Système financier : une stabilité qui se joue sur le fil

Le constat dressé à l’issue du dernier exercice de stabilité financière mené par Bank Al-Maghrib se veut mesuré. Sous des indicateurs globalement bien orientés, le système financier présente quelques poches de vulnérabilité, notamment une légère augmentation des créances douteuses, un régime de retraite en attente d’une refonte durable et un marché boursier assez volatil.
Depuis plus d’une décennie, les discours sur la solidité du système financier se veulent plutôt rassurants. En cause, des indicateurs bancaires qui tiennent bon, une régulation suivie d’effets et une croissance qui se maintient globalement. Ce tableau rassurant pourrait presque faire croire à une immunité structurelle.
Pourtant, à y regarder de plus près, des fragilités émergent, moins lisibles dans les ratios que dans les dynamiques sous-jacentes. Réuni le 7 juillet au siège de Bank Al-Maghrib, le Comité de coordination et de surveillance des risques systémiques (CCSRS) a passé au crible l’état du système financier, à travers son rapport annuel sur la stabilité financière. Une publication attendue, tant les signaux macroéconomiques n’offrent guère une lecture pleinement lisible de la conjoncture.
D’un côté, le Maroc affiche une croissance projetée à 4,6% en 2025, un recul maîtrisé de l’inflation à 1,1% et une réduction progressive du déficit budgétaire. De l’autre, les fragilités structurelles persistent.
Vigilance de mise
L’étude menée par la Banque centrale montre une légère accélération du crédit bancaire au secteur non financier, attendu à 6% sur la période 2025-2026, contre une moyenne de 2,7% en 2023 et 2024. Cet effet de rattrapage est toutefois assorti d’une légère remontée des créances en souffrance – de 8,4% à 8,8% à fin avril 2025 -, dans un contexte où le taux de provisionnement reste stable, autour de 68%. Une évolution que BAM juge maîtrisée, mais qui pourrait appeler à davantage de prudence si la conjoncture venait à se dégrader.
L’expansion du crédit traduit certes un redémarrage bienvenu, mais elle n’est pas sans soulever quelques réserves. Les observateurs prudents y verraient un effet classique de fin de cycle, où la croissance du crédit s’opère au prix d’un relâchement des critères prudentiels.
La Banque centrale assure pourtant que les tests de résistance macroéconomiques «confirment la résilience du secteur face aux chocs». Une appréciation rassurante mais pas suffisamment pour dissiper les inquiétudes liées à la dépendance structurelle de certaines banques à leurs activités de marché.
Risque de marché
En effet, le secteur bancaire a vu son résultat net progresser de 24%, porté par la bonne tenue des marchés, ce qui a hissé le rendement de ses fonds propres à 9,5%. Un chiffre flatteur, mais qui traduit aussi une concentration croissante du profit sur les segments financiers les plus volatils. Cette lecture est renforcée par la hausse significative des plus-values latentes (+70,7%) du secteur assurantiel, dopées par un marché boursier euphorique.
Pour rappel, le MASI a enregistré une performance de 25% à la date du 1er juillet 2025. Un tel emballement pose nécessairement la question de la soutenabilité de cette hausse en cas de correction, même si, à ce stade, l’évolution de l’indice vedette de la Bourse ne suggère pas la formation d’une bulle spéculative.
Selon le dernier rapport sur la stabilité financière, «le marché boursier a connu une amélioration notable de sa liquidité, avec un ratio en hausse à 13,92% à fin mai 2025». Selon BAM, le niveau de volatilité moyenne a augmenté en 2025, notamment en raison des tensions observées sur les marchés internationaux au début du mois d’avril 2025.
En effet, celle-ci s’est établie à 15,45% à fin juin 2025 contre 8,27% à fin 2024 et 11,04% en 2023. Pour sa part, le ratio de liquidité du marché boursier à fin mai 2025 ressort en nette amélioration, à 13,92% contre 12,45% à fin 2024 et 8,88% à fin 2023. Ce regain d’intérêt pour le marché actions, alimenté par les particuliers, s’inscrit dans un environnement de taux obligataires relativement bas. Les émissions de Bons du Trésor ont chuté de plus de 20 milliards de dirhams (MMDH) par rapport à l’année précédente, confirmant le reflux de l’offre souveraine sur le marché primaire.
Résilience structurelle
Ce contexte de valorisation élevée, alimenté par des conditions de financement encore accommodantes, irrigue l’ensemble du secteur financier. Côté assurances, la dynamique reste globalement positive. Avec un chiffre d’affaires de 58,8 MMDH et une rentabilité en légère hausse, le secteur renforce sa marge de solvabilité. Les stress tests, là encore, concluent à une résilience structurelle. Mais comme pour les banques, c’est la nature des gains – principalement non techniques – qui interroge.
La question de la soutenabilité se pose aussi dans le secteur des retraites, malgré l’effet ponctuel des hausses salariales issues du dialogue social d’avril 2024. La réforme à deux pôles, déjà actée dans ses grandes lignes, tarde à entrer en vigueur.
Ce schéma prévoit un regroupement progressif des régimes en deux entités — l’une pour le public, l’autre pour le privé — avec, à terme, une convergence vers un système plus homogène et pérenne. La dimension systémique des risques n’échappe pas non plus aux membres du CCSRS, qui rappellent l’importance d’anticiper le troisième cycle d’évaluation du GAFIMOAN — groupe régional du GAFI chargé de la conformité LBC/FT — prévu en 2026 et dont le verdict portera sans doute moins sur le vernis réglementaire que sur la rigueur des pratiques.
En attendant, si l’économie nationale peut compter sur l’optimisme des acteurs, l’abondance de signaux faibles rappelle combien cette confiance demeure vulnérable aux soubresauts d’une conjoncture de plus en plus dictée par l’environnement international.
L’épargne bascule vers des supports plus liquides
Les actifs nets des OPCVM ont franchi le seuil des 792 milliards de dirhams à la mi-juin 2025, en hausse de 21,2% depuis le début de l’année. Cette progression, soutenue par plus de 93 milliards de souscriptions nettes, traduit une recomposition silencieuse de l’épargne nationale. Elle semble acter une bascule vers des placements plus liquides et potentiellement plus volatils.
Ce repositionnement massif des flux financiers n’est pas anodin. Il traduit une recomposition progressive de l’épargne, où l’attrait croissant pour les fonds monétaires et obligataires cohabite avec la confiance boursière stimulée par des rendements exceptionnels.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO