Éco-Business

Finance participative : ce que la banque ne dit pas

Huit ans après leur lancement, les banques participatives peinent à se démarquer de l’offre conventionnelle. En effet, dans l’imaginaire collectif, banques classiques et participatives proposent le même service. Pourtant, si l’une finance l’économie, l’autre fait du commerce. Décryptage.

Dans l’imaginaire collectif, la banque est d’abord un guichet, une carte, un compte et, éventuellement, un crédit contracté en cas de besoin. Que l’établissement relève du droit commun ou d’une logique conforme à la charia semble secondaire, du moins pour une large frange de la clientèle.

En pratique, bien que les deux proposent des produits similaires, l’une finance l’économie, tandis que l’autre fait du commerce. C’est d’ailleurs cet amalgame qui, bien souvent, pousse les clients à rester fidèle à leur banque conventionnelle, même lorsqu’un attachement spirituel les rend sensibles à l’argument religieux. Mais pour ceux qui franchissent le pas vers la finance participative, le mobile est quasi-exclusivement éthique.

«Franchement, c’est juste une façon de me dire que je ne recours pas aux intérêts», souffle un client croisé devant une agence participative à Rabat.

Comme beaucoup d’autres, il ne cache pas sa déception. Les prix pratiqués s’alignent peu ou prou sur ceux des banques classiques, et «les services n’offrent pas de réelle valeur ajoutée». Et à en croire d’autres clients interrogés, y adhérer relève moins d’un choix éclairé que d’un arrangement moral, une manière de «s’acheter bonne conscience». D’autres, en revanche, y trouvent un cadre aligné sur leur foi, ce qui n’aurait pas, a priori, de prix. Un choix que viennent conforter les données issues du dernier rapport de supervision bancaire.

«Le réseau des banques participatives couvre aujourd’hui l’ensemble des douze régions du Royaume et a franchi le cap des 206 agences», souligne Nabil Badr, directeur adjoint de la supervision bancaire à Bank Al-Maghrib.

En 2024, les financements participatifs se sont hissés à 25,5 milliards de dirhams, en progression annuelle de près de 20%, sans prise en compte des marges constatées d’avance.

En parallèle, les dépôts à vue ont atteint 12,1 milliards de dirhams, tandis que les dépôts d’investissement se sont établis à 3,7 milliards. Le nombre de comptes ouverts dans le compartiment participatif avoisine désormais les 256.000, soit une hausse significative, reflet d’une confiance croissante.

Montée en puissance
Mais au-delà des réalisations, c’est la nature même des produits qui continue de porter l’adhésion. C’est notamment le cas des adeptes de la Mourabaha, le contrat phare du secteur, qui structure aujourd’hui l’essentiel de l’offre participative au Maroc, notamment en matière immobilière.

À ses côtés, des instruments comme l’Ijara (location avec promesse de vente), le Salam (paiement comptant pour livraison différée), la Moucharaka (partenariat), la Moudaraba (capital-risque) ou encore l’Istisnaâ (contrat de fabrication) qui complètent cette palette de produits, mais qui toutefois peine à s’imposer comme de véritables alternatives. La rentabilité, considérée comme le talon d’Achille du secteur, ressort également en situation d’équilibre.

«Le produit net bancaire dépasse aujourd’hui le milliard de dirhams et, pour la deuxième année consécutive, les résultats agrégés sont bénéficiaires», précise Nabil Badr.

Le résultat net consolidé ressort à 97,4 millions de dirhams, après 5,3 millions une année auparavant, confirmant une lente montée en puissance.Huit ans après l’agrément des premières banques participatives, le secteur semble avoir dépassé la phase d’expérimentation.

«L’enjeu n’est plus de prouver la légitimité, mais sa capacité à peser dans le financement de l’économie réelle», soutien un analyse.

En atteste la croissance à deux chiffres de ses principaux agrégats, notamment 14% de comptes supplémentaires et une progression de 16% des dépôts, une dynamique portée en partie par l’évolution de profil des consommateurs. Longtemps cantonnée à une clientèle de particuliers «pratiquants», l’offre commence à attirer des profils plus variés, notamment parmi les entrepreneurs désireux de concilier éthique et performance.

Freins structurels
Il va sans dire que le modèle participatif reste largement centré sur des montages structurés autour de la vente avec marge. La Mourabaha, notamment immobilière, concentre l’essentiel des financements. Les produits de partage de profits comme la Moucharaka ou la Moudaraba, pourtant plus conformes à l’esprit de la finance islamique, peinent à décoller.

Faute de mécanismes de refinancement adaptés et de modèles de risque éprouvés, ces formules demeurent marginales, confinées à quelques projets pilotes. Le manque de différenciation entre les établissements accentue cette inertie. Presque toutes les banques participatives proposent la même gamme de produits, calquée sur le triptyque Mourabaha-Ijara-Wakala.

À ces limites s’ajoute l’absence de véritables outils de mobilisation de l’épargne longue. L’écosystème attend encore le lancement effectif d’OPCVM pleinement participatifs, nécessaires pour canaliser l’épargne vers des actifs conformes. L’émission inaugurale de sukuk souverains en 2018, célébrée en grande pompe, n’a pas été suivie d’effet, freinée par l’absence d’ancrage institutionnel et de cadre de marché. Le cadre réglementaire évolue néanmoins. Une nouvelle loi, en cours de finalisation, devrait permettre l’essor de véhicules d’investissement participatifs. Et si le secteur reste, pour l’heure, peu propice à l’innovation, les professionnels, eux, se montrent plutôt confiants.

«Les innovations ont leur place dans le modèle participatif. Tout ce que la finance conventionnelle a pu développer grâce à la fintech et à l’intelligence artificielle est transposable à la finance participative», relativise Said Amaghdir, président de l’Association marocaine des professionnels de la finance participative.

Appui public
Face à ces contraintes, l’État a tenté d’apporter un soutien ciblé, notamment via Tamwilcom, à travers sa fenêtre «Daâma Tamwil» dédiée à la finance participative. Les chiffres témoignent d’une montée en charge avec plus de 2.500 opérations garanties pour un encours cumulé dépassant 1,2 milliard de dirhams.

Ces mécanismes, dont les principaux bénéficiaires sont en l’occurrence les entreprises, en particulier les TPME, s’appuie sur des instruments comme Damane Moubachir, Damane Dayn ou Tamwil Chamal, qui élargissent l’accès au crédit participatif tout en sécurisant les risques pour les établissements prêteurs. Ce rôle d’amortisseur public s’avère crucial pour donner au secteur les moyens de son ambition en vue d’accompagner, in fine, l’entrepreneuriat en proposant une alternative au crédit conventionnel.

Ce soutien institutionnel a permis certes de poser les jalons d’un écosystème opérationnel, mais sans parvenir à asseoir ce modèle comme levier de financement à part entière. Dans un contexte où l’argent se fait rare, le segment participatif a une carte à jouer, à condition de ne pas calquer les modèles traditionnels. Ce qui lui revient, désormais, c’est d’assumer une vocation singulière, à savoir une voie attachée à l’éthique, certes, mais aussi pleinement investie dans l’économie réelle.

La finance participative rêve d’un indice à Casablanca

L’idée d’un compartiment participatif au sein de la Bourse de Casablanca fait son chemin dans les cercles de la finance islamique. Derrière ce projet, l’ambition est double, offrir aux épargnants un repère lisible et conforme aux principes de la charia, et inscrire durablement cette finance dans les mécanismes de marché. L’indice serait construit à partir de filtres sectoriels et financiers, excluant notamment les activités liées à l’alcool, aux produits de taux ou à l’assurance conventionnelle.

«Il ne s’agira pas d’une bourse parallèle, mais d’un compartiment participatif, au sein même de la Bourse de Casablanca, structuré autour d’un indice», précise Said Amaghdir, président de l’Association marocaine des professionnels de la finance participative.

Une étape de plus vers un écosystème robuste, avec une portée potentiellement régionale.

Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO



Parlement : Moudawana et retraites, les dossiers chauds de la rentrée


Recevez les actualités économiques récentes sur votre WhatsApp Suivez les dernières actualités de LESECO.ma sur Google Actualités

Rejoignez LesEco.ma et recevez nos newsletters




Bouton retour en haut de la page