Vassilikos, président de HOTREC, l’organisation européenne du secteur hôtelier. Cette dernière coordonne désormais une action de groupe inédite, soutenue par plus de 30 associations nationales.
Un tournant juridique européen
L’offensive judiciaire s’appuie sur une décision clé de la Cour de justice de l’Union européenne, rendue le 19 septembre 2024. Celle-ci a jugé que les clauses de parité tarifaire restreignent indûment la liberté commerciale des hôtels et contreviennent au droit européen de la concurrence.
Cet arrêt a fait écho à la loi sur les marchés numériques, entrée en vigueur en 2024, qui encadre plus strictement les pratiques des grandes plateformes.
Dans la foulée, Booking.com a été contraint de supprimer ces clauses sur le Vieux Continent. Mais pour les professionnels du secteur, le préjudice est déjà largement consommé. L’action en justice vise donc à obtenir réparation pour les pertes subies entre 2004 et 2024 — une période durant laquelle Booking est devenu un acteur incontournable du marché.
Une procédure néerlandaise à fort enjeu
La plainte a été déposée aux Pays-Bas, pays d’origine de Booking.com, par la fondation Hotel Claims Alliance. Ce collectif a pour mission de centraliser les demandes d’indemnisation au nom des plaignants. Selon les premiers éléments, la procédure pourrait s’étendre sur plusieurs années, mais les montants en jeu se chiffrent déjà en centaines de millions d’euros.
Cette action collective pourrait également ouvrir la voie à d’autres recours, y compris en dehors de l’Union européenne. Car d’autres plateformes — telles qu’Expedia ou Agoda — ont, elles aussi, pratiqué des clauses similaires. En ciblant Booking.com, les hôteliers entendent frapper un symbole : celui de l’hégémonie des plateformes dans l’économie numérique.
Une redistribution des rapports de force ?
Pour le secteur hôtelier, cette initiative traduit une volonté croissante de reprendre le contrôle de la relation client. À l’heure où la visibilité en ligne conditionne fortement le remplissage des chambres, les établissements cherchent à rééquilibrer le rapport de force avec les intermédiaires numériques. Le succès de la plainte pourrait inciter d’autres acteurs à revoir leurs pratiques commerciales.
Au-delà de l’enjeu juridique, cette affaire relance le débat sur la souveraineté commerciale des entreprises face aux plateformes dominantes. Elle pourrait aussi rebattre les cartes pour les voyageurs, en facilitant l’accès à des tarifs plus avantageux en direct — à condition, bien sûr, que les hôtels jouent le jeu.
J.G. avec agences / Les Inspirations ÉCO